LA BAVURE DES SENS

thelma

LA BAVURE DES SENS

Synopsis:

Inès erre dans les allées trop sombres de sa vie. Le passé et les souffrances accumulées ont pris sa main pour la conduire dans les affres où personne ne peut y survivre sans laisser une partie de soi-même. Le prix à payer pour ressentir ce que les autres ne sont pas capables de voir…

Des milliards de sensations la conduisent chaque matin à voir le monde autrement. Elle aime démesurément et se balade dans une réalité tronquée où elle se sent maître de son destin et à la merci de cet amour. Elle parcourt des vies différentes, des amis hétéroclites et les amours complémentaires composent sa toile. Elle va aimer tellement que le surnaturel viendra la chatouiller amoureusement et cyniquement…Une belle histoire d’amour jonchée de controverses mais où aucun compromis n’est possible.

L’amour renferme en sa magie la passion, les illusions, le silence, la  dépendance, les instants volés, l’exaltation, et aussi… la fuite….

L’amour est une bavure des sens…

Premier chapitre du roman:

Au réveil, je pris conscience qu’il devenait insupportable de garder ce secret qui commençait à m’étouffer, à serrer ma gorge de plus en plus souvent. Son poids me tétanisait et me rendait vraiment maussade. Des mois entiers à vivre dans le mystère au risque de finir par me flétrir, alors que je ne vivais que pour exulter, sentir, goûter et rire. Peu de gens me ressemblait, à part Lisa sans doute. Cette douce amie un peu déjantée à qui j’avais, jusqu’alors, confié toutes mes pensées ou presque. On s’était rencontré par hasard quand nos parcours professionnels s’étaient rejoints, en dehors de toute affinité particulière de prime abord. Lisa était une perle, une femme-enfant qui agrémentait la réalité pour toujours vivre le mieux quoiqu’il arrive. Ses côtés “petite fille” éclataient de mille joyaux au contact de sa profonde maturité.

Tout en me lavant, je pensais qu’il était près de moi. Je devinais son absence. Toutes ses manifestations étaient venues à bout de ma capacité à encaisser sans broncher. Cela faisait maintenant trois mois que je vivais hantée par un être invisible mais que je percevais dès qu’il décidait une apparition. Je me demandais souvent pourquoi il avait choisi de se révéler à moi. Rien d’hostile n’émanait de lui jusqu’à présent, bien au contraire. Mais je me renfermais à force de porter ce lourd secret. Je ne voulais pas sombrer dans la folie sans témoin. Quelle entité pouvait s’attacher à me tourmenter à ce point? C’était entendu, il fallait que je puisse voir Lisa et tout lui dire. J’avais rendez-vous avec elle. Elle oserait me comprendre. Mes yeux mi-clos ne goûtaient plus que la chaleur émise par la buée qui s’écoulait sur mon visage. Après la torpeur, mes mains tremblaient en me maquillant et m’habillai avec soin pour cette entrevue déterminante.

Pour annoncer de tels faits, je devais éviter ma spontanéité, mon emportement naturel puisque ce que j’avais à lui dire risquait de la choquer profondément.

Je paniquais à l’idée que plus rien ne puisse ensuite modifier son premier jugement dès les premiers mots lâchés.

L’homme que j’aimais était absent aujourd’hui et je supposais qu’il ne ferait que de brèves apparitions. Le soleil était haut dans le ciel. La neige abondante recouvrait de son voile blanc toute la réalité qui m’entourait. Tout semblait plongé dans un profond sommeil. Les pas amortis des promeneurs dans cette beauté immaculée allaient et venaient  au gré de mes pensées tout en me berçant.

En rangeant la vaisselle, je pensais à Gabriel, mon homme, si dur parfois.Cette rudesse qui pouvait, par moment, me rassurer et à d’autres, m’accabler sans qu’il puisse s’en rendre compte. Moi qui me sentais parfois princesse quand lui se révélait ogre. Je ne pouvais que m’en accommoder sans rien dire. Gabriel n’imaginait pas, n’avait pas conscience de tout ce qu’il tenait entre ses mains. Il aurait pu me rendre heureuse à chaque seconde, s’il n’avait pas été inapte au bonheur. Il esquissait et puis, sans que rien ne vienne troubler cet état, il esquivait. Lisa n’ignorait pas ce qu’il représentait pour moi, mais elle savait que plus d’attention et de caresses m’étaient vitales. La tendresse n’était pas son for, alors que je puisais ces prémisses dans la fugacité d’un de ses regards et dans sa façon de me dire subitement : “ quelque chose ne va pas?”.  Au départ, mes sautes d’humeur ne trouvaient leur issue que dans l’infime démonstration de l’amour qu’il pouvait me témoigner un court instant.

Je me persuadais souvent que mes excès de déprime n’existaient que pour qu’il me voie.

Enfin là n’était plus le seul problème. C’était devenu insidieux, s’imposant en moi sans que je ne le recherche.

Avant de partir, je fermai les volets, déambulai dans chaque pièce pour procéder aux dernières vérifications d’usage. Cette maison me mettait mal à l’aise.  Bénédicte, celle que Gabriel avait tant aimé avant moi, avait vécu ici. Drôles de situations.. je ne pus m’empêcher de ricaner nerveusement en me demandant qui était capable de gérer pareilles conjonctures sans se poser de questions. Je ne pouvais qu’en tirer la conclusion que c’était impossible au moment où je verrouillai la maison.

Nous avions rendez-vous dans ce café où j’aimais me rendre quand les forces m’abandonnaient et que j’exorcisais en métaphores sur un coin de table. Je pouvais y passer des heures entières, à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit, pourvu que je puisse mettre des mots sur ce qui me terrassait. En ce lieu, j’avais pleuré et tant souffert à travers mes mots, mes textes noirs qui devenaient les témoins de la futilité de mon existence. Seul exutoire pour retrouver dehors la vie d’avant mes peurs. Dans cet endroit, j’avais aussi passé des moments magiques avec mes amis. Des soirées qui se terminaient en son sein comme le loup rentrant sa tanière. Se sentir dans son élément au milieu des rires et des impertinences comme dans la douleur, représentait pour moi le cheminement vers l’acceptation de soi.

Lisa était en retard. Je la cherchais des yeux, en vain, et me dirigeai vers la table où j’aimais me poser. J’avais alors une vue imprenable sur tout l’établissement tout en étant dans la discrétion des regards. J’observais les visages et imaginais quelle était leur vie. Les serveurs me connaissaient et ne s’embarrassaient jamais à venir me faire la conversation. Une habituée dans son QG, voilà ce que j’étais. Mon anxiété augmenta  d’un coup. Comment allais-je pouvoir lui annoncer une telle ineptie? A mesure que les minutes défilaient, je reculais le moment des aveux. Enfin, Lisa entra. Rayonnante comme à l’accoutumée, révélant son plus large sourire dans la tenue la plus excentrique qui soit. Pourtant, elle savait lire dans mes yeux la douleur imperceptible qui dégageait de mon regard, recroquevillée sur le fauteuil et son sourire se figea quelque peu.

-“Comment vas-tu ma belle? Gabriel fait encore des siennes? Tu sembles toute triste et désemparée.”

Je répondis le coeur serré que cela n’avait rien à voir. Enfin, si quand même.. mais qu’une dimension nouvelle s’était ajoutée dans ma vie.

-“ je ne sais pas comment t’expliquer ce qui m’arrive. Tu vas me prendre pour une folle!”

-“mais folles, nous le sommes déjà” s’esclaffa Lisa..

-“ Et puis, tu peux tout me dire. Tu le sais. Je t’écoute”

Je n’osais pas lui avouer tout ce que je vivais de but en blanc. Trouver la parade pour choisir un détour qui ne brusquerait pas ma meilleure amie dans ce qu’elle allait entendre.

-“ Tu te souviens, il y a quelques années, cette relation singulière que j’avais vécu avec un homme rien que par l’entremise des mots? Des échanges écrits journaliers qui ont fait, que même sans se toucher, on s’est connu par coeur?”

 Lisa, perplexe, ne voyant pas où je voulais en venir se contenta de dire:

-“Oui, bien sûr. Je suis au courant. C’était magnifique. J’ai adoré lire votre histoire. Tu aurais dû en faire un livre d’ailleurs. Mais quel est le rapport?”

là-dessus, ébahie, elle rajouta: -“Il y a quelqu’un d’autre dans ta vie?”

-“Mais non, pas du tout! Que vas-tu t’imaginer?”

-“ Oui, tu as raison. Tu préfèrerais rester maso jusqu’au bout. Tu l’as trop dans la peau de toute façon! Alors qu’est-ce-que c’est?”

-“C’est grave! Je perds la tête !”

- “Sois plus explicite s’il-te-plaît. Tu commences à me faire peur”

 C’était le moment. Je lui expliquai tout, sa présence, sa façon de se manifester quand tout démissionnait autour de moi, sa complémentarité  parfaite avec Gabriel… Lisa écoutait sans ciller. Puis le silence se fit et ne fut rompu que par l’apparition du garçon. Nous en profitâmes pour commander une boisson alcoolisée comme pour tenter de justifier l’ivresse de nos sens qui nous inondait d’un coup. Nos joues cramoisies par le vertige du secret amplifiaient le regard brillant qui nous unissait. A cet instant précis, me rendant compte de tout ce que je lui avais dit, je jetai un coup d’oeil alentour pour m’assurer que je n’avais pas été écoutée puis je baissai les yeux pour me perdre dans mes rêves en me demandant s’il était là, témoin de ma trahison. Lisa fixait mon visage intensément. La gêne tellement perceptible fit fuir le serveur qui se retourna trois fois sur nous avant de disparaître en cuisine. Les larmes perlaient au coin de mes yeux devant l’absence de réaction de Lisa et je me trouvai complètement stupide, comme lorsque j’écrivais mes folies noires d’un monde que personne ne comprenait. Une fois de plus, incomprise. Etais-je de ces femmes qui traversent la réalité des temps dans un univers que personne ne parvenait à percevoir?

Lisa sentit ma détresse et se ressaisit.

-“Mais ce truc…enfin.. ce qui t’arrive.. ca dure depuis combien de temps?”

-“Trois mois environ.”

-“Tu avais connu un truc pareil auparavant?”

-“Non, jamais!” étouffai-je

-“C’est dingue! Mais si ce truc existe, c’est qu’il y a une raison. Rien ne se fait au hasard..” conclut Lisa.

 Nous nous sommes tues. Une dame âgée nous épiait derrière sa tasse de thé mais nous ne savions pas depuis combien de temps son petit jeu durait. Pourtant, la mine déconfite de la vieille dame en disait long. Devant l’ironie de la situation, un fou rire bruyant vint rompre le silence. Notre fou rire s’éternisait et le patron en profita pour nous offrir un autre cocktail pour célébrer, sans doute, ce retour à la normale. Rien ne parvenait plus à nous stopper. Dans cet élan, nous ne pouvions que nous remémorer nos virées en ce lieu que nous jugions magiques. On y avait vécu nos plus grands secrets et tant de délires. Lisa connaissait l’importance du partage dans l’antre où je venais écrire. Un panel d’émotions qui me composaient trouvait refuge ici. Le plaisir comme la douleur. J’aimais répéter que chacun devait prendre la peine d’entrouvrir les portes de son âme pour y faire cohabiter sans peur les facettes obscures avec le reste. Ne rien refouler, chercher et les connaître pour faire émerger un ensemble singulier mais entier. J’aimais le tout chez les autres. Lisa me disait souvent que c’était de l’abnégation et des souffrances inutiles mais m’admirait devant tant d’acharnement. Mais elle savait aussi que les désillusions parviendraient, un jour, à noyer mes yeux noirs.

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