La foire aux cocus
le-fox
Ce type, Traîne-Nougats, nous l’avions tous dans le collimateur depuis longtemps. Madrigaliste de son état, il passait ses journées à trousser des vers pour aller ensuite les déclamer à nos femmes, ce qui n’aurait point eu une grosse importance en soi si cela ne nous avait fait pousser des cornes.
Au début, nous trouvâmes la chose plaisante ; ces attributs de cervidés, bien que nous privant de l’usage de nos casquettes, nous donnaient un port de tête altier, d’une élégance recherchée, d’un raffinement subtil. Toutefois, les inconvénients d’arborer une telle parure commencèrent à nous apparaître dès qu’une certaine envergure fut atteinte. Un tel arrachait les affiches dans les couloirs du métro, un autre rendait son voisin hémiplégique d’un simple hochement de tête, un troisième encore emportait les lustres de ses amis qui du coup ne le réinvitaient pas. Le comble fut atteint, la coupe fut rase lorsque Fouille-Bidets, d’un geste maladroit, éborgna l’iguane apprivoisé de Mort-aux-Vaches, lequel tenait à son iguane pour des raisons ignorées mais très certainement valables quoiqu’un brin futiles.
- Pendons-le, hurla Mort-aux-Vaches ! Pendons-le, ce mauvais drôle, ce fétide malfaisant dont l’haleine embaume l’ail tourné, et que nos pissats dissolvent sa carcasse !
Nous dûmes le freiner un peu dans son élan vengeur, en admettant toutefois que l’écornifleur méritait que l’on s’attardât sur son cas. Certains parlèrent d’une correction solide, administrée sans haine mais avec détermination, une de celles qui font réfléchir. D’autres ripostèrent qu’un énergumène de la trempe de Traîne-Nougats devait en avoir déjà reçu de ce calibre, et serait par conséquent peu perméable aux arguments développés par ce traitement “de gonzesse“, ce qui vexa les premiers.
- Ce ne sont pas quelques chiquenaudes qui l’amèneront à raison ! Passons-le aux brodequins, au tourniquet, à l’estrapade !
Voyant que le clan des ultras et que celui des pacifistes semblaient inconciliables, un sage suggéra l’administration d’une bastonnade en règle, en faisant remarquer que cela conservait le principe de la simple rouste, tout en lui ajoutant le supplément d’âme exigé par les moins timides. On tomba d’accord sur le principe, sans décider sur l’instant des détails : fallait-il que les bâtons fussent ferrés ou non, ou bien entourés de fil barbelé, ou encore les deux.
Après réflexion, à l’exception de Mène-à-Rien qui, souffrant d’une maladie neurovégétative d’origine existentielle, s’arma d’une banane trop mûre, et de Coupe-Sifflet, qui avait hérité de son grand-père, gendarme à Redon, une matraque rétroactive à trois vitesses dont une de sédimentation, nous optâmes pour de fines badines, propres à cingler proprement le rimailleur, et à laisser de cuisantes traces sur le fondement de ce bélître.
- Allons lui concasser l’arrogance, lui ensevelir la superbe, à ce verbieux de basse langue ! Qu’en sortant de nos pognes, il ne ressemble plus qu’à un caca d’auroch !
Ainsi s’exprima Mort-aux-Vaches, se faisant l’interprète de l’ire collective, et d’un seul élan nous partîmes réparer l’outrage, ardoir le fignedé de l’importun. Ce jour allait, de notre pas décidé, entrer la tête la première sinon dans l’Histoire, du moins dans la factidiversialité.
Bientôt, nous entendîmes le tintement aigrelet caractéristique d’un madrigaliste accordant sa lyre sans se soucier de la gêne que cette stridence pouvait occasionner aux tympans délicats. Nous touchions au but, et allions corriger le vilain de si belle manière qu’il irait se cacher jusqu’au restant de ses jours et même davantage dans les replis les plus secrets de la fesse cachée de la Lune, lorsque Façon-de-Causer, et avec elle l’entière totalité de la gent femelle du coinstot, s’interposa.
- Fi donc, messieurs nos cocus. N’auriez-vous point derrière le pois cassé qui vous tient lieu de cervelle quelque funeste projet, l’un de ces desseins honteux dont vous êtes coutumiers ?
Ayant remarqué qu’elles portaient chacune à la main, de façon négligente, mais ferme, une manivelle de fort calibre, nous nous concertâmes afin de décider s’il convenait de risquer nos os dans une rixe à l’issue douteuse. Chacun connaissait sa chacune, et la savait fort capable de voies de fait en cas de contrariété aggravée. Ainsi réunies, elles valaient bien un régiment de bachi-bouzouks, de janissaires.
- D’amazones s’appliquerait mieux, dit Pousse-Caillou, qui savait l’histoire universelle, et ne manquait jamais une occasion de nous faire passer pour béotiens.
Nous allions nous aventurer dans l’épineux labyrinthe des conjectures, éclairés de nos seules expectatives, lorsque Façon-de-Causer s’exprima derechef et en ces termes :
- Vous n’êtes que benêts et bons à lape. Que ne le faites-vous cocu à son tour, notre faiseur de vers, plutôt que de le traiter de si malefaçon ?
L’idée parut bonne, et la suite serait plaisante à narrer si la bienséance ne l’interdisait. Que l’on sache simplement que jupons et braies volèrent haut, et que de mémoire à l’entour on ne vit si grande foutrerie.
Ce ne fut point pour autant que nous perdîmes nos cornes ; mais au moins, Traîne-Nougats porta désormais les mêmes. Quant à nos femmes, l’usage alternatif de leur gredin et de leurs légitimes améliora grandement leur caractère.
C’est ainsi que, faute d’incident notable, nous entrâmes dans le dimanche de la vie.
On en imaginerait bien une mise en scène sur les planches d'un festival d'été, le langage est fleuri comme il convient, la prose est belle !
· Il y a plus de 12 ans ·Jean Louis Michel
Ah : un érudit ! Oui, La tour des miracles n'est pas loin...
· Il y a plus de 12 ans ·le-fox
y a du Brassens dans la tour des miracles, j'adore cdc et encore bravo
· Il y a plus de 12 ans ·franek
bravo, quel style :-)
· Il y a plus de 12 ans ·lounalovegood
c'est foutrement bien troussé...
· Il y a plus de 12 ans ·woody
Ah mais voilà de quoi apporter la paix dans les chaumières!
· Il y a plus de 12 ans ·sophie-l
excellent ! et dans le style et dans l'abordage
· Il y a plus de 12 ans ·cdc
reverrance
Je dois dire, à l'égal des compères et commères du dessus que........J' ADORE !!
· Il y a plus de 12 ans ·j'ai en plus, appris des mots !
CDC géant et oui, j'ose !!! ENCORE !!!
lyselotte
Super ! Génial ! :-D Vive les grandes foutreries !
· Il y a plus de 12 ans ·apophis
C'est du Fox Villon! "ardoir le fignedé de l'importun"... superbe! tout le texte est un pur régal...Chapeau bas Messire!:-)♥♥♥
· Il y a plus de 12 ans ·Jean Teulé n'a qu'à bien se tenir... gros concurrent en ligne!
Elsa Saint Hilaire
Tout juste Génial ! Quel univers ! Entre le conte et la fable, en plus grivois. Tu me donnes envie d'écrire sur un cocu que je connais bien ...
· Il y a plus de 12 ans ·Léo Noël