Ce que ma femme me refuse.

Giorgio Buitoni

 

Il passe la porte, vouté, l'air piteux de si bonne heure. Je l'attends assis derrière mon  large bureau en chêne massif. C'est un grand black maigrichon d'un mètre quatre vingt cinq aux épaules larges, aux yeux noirs, aux lèvres épaisses, un peu entrouvertes. Son regard détaille le matériel à l'arrière de la salle ; inquiet.  Il s'approche du bureau.

- Comment allez-vous Monsieur Dubois ?

Pas terrible. Forcément. Pauvre monsieur Dubois. Il sait qu'il va y avoir droit. Nous le savons tous les deux. Ça me confère un avantage psychologique indiscutable.

- Asseyez-vous, je vous en prie.

Monsieur Dubois se plie comme un morceau de bois  qui se brise et se laisse choir dans le fauteuil face à moi. Il remarque la photo de ma femme posée sur le bureau. Le portrait est tourné vers l'arrière de la salle. Vers là ou ça se passe. Ça me plait qu'elle me regarde faire, ma femme. Qu'elle m'observe, figée sur son papier Kodak. Puisqu'elle me le refuse à moi, ce plaisir.

Tu vas assister à tout, mon amour, comme d'habitude. Si tu m'épiais réellement, je crois que tu n'irais plus jamais à la messe.

Monsieur Dubois constate sans doute qu'elle à l'air un peu guindée, coincée dans son cadre en alu, avec son chemisier blanc boutonné jusqu'en haut. Son sourire crispé et ses incisives un peu trop longues.

Bien sur, il me dit qu'elle est jolie, ma femme, Monsieur Dubois, par politesse, tandis que, sur ses genoux, ses longs doigts noirs et noueux tentent de saisir quelque chose d'invisible.

Je lui annonce toutes dents dehors que mon épouse se porte à merveille, et avec mon majeur je désigne la photo sur le bureau. Il regarde fixement mon doigt, évalue sa longueur peut-être, tandis que les siens, noirs, avec leurs larges jointures glissent à présent le long de ses cuisses, des genoux vers l'entrejambe, imprimant une trainée humide sur la toile grise de son  pantalon.

Ce ne sera pas long Monsieur Dubois.

 

Je demande des nouvelles de sa famille.

Son gosse et sa femme vont bien. Ils attendent dans la voiture. Ils sont un peu inquiets, évidemment.

Un ange passe.

- Alors, dites-moi Monsieur Dubois, c'était quand la première fois ?

Il y a deux mois.

Bien.

Mais avant? Jamais, non? Si ? Par intermittence ?

Je vois.

Quel âge avez-vous Monsieur Dubois ?

51.

Hum…

Mon fauteuil de cuir pivote sur son axe d'un quart de tour et je fais face à la fenêtre. Le soleil brulant ombre mon visage. J'appose le majeur sur ma bouche ; mon air est pensif. Je sens le regard humide de Monsieur Dubois et celui de ma femme rivé sur mon doigt tendu et mon profil illuminé. Je prends la pause.  Le silence s'étire encore un peu. Et mon fauteuil se tourne à nouveau face à la longue silhouette d'ébène aux doigts tentaculaires pliée à l'équerre de l'autre coté du bureau.

- Monsieur Dubois, est ce que votre père aussi avait… ?

La tête de Monsieur Dubois répond que non. Ses dents immenses et blanches sourient, mais bien sûr elles n'en ont pas vraiment envie.

- Et votre frère ? 

Non plus. Bon…

- Connaissez-vous les raisons de ce désordre M. Dubois ?

Pas vraiment.

- Je vais vous expliquer.

J'extrais le livre habituel du tiroir de mon bureau et  l'ouvre à la bonne page. Je glisse l'ouvrage sur le plan de travail vers Monsieur Dubois. Il penche la tête au dessus du livre et fixe son attention à l'endroit pointé par mon  majeur.

- C'est ici. Vous voyez ?

Le pouce et l'index de mon autre main miment à présent le mouvement d'une pince.

- Voilà ce qui se passe. Vous comprenez ?

Il hoche la tête, inspire profondément, et admire une nouvelle fois le portrait de ma femme. Ma petite chérie avec ses dents de cheval. Ça aide à relativiser.

La plupart du temps ils viennent avec une idée préconçue, s'imaginent des préliminaires douillets et compliqués, puis le livre recadre la situation.  C'est du même ordre que d'imaginer un cadavre et ensuite de voir le cadavre. La réalité les rattrape et leur fiche un coup de pelle derrière la tête. C'est le moment que je préfère.

- Bien !

Je bondis presque sur la moquette et Monsieur Dubois sursaute.

Le grand homme noir comprend que le moment est venu, il frotte nerveusement ses mains, longues et maigres, sur ses cuisses.

 - « Nous allons passer derrière, Monsieur Dubois, vous voulez bien ? »

Ses yeux jaunes s'agrippent à mon visage comme à une paroi glissante, il hoche la tête et déplie sa silhouette osseuse au dessus de son siège.

« Je vous en prie installez-vous comme sur le livre, dis-je.» Je désigne le fauteuil incliné à l'arrière de la salle. Nous gagnons tous les deux l'espace des travaux pratiques. Et après un dernier coup d'œil au portrait de ma femme,  je commence les préparatifs.

Ouvre grands tes yeux mon amour !

Je pratique le décubitus dorsal, c'est la manière la plus maternelle d'opérer.

Monsieur Dubois, debout, les fesses à l'air, place une main devant son sexe, et pose un doigt sur sa chemise : son regard paniqué m'interroge. 

« oui oui, ôtez la chemise aussi Monsieur Dubois, vous serez plus à l'aise! »

Bien sur, le sentiment de domination est très nettement en ma faveur. Mais n'y voyez pas  un rapport de maitre à esclave, plutôt de père à fils. C'est un peu comme si j'entrais dans la famille. Ils arrivent la silhouette courbée, les mains moites, le regard bas, honteux. Et quand c'est terminé, ils repartent transformés, redressés, plus forts de cette nouvelle expérience, et ils vous dévisagent comme si vous veniez de les mettre au monde.

Je sors le tube de vaseline du tiroir du petit pupitre à roulette en plastique devant moi, et j'enfile des gants blancs en silicone. Lorsque je me tourne vers Monsieur Dubois, son long corps nu et anguleux est étalé sur le siège incliné. Résigné, Monsieur Dubois ne masque plus ses parties génitales, sa pudeur et sa fierté sont vaincue. Son regard, qui, quelques secondes plus tôt, paraissait supplier, semble dire à présent : finissons en. J'applique la vaseline lentement sur mon majeur gainé de silicone ; mon doigt luit désormais comme du métal poli. Emprisonnée dans son petit cadre en alu sur le bureau, ma femme m'observe, et je dis :

- Groupez vos genoux sur la poitrine à présent, Monsieur Dubois, et inspirez fort pour vous détendre. Voyons voir cette prostate.

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