Juste bien.

rafistoleuse

T'as toujours joué au mec mystérieux. Comme si tu veux pas trop en dire, tu leur donnes juste de quoi alimenter leurs conversations, tu ne leur donnes quasi rien en fait. Et ça marche, et moi ça me sidère. J'hésite entre être bluffée et excédée.

Moi j'ai toujours été une radio qui fonctionne à l'énergie - pas forcément solaire, mais ça aide. Je suis le genre de fille, qu'on qualifie de timide. sauf qu'en vrai, il faut juste appuyer sur un bouton (non pas celui-là). Suffit que je me sente à l'aise pour que je devienne la pire des bavardes, un cadeau empoisonné.

Mais toi, ça t'as toujours fait marrer. Je me souviens, j'avais l'impression que tu détaillais et notais - mentalement - scrupuleusement le flot de mots qui jaillissait de ma bouche. En vrai, mais je l'ai su bien après, t'en avais rien à foutre, tu me trouvais juste drôle. J'ai jamais vraiment été à l'aise avec les silences. Les anges qui passent, tout ça, ça me destabilise. Je t'écoutais répondre monosyllabiquement à mes phrases complexes. Et ce putain de demi-sourire que t'avais à chaque fois que je semblais attendre une réponse significative de ta part. Ce regard que t'avais qui me laissait con. J'comprenais rien, j'voyais pas le message, j'interprétais pas, j'étais dans le flou. Je ramais et toi tu te marrais.

Depuis, j'ai capté. Ce silence c'était une réponse à choix multiples. Tu te mouillais pas, tu laissais la personne en face supposer ce que tu voulais dire. Un truc pour choper des filles, sans doute, même si moi j'avais jamais été une de celles-là. Et ça marche, encore aujourd'hui. Mais plus avec moi.

Parce que maintenant ça fait bien 8 ans qu'on joue à ce petit jeu, et que désormais, je suis juste bien. Quand tu dis rien, qu'on fume notre clope, tranquille, sur la terrasse, et que tu me regardes avec ce même sourire amusé. Je suis juste bien. Quand je parle, je parle, je parle, et que d'un coup je te demande ... "Je t'emmerde là, nan ?" et tu me réponds "Ouais". Je suis juste bien. Quand je parle, je parle, je parle et que tout à coup tu me dis le truc qui vise là où ça fait mal, là où ça fait vide, là où ça vertige. Je suis juste bien.

Parce que t’écoutes peut-être pas tout ce que je dis, mais t'entends mes silences.

Quand on s'est rencontrés, j'ai été la fille qui s'assied sur le bout de trottoir, parce qu'il n'y avait plus de place sur le banc. Pas celle à qui t'as proposé tes genoux. Et je crois que c'est bien la meilleure chose qui me soit arrivée depuis un bail.

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