J'ai tué ma contrebasse

sophie-dulac

J'ai tué ma contrebasse

 

Elle livrait sa grande carcasse à la nuit.

 

Dans l'obscurité froide de ma chambre, elle essayait obstinément de se frayer une place prés de ma couche.

 

Je sentais son ombre corpulente et sournoise me narguer dans l'obscurité.

Tendu sur sa pique, son buste aguicheur appelait  à l'étreinte.

 

Soudain en haut du manche, sa tête entière, volute et chevilles, brilla en flammèches délicates.

 

La  lune aussi voulait jouer.

 

Par la lucarne, pleine et impudique, la garce se frottait à la caisse.

Hébétée de sommeil, éperdue de jalousie, j'ai voulu aussi mordre au firmament.

 

Il suffisait  de faire éclater le silence.

 

J'ai quitté brusquement mon lit pour me saisir du tronc délicieusement potelé.

 

Mes mains gourdes et salaces  ont agrippé la touche et molesté les cordes.

 

Lorsque son corps tout entier s'est dérobé dans un grincement assourdissant, j'ai compris que la belle préférait les caresses des astres.

 

Alors j'ai frappé. A force de coups et de rage, quand le manche fut arraché du tronc, mon poing est passé dans les ouïes entraînant l'explosion du chevalet et du cordier.

 

Fouillant dans les entrailles, j'ai extrait et piétiné son âme puis la mienne.

 

La lune séditieuse mordorait mes mains en sang.

 

Le cœur  inondé de remords et de chagrin, je me suis suspendue aux cordes, pendue à la nuit.

 

Quand l'aube renaîtra crescendo les canards pourront venir nasiller  sur nos deux cadavres.

 





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