Bleu comme le Sud.

junon

Autour de moi  monte l'odeur de la rosée qui perle ce matin de fraicheur.

Il est tôt, le jour est encore neuf. Tout à l'heure, ce sera presque trop.  Trop de chaleur, trop de lumière surtout, celle franche et brute de ce midi qui brûle la rétine de son excès de bleu. Il faudra alors s'abriter dans la maison, rafraichie par la tonnelle de vigne folle qui chaque année lance ses vrilles violines à l'assaut des vieux murs. Mais pour l'heure, c'est droit dans les yeux que je regarde le dôme du ciel qui fait le dos rond au-dessus des collines. La terrasse, ce coin de la maison offert aux quatre vents n'est qu'à moi seule. Sous ma paume, l'arrondi de la tasse en porcelaine éclate de blancheur, et me chauffe la main. L'arôme du café se superpose à celui encore balbutiant du jour naissant. Pas de douces fragrances de fleurs pour s'y mêler,  les roses trémières qui frangent la cour de toute part ne sentent presque rien. Pourtant,  je ne les échangerais contre aucun parterre de jardinier empli de fleurs odorantes. J'aime leur allure sauvage et dépenaillée. Elles sont mes bohémiennes, les princesses aux pieds nus de mon royaume privé.

A Thomas qui peste contre leur tendance à tout envahir, je ne réponds que d'un sourire, et d'un haussement d'épaule fataliste. Jamais je ne lui dirai mes patientes récoltes de graines,  ni les semis que je fais sur le moindre coin de terre nue. De les croire aussi spontanées à se multiplier le décourage de s'attaquer à les supprimer, et nous évite un glissant terrain de discorde.

Autour de moi  monte l'odeur des vielles pierres tiédies au soleil.

La fin de la matinée approche. Au loin, l'air commence déjà à trembler sous les rayons brûlants du soleil qui grimpe au zénith, mais sous mes pieds nus, les lauzes de calcaire blond gardent encore leur fraicheur . J'en épouse les reliefs familiers, du bout des orteils, puis déroulant mon pied, je joue à le laisser se frotter à ces dalles toutes polies, et plus douces à ma peau que l'herbe la plus moelleuse. Combien de passages, combien de pieds chaussés de sabots durs,  de godillots cloutés, combien de cavalcades a-t-il fallu pour éroder la pierre tendre et la rendre si accueillante, si amicale?  Elle est mon socle, ma base, le piédestal du haut duquel je domine mon territoire.

 Thomas est arrivé derrière moi, sans bruit. Sa main se glisse dans la mienne. Au creux de sa paume, des petites graines sèches et plates... des graines de roses trémières:  "tiens, il manque encore quelques couleurs à cette cour, non? "... Je ne suis plus seule sur ma terrasse, le velours envahit mon âme.

Autour de moi monte l'odeur minérale de la terre chauffée à blanc.

La terrasse n'est plus guère fréquentable à cette heure-là.  Bien que je l'aime nue, et offerte aux éléments, nous l'avons agrémentée cette année d'une toute nouvelle toiture de brandes, qui raye joliment son ombrage de traits de lumière. Malgré tout, sous l'implacable soleil de ce début d'après-midi d'été, elle vibre de chaleur. Le chat et moi l'avons donc désertée pour un temps, lui préférant la pénombre accueillante du salon. Mais il ne s'agit là que d'une infidélité passagère. Impossible de résister longtemps à l'attrait de cette nacelle suspendue au flanc de la maison d'où je n'ai qu'à  tendre les bras pour toucher le ciel et tutoyer les étoiles quand vient le soir.

Autour de moi montent les parfums de cette fin de journée, et la douceur d'un coucher de soleil qui s'annonce.

Le verre est frais dans ma main. A chaque pas, le tintement des glaçons répond au balancement de mes hanches. Sa petite musique ponctue joliment  les  cris des martinets qui se mêlent aux conversations joyeuses. Une gorgée, le parfum de l'anis adouci par le sirop d'orgeat envahit ma bouche. La mauresque a pour moi le goût des vacances, des soirs d'été, et des amis réunis. Sur la table dressée, c'est une débauche de tentations colorées. L'orangé tendre du melon répond au vermeille des tomates du jardin, encore chaudes de soleil, la chair rose de la pastèque, semée de graines noires, côtoie le vert éclatant des jeunes courgettes marinées qui attendent patiemment que la braise soit prête, ni trop chaude, ni pas assez, juste ce qu'il faut pour les saisir et en sublimer les parfums. Il y a de la musique, des enfants qui courent entre les jambes des adultes, des papas consciencieux qui veillent à ce qu'il ne s'approchent pas trop près du feu, des sourires, de la tendresse, des odeurs de cuisine, des verres qui s'entrechoquent, des idées échangées, des discussions plus vives et d'autres susurrées, des nez qui se froncent, des éclats de rire, de la vie qui déborde de partout, et le chat qui contemple toute cette agitation d'un air supérieur, perché à l'écart sur le rebord d'une fenêtre.

Ce soir, nous sommes nombreux sur ma terrasse, et il me semble que ses murets en corbeille pourraient accueillir tout le bonheur du monde.

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