Bouquet final

Encore un jour où il faut se lever et suivre le courant de ses pensées. La première du matin s'est engagée tenace, pourtant à jeun et déjà indigeste. En effet, savoir que l'humain émet 60000 pensées par jour, il est évident que sa masturbation mentale est dantesque et hélas le condamne à de fausses jouissances manipulatrices. En vérité, 80 pour cent du dialogue intérieur se révèle négatif, car soi-disant les neurones adorent se délecter de critiques et de jugements autant à son égard qu'à celui d'autrui avec en prime des situations grotesques pour amplifier cet état néfaste d'hyper activité. Bref, Mademoiselle est déjà épuisée de devoir encore faire face à son ouragan mental. Impossible de l'arrêter ce sacripant gluant, qu'elle peut effleurer maintenant au quart de tour. Comment faire ?

Certainement pas en écoutant les infos comme là ce matin où elle écoute que l'UMP change de nom pour « Les Républicains ». « Pfff, quelle délire, c'est comme si je peignais ma poubelle bleue en noir, ça restera toujours une poubelle »  se dit-elle en se frottant la tête déjà douloureuse. Puis, d'arrache-pied, elle entreprend d'ouvrir instinctivement son dépotoir de cuisine pour le renverser sur le sol : une arête de maquereau de l'avant-veille figé à côté de sa tête pétrifiée à œil glauque, quelques feuilles tâchées de mâche recroquevillées, 240 grammes de fraises d'Espagne tentant un léger ramollissement, un flamby périmé, un amalgame de coquillettes sur cuites, la note salée du magasin d'hier, quand elle a reçu Paul à dîner le soir même - cet homme qui soudain, avait compris tous le sens de la lettre enflammée reçue un an auparavant et qui tenait  absolument à reprendre contact très vite avec la déclarante - Le nez de celle-ci toujours dans le dépotoir venait de sentir un journal humide et gras résistant suffisamment pour que sa Une se relise : « Mis en examen » «  Face à la justice ». Et pour finir ce piètre bilan de déchets, s'étalaient les éclats de verre d'un vase vide tombé curieusement du haut du frigo peu avant minuit, comme pour signaler peut-être la goutte d'eau qui débordait dans la soirée arrosée. Remuant sa tête de plus en plus fiévreuse dans un coin de la cuisine, Mademoiselle lorgne ces deux cadavres de pinard que l'autre sacripant débarquant, la bouche sèche en avant, lui avait tendu les deux mains en avant, frôlant ainsi le décolleté de la belle. Non, décidément, elle allait mal la vivre sa journée de pensées. 30000 au compteur d'affilée avaient déjà ruiné son cervelet. Comment peut-on chercher à voler un cœur avec des pots de vin à l'arrivée ? Et qu'il ne se passe rien, jamais rien sans dévoiler le fond de la vérité et le contourner aussi habilement. Paul ou Nico, c'est du pareil au même. Elle en titube dans tout ce méli-mélo. Ne plus s'acharner, se couper la tête et ne songer qu'à dormir. De toute façon, la journée tire sur sa fin de bouquet pensées. Force est de constater que dans sa solitude, cette gerbe a dû passer largement la barre des 50000… Que lui reste-t-il ? Il n'y a plus rien qui l'attend. Quoique si, au final, les 20 pour cent de pensées subsistantes à faire valoir, à faire sourire en douceur impérative, sur son oreiller du soir. Comment faire ?

Et là, Mademoiselle s'en remet à son cœur, simple et léger. Dans sa respiration, elle tend l'oreille. il lui parle de fleurs. C'est tellement ravissant des fleurs. Elle aurait tellement aimé qu'il lui offre des fleurs, juste des fleurs. Et puis pourquoi pas son invitation pour changer de nom… Au final, cela aurait été le bouquet. Comme c'est beau de penser, comme c'est bon de rêver. Cela fait sourire et puis ça aide aussi à bien s'endormir.