L'addiction.

zoeylou

Mon amour, je t'écris pour te rassurer : le docteur m'a sauvé la vie.
Il m'a trouvé le teint fatigué, les doigts torturés. Mes ongles rongés, mes cernes incurvées, lui ont mis la puce à l'oreille. Il a pris des tours et des détours avant d'oser planter ses yeux bleus acier au fond des miens et de poser sa question. La question. Mon amour, on aurait dit qu'elle le brûlait. C'est drôle, si drôle, je ris en y repensant, pardon, tu ne vas plus rien comprendre si je ris tant et plus. Il m'a demandé si j'avais des problèmes. J'ai sourit, et pensé : il y aura un soupçon de lumière au fond de mon regard, ce soupçon suffira a balayer les siens. Mais non, il a été plus loin. Il croit que je suis une camée. Il n'osait pas s'avancer, mon amour. Il a proposé l'alcool, il a suggéré la drogue, s'est repris, a parlé d'un usage doux, envisagé, apeuré, un usage fort. Ca m'a fait mal, tu sais, mon amour. Il a mis le doigt sur ce qui me consume, sur le fait que je sois dépendante, une vraie addict. Ce qui m'a fait si mal, c'est que jamais il ne connaîtra l'objet de mes tourments. Tu sais, mon amour, j'aurais pu lui dire que non, je ne fume pas, ne bois pas à outrance, ne me drogue pas, que mon teint vieilli, mes cheveux abîmés d'avoir été trop souvent tirés par tes doigts emmêlés et mes tremblements viennent d'ailleurs, mais à quoi bon. J'ai hoché la tête, et j'ai dit oui, oui, oui.
C'était terriblement libérateur, la douleur qui m'a prise été salvatrice.
Les convulsions ont commencé, les larmes ont roulé, mais je riais toujours. Et si, prétextant une addictions réprimée, on me débarrassait enfin d'une passion jalousée de tous ? Après tout.. Je suis malade, mon amour. Il faut que l'on me soigne. Je craignais qu'ils ne découvrent le pot aux roses, en signant ce papier qui permet mon internement dans ce centre de désintox'. Comment pourraient-ils ne pas remarquer que mon organisme est sain, que c'est ailleurs que tout débloque, ailleurs que le manque me bouffe, me creuse le corps, le cœur et l'âme, si l'on en a vraiment une. Je me suis affolée pour rien, mon amour. Ma voisine de chambre, explosée par trop d'héroïne et de cachets est presque plus jolie à regarder que moi. J'ai cru devoir mimer son martyr, affiner mon don de comédienne, mais non. Etre loin de toi a suffi. Mon corps s'est tordu, contracté, je me suis arraché les ongles et des poignées de cheveux, j'ai hurlé qu'on me prenne, qu'on me baise, qu'on me déchire le corps, j'ai supplié qu'on me relâche, j'ai déversé mon manque de toi. Je n'ai rien surjoué, le naturel a suffi. Tu sais, mon amour, le manque physique est d'une violence inouïe, mais il ne dure pas si longtemps. 5 jours ont suffi pour laver mon organisme de toi. Je t'ai vomi, je t'ai chié, de chaque parcelle de mon corps il a fallu t'extraire, j'ai cru en crever cent fois. Mais je suis là, je me tiens, faible, mais éveillée, devant cette lettre que je t'adresse. Mon corps va mieux, même s'il est à reconstruire. Il me reste à soigner mon accoutumance à tes mots, mon assuétude à tes désirs. Mon corps est encore un toxico, et je crois qu'un jour, j'irai aux alcooliques anonymes, fêter chaque jour passé sans toi. Il n'y aura que moi pour savoir que derrière la sentence habituelle : « je n'ai pas touché une goutte d'alcool depuis trois mois, deux semaines et un jour » se cache une autre déviance.
Pardon, mon amour. Je sais tous ces couples heureux de se perdre l'un dans l'autre, de se noyer, éperdus, trempés, dégoulinants de bonheur. Pardon, mon amour, je sais que nous, on aurait été au dessus de la liesse habituelle. Pardon, mon amour, je sais ta perfection, pardonne ma défection. Je t'abandonne, et cours me retrouver. Pardon, mais c'est si bon, mon amour.

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