Itinéraire Flou - 2

rafistoleuse

Quelques minutes plus tard, elle avait saisi un banc au vol. Au vol, parce que dans ce parc immense, les trois ou quatre bancs se disputaient les fesses des passants, ne faisant donc pas que passer. Zylan avait rusé, elle savait faire fuir les gens, talent dont elle aurait aimé se passer, parfois. Mais là, ça tombait à pic. Elle avait repéré le banc autour duquel gravitait le moins de personnes. Assises là, trois femmes. Zylan s'assieds d'abord sur le bout du banc, et naturellement, elles lui font plus de place. Elle sort une cigarette de son paquet.

« - Ca ne vous dérange pas? 

- Non, non … Allez-y »

Ce n'était plus qu'une question de temps. C'était bas, oui. Zylan était comme ça aussi. Les trois commères discutèrent encore quelques minutes.

« - Bon on va prendre l'air parce que ... 

Elles s'en allèrent. Plus loin elle les entendait encore.

- On devrait leur interdire de fumer en public à ceux là. »

Enfin, elle était tranquille. Elle ouvrit son livre et plongea la tête la première dans la valse des mots.

Une odeur de sauce dégoulina sous ses narines, la forçant ainsi à lever les yeux de son voyage. A sa droite, une paire d'Adidas qui semblait avoir connu la 1ere guerre mondiale, mai 68, et la fin du monde. Au dessus de cette paire de trophées, retombait de tout son poids, un jean qui avait dû gouter aux délices de la boue et de l'herbe fraîche. Elle inclina plus encore sa tête.

« - Tu sais, ça, c'est un banc !

- Mmm ? Hum … désolé, bouche pleine…

- Je me demande juste en quoi ça peut gêner quelqu'un de s'asseoir sur le siège du banc plutôt que sur son dossier. Non mais tu sais combien il y a de bancs dans ce parc ?

- Quoi ?

- Tu n'as pas l'air de comprendre... il y a quatre bancs dans ce parc, je les ai comptés  tu vois, j'ai dû faire dégager trois pauvres femmes pour pouvoir lire tranquillement et toi t'arrives avec tes godasses pleines de boue pour en foutre là où on se pose. Alors moi je trouve que ce n'est pas s…

- Eh … Oh … Du calme là … On ne se connaît pas et tu m'agresses comme ça… C'est bon je me casse !

- Non !

- Quoi encore ? D'autres revendications peut-être ? 

- Ton sandwich ! ... J'en veux un bout !

- J'hallucine …

- Je veux le morceau avec la salade là… Se précipitant habilement son hamburger.

- Eh mais !

- Merchi …

- Bon ben vas y sers toi, je t'en prie …

- Ch'est fait !

- T'es flippante ...

- Non moi c'est Zylan

- Zylan ... C'est ...

- Attention à ce que tu vas dire ...

- C'est … Original … Ça vient d'où ?

- De nulle part... Ma mère voulait un prénom avec un y et un z … j'ai échappé à Lizzy ...

- Qu'est-ce que tu fous ici ?

- Pourquoi faut toujours que les gens posent des questions dont la réponse ne les intéresse pas le moins du monde ... Ca t'avance à quoi de savoir si j'étais entrain de lire, de vomir, de fuir, de me prostituer ... Bon ok, si je me prostituais à la limite, oui, ça pourrait t'intéresser …

- C'était juste histoire de parler … mais on dirait que je te dérange ... »

Silence. Zylan se grille une cigarette, elle lui crache sa fumée en pleine figure. Il ne dit rien, elle sourit.

« - Alors t'as rien d'autre que des questions ...

- J'n'aime pas les trams. Tu sais, quand toi t'es à l'intérieur. Les gens dehors, ils te dévisagent, ils te crucifieraient sur place.

- J'avais envie de manger un éclair au chocolat. J'ai hésité et puis j'ai pris l'itinéraire flou.

- Euh …. Tu parles avec des codes ou … parce que là je comprends rien ...

- Je préfère les bus, moi. C'est chaotique. Tu ressens les vides et les pleins des routes. T'as toujours des vieilles dames avec leurs sacs de courses à roulettes. Des mamans qui n'arrivent pas à faire taire leurs bébés. Des « J'arrive, bébé » murmurés trop vite au téléphone.  Les vitres du bus qui claquent. Des places trop petites pour s'asseoir. La sueur, le bruit, c'est poétique.

- Poétique ?

- Poétique, oui.

- Tu n'as pourtant pas l'air d'aimer te mêler aux gens.

Comment tu peux dire ça ? C'est juste que les bancs de ce parc, c'est un sujet sensible.

- …

- Ne te moque pas de moi, c'est important les bancs, c'est un peu des monuments…

- Tiens, t'as vu ? La boue elle a séché un peu. Donne-moi une feuille. »

Il bouchonna le bout de papier et se mit à gratter la boue sur le banc. Ils se retrouvèrent tous les deux à nettoyer un banc public en pleine nuit. C'était drôle, un peu inutile, étrange. Drôle.

« Charly »

Lorsque Charly lui sourit son prénom, elle ne dit rien. Ils allèrent jeter leurs lambeaux de papier ensemble. Leurs mains se frôlèrent.

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