Justice des pauvres, pauvre Justice
Edwige Devillebichot
L'aide juridictionnelle est une aide de l'état permettant aux personnes à petits revenus d'être défendues en justice par un avocat.
Pour l'obtenir à Paris, il existe un bureau au sein de l'ancien Tribunal de Commerce près de Châtelet. Lorsque l'aide est accordée pour un an après la constitution d'un épais dossier, il faut bien souvent y retourner, les avocats bien qu'ils acceptent de défendre les personnes en bénéficiant, traînent longtemps pour assigner, la loi en effet ne leur permet pas de prélever un pourcentage sur les sommes d'argent obtenues. Ils ont par ailleurs leurs honoraires payés, mais il semblerait que cela ne leur suffise pas. Ayant moi-même besoin d'aller en justice pour défendre mes droits, la première avocate n'ayant rien fait tout en me disant le contraire pour me faire patienter, j'ai donc eu recours à une deuxième avocate... sur le conseil d'une association de défense de la cause pour laquelle je vais en justice. Depuis ces trois années, je suis donc devenue une habituée du lieu... où je dépose chaque fois le même dossier !
Une soixantaine de personnes, parfois plus, sont là très tôt le matin pour déposer leurs dossiers. Un appariteur surveille l'entrée du Tribunal et scane les affaires des personnes entrantes. Lors de mes précédentes visites, je me suis vue attribué un numéro, qui ensuite est affiché sur un tableau électronique. L'attente est longue.
Or lors de ma dernière visite, l'appariteur ne me donne pas de numéro, je l'interroge il me répond alors sur un ton très autoritaire et méprisant : "On est pas à la crèche ici, c'est par ordre d'arrivée !", je lui rétorque "He, Monsieur, c'est à moi que vous parlez ? avec un grand sourire", je comprends qu'un conflit lui ferait trop plaisir, je prends sur moi, je ne dis plus rien. M'étant levée très tôt, je suis la quatrième... je dois attendre une heure avant l'ouverture des bureaux. Il ne me fut donc pas difficile de me situer dans la queue. Petit à petit les autres personnes arrivent. A neuf heures, un appariteur au physique de barbouze sort du bureau et distribue les tickets, forcément les personnes arrivées plus tard vu le nombre se disputent, l'ambiance est nerveuse. Je ne comprends pas bien pourquoi ils ont changé un système qui fonctionnait bien ?
Une femme se querelle avec l'appariteur, éclats de voix, "Mais enfin Monsieur respectez moi, j'ai des droits, je veux un numéro !" l'appariteur le lui refuse, la femme devient hystérique, je ne comprends pas bien la cause du conflit, les gens s'impatientent en prenant parti contre la femme énervée : "Qu'est-ce qu'elle nous casse les pieds celle là, on est pressés nous !". J'ai l'estomac qui vrille !
Mon tour arrive, l'homme derrière le bureau examine mon dossier, puis d'un ton sec : "Madame il manque une pièce !", moi : "Pardon Monsieur ? c'est mon troisième dépôt, il me semble avoir tout mis ?", lui : "Puisque je vous dis qu'il faut tel autre papier, c'est nouveau", mais Monsieur, c'était pas dans la liste ?". Sachant que je me heurterais en pure perte, je repars...
Ce matin, dossier complet me revoilà au Tribunal. Je redoute le stress que va encore engendrer cette non distribution de tickets. Une jeune femme à qui je confie cette appréhension et mon incompréhension, me dit alors : "Oui, ils le font exprès ! ainsi quand il y a trop de querelles, ils ferment le bureau !". Quelques autres personnes s'approchent, tous sont indignés. Elle prend une feuille de papier et gentiment nous nous organisons entre nous paisiblement, nous nous distribuons nos papiers avec nos numéros avant l'apparition du cerbère et l'ouverture de ce fichu bureau. Lorsque l'homme ouvre il semble assez surpris de trouver une petite foule avec l'air calme qui s'organise sans heurts. Il commence alors la distribution des numéros officiels, front bas, air antipathique, positionné comme si il avait deux revolvers sur les hanches.
Devant moi un jeune homme avec un air assez fier, l'appariteur lui parle alors agressivement : "Montrez moi votre dossier !", le jeune homme prends la mouche : "Mais je ne comprends pas, parlez moi autrement et donnez moi mon numéro, ce n'est pas vous qui examinez les dossiers, où est le problème ?". Le ton monte, et là j'entends venant du bureau une voix féminine qui dit : "On ferme le bureau ?", le jeune homme est désemparé, impuissant, il me prend l'idée malgré ma fatigue que nous devrions le défendre.... une femme alors appelle trois numéros dont le mien, et nous entraîne plus loin devant un petit bureau vitré donnant directement sur le grand hall en marbre majestueux. J'abandonne le groupe. Une jeune secrétaire examine mon dossier, puis me dit qu'il manque la cause de l'assignation, je lui montre alors sur quel papier elle est écrite, "ah, oui, effectivement, vous avez raison", puis elle commence à entrer dans le détail de mon affaire, je suis interloquée :"Mademoiselle, excusez-moi mais cela ne vous regarde pas ? c'est mon troisième dépôt, je suis au courant !" sur ce elle me répond : "Parlez moi autrement !", cette fois ci, ma coupe est pleine, et pour ne pas devenir agressive avec elle, je me jette à genou au milieu du grand hall, puis levant les mains vers l'immense coupole, j'entonne :"Seigneur au secours, faites quelque chose, c'est trop injuste, je suis à bout, je n'en peux plus, je n'en peux plus !" devant l'air interloqué de l'assemblée qui me regarde. La secrétaire derrière son guichet s'est levée, elle me fait des gestes pour me faire revenir, elle a pas l'air franchement à l'aise, elle s'empresse d'enregistrer mon dossier et de me donner le récipissé. Me croyant dans un état hystérique, elle est alors furieuse de me voir très calme, elle me donne le papier en me disant séchement :"Et dépêchez-vous de le donner à votre avocat !", "C'est ça, merci, aurevoir Madame, merci beaucoup !". Je pars sous les regards plutôt bienveillants des personnes qui attendent encore,
je fais quelques photos du lieu par ailleurs magnifique. Je traverse la Seine et rejoins mon métro. Avant d'y pénétrer, je fume une cigarette devant cette superbe Brasserie : "Le Sarah Bernhart" !!!
Bien sûr allez-vous penser, avec l'administration c'est toujours très difficile, les fonctionnaires bien souvent y sont bornés, cela ne date pas d'hier, mais une telle stratégie me semble quand même nouvelle et inquiétante ? c'est dans ce sens que j'ai rédigé cet article...
Merci pour ton témoignage Edwige. La justice est effectivement bien cruelle dans toute son organisation. Ce sont de dures épreuves qui laissent des traces, qui écorchent la dignité, même lorsque l'on est dans son bon droit. Je t'accompagne par la pensée et le coeur, souhaitant que tu en finisse le plus tôt possible. Bon courage !
· Il y a presque 14 ans ·leo
Chapeau bas!!!!!
· Il y a presque 14 ans ·rien de plus désarmant effectivement que la "bêtise administrative"...
fallait oser!!!
elfee
il faut donc se mettre à genoux pour être entendue, ou finir 6 pieds sous terre pour n'avoir plus rien à dire? A publier largement tant le système se marche sur la tête. Merci pour ce témoignage, la justice est aussi mal en point que tout ce qui fonctionne avec l'humain pour aider l'humain
· Il y a presque 14 ans ·merielle
c'est révoltant...
· Il y a presque 14 ans ·mls
Tous les systèmes "totalitaires" se comportent ainsi, le sain d'esprit y est maltraité! Comme en H.P., le malade qui s'énerve contre une mouche, on arrive avec la piqure pour le calmer...Difficile de trouver l'attitude qui va bien, tu as réussi, bravo!
· Il y a presque 14 ans ·wombat
C'est éloquent. Ton texte parle tout seul, dans sa simple restitution des faits, de l'inhumanité qui sévit dans ces endroits dits de justice. Il semble de plus en plus qu'aujourd'hui la justice ne traduise plus grand chose de la démocratie. Je trouve salutaire que sur ce site des gens parlent de ces évènements qui nous concernent tous. Merci pour ça et @ Marcel, prévoir de se mimoletter (technique qui s'inspire de l'immolation mais où la mimolette remplace l'essence pour à la fois rappeler l'urgence de sa situation et minorer les blessures auto-infligées. ;-)
· Il y a presque 14 ans ·jones
Je pense comme Gisèle. Ce papier a sa place dans un journal, aussi, et surtout. Merci de l'avoir écrit.
· Il y a presque 14 ans ·.
Ooooh que ça énerve!!!
· Il y a presque 14 ans ·meo
Ça me fait penser à un slogan que l'on entend quotidiennement à la radio en ce moment : "Les avocats, c'est votre droit"...
· Il y a presque 14 ans ·Chris Toffans
Prévoir de s'immoler.
· Il y a presque 14 ans ·Marcel Alalof
Edwige, cet article ne doit pas rester seulement ici : tu dois l'envoyer à un journal, Mediapart ou Rue 89...
· Il y a presque 14 ans ·Gisèle Prevoteau
Comme quoi les cours de comédie aident également à se sortir des pièges de l'administration ;)
· Il y a presque 14 ans ·grenouille-bleue
La Justice en France correpond à celle d'un pays en voie de développement.
· Il y a presque 14 ans ·yl5