En Mer

sophie-l

La main en visière, elle scrute la ligne d’horizon. L’attente est longue. La brise s’immisce entre ses jambes nues faisant danser sa jupe légère. Elle l’attend depuis si longtemps qu’elle n’ose laisser exploser sa joie.

Debout sur la plage, elles sont des dizaines à forcer la vue. Certaines tiennent tout contre leurs poitrines des lettres amoureusement retenues par une cordelette de soie, uniques attaches pour supporter une absence toujours plus pesante.

Enfin la voilà ! Au loin, ce n’est encore qu’une toute petite silhouette mais déjà, elle grandit, franchissant à grandes enjambées la distance qui les sépare encore.

Elle s’avance dans la mer, les mains tendues en une supplique silencieuse.

- Plus vite, plus vite, murmure-t-elle.

Une mouette virevolte au-dessus de sa tête et semble l’inviter :

- Grimpe. Accroche-toi à mes ailes et envolons-nous.

Elle rit, elle se trouve folle.

Autour d’elle, les autres femmes rient aussi.

L’une d’elle s’exclame :

- Chantons, mes sœurs. Guidons-les vers nos douces étreintes.

Et toutes entonnent la mélodie des retrouvailles que la brise emporte vers l’embarcation.

Bienvenue à la maison.

****

Les hommes s’affairent sur le pont. Le retour est proche mais il reste tant à faire.

Adossé au bastingage, indifférent au tumulte, il aperçoit enfin le rivage. Des petits points apparaissent, grossissent et s’animent.

Il plisse les yeux dans l’espoir de reconnaître son visage. En vain. Ils sont encore trop loin.

Alors, il l’imagine pieds nus sur le sable, vêtue légèrement, laissant le vent se faufiler dans les coins secrets de son corps. Il entend son souffle rapide, les battements de son cœur ne résistant plus aux derniers instants d’éloignement.

Il rit en pensant qu’elle serait bien capable d’entrer dans l’océan glacé, les bras tendus vers lui, suppliant : « Plus vite, plus vite. »

Et soudain, il entend.

A bord, le silence se fait pour mieux écouter.

Un murmure d’abord, puis un grondement plus fort pour reconnaître enfin ce chant que le vent apporte comme un cadeau.

- Mes frères, laissons-nous ensorceler ! s’exclame-t-il joyeusement.

Alors, le navire se laisse guider.

Il ramène les hommes au foyer.

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