le déjeuner sur l' herbe
anna-c
C'était juillet. « Elle venait d'avoir dix- sept ans........ »
Elle en éprouva une drôle d'émotion, de trouble. Cela l'étonna tout de même. Elle avait eu seize ans pendant des années lui semblait-il. Seize ans c'est un beau chiffre, on aimerait le voir durer. Seize ans, cela vous transporte, depuis vos quinze ans à vos seize, puis comme une balançoire sous des cerisiers, de seize à quinze de nouveau, et cela va et vient toute une année qui vous parait des siècles..
A présent, elle était passée de l'autre côté, avec ses si frais et pétillants dix-sept ans, elle pouvait remiser ses rêveries d'éternité et d'amours célestes, et entrer de plain pied dans le concret.
Bien sûr qu'il le fallait bien. Si elle ne voulait pas être la risée de ses camarades plus au fait. Si elle voulait intégrer le club des initiées. Et cesser d'avoir l'air gourde.
En vérité, ce n'était pas que cela.
C'était son corps changé, grandi, ses jambes croisées et décroisées, décroisées et recroisées, sa chemisette tendue sur ses seins gonflés, c'était ce fourmillement, cette tension dans les reins, ce besoin de mouiller de la pointe de sa langue ses lèvres agacées, une fébrilité dans les doigts qui leur faisait aller chercher sous la jupe, un coin de peau plus doux qu' ailleurs, c'était ce qui montait de son ventre jusqu'à sa tête, au point d' envahir la moindre de ses pensées d'une incandescence inouïe.
Il faisait chaud ce jour là. Elle s' éventait avec le bas de sa robe, qu'elle soulevait en cadence laissant l'air s' engouffrer entre ses cuisses et comme elle se penchait en avant pour profiter de la fraîcheur opportune, son corsage baillait mollement sur ses seins nacrés.
Nous étions assis dans l'herbe. Devant la petite chapelle. Nous riions en buvant du vin dans des verres en plastique, quelques uns chantaient, d'autres s'égayaient sous les arbres en quête d'ombre ou d'une source, peu à peu nous nous retrouvâmes seuls elle et moi, ivres de rires et du chant des cigales dans la torpeur de l'après-midi d'été.
Elle avait fini de parler et de rire. Elle restait à présent comme hébétée, la bouche entrouverte, avec encore au coin des miettes du gâteau. Son chemisier défait sur sa gorge, et la transparence du tissu me tenaient en haleine. Tout le temps qu'elle avait parlé d'ailleurs, j'avais beau m' être appliqué à l'écouter, puis à faire semblant de l'écouter, puis à ne plus même l'entendre du tout, j'étais demeuré obsédé par ce qu'il m'était donné de voir, ou de ne plus voir et de revoir encore, entre les plis et les béances de la soie. C'était comme une mer moutonnante, et l'écume perle de sa peau jouant à cache-cache avec l'invisible avait fini par me rendre fou. Je me retenais d'aller mettre mes mains ou ma bouche dans tous ces frous-frous blancs déjà en désordre et froissés, qui semblaient d'ailleurs n'attendre que de l'être plus encore...
Elle voulut articuler une phrase, qui du fond de sa gorge se déchira et s'éparpilla en fins nuages d' une mousseuse barbapapa, dont je recueillis sur sa bouche quelques bribes insensées, ce n'étaient plus des mots, mais des lambeaux d'un langage hermétique, qui ne signifiaient plus rien, des mots dissous qui se fondaient dans l'air chaud ou flottaient sur nos têtes.
Son regard était devenu comme opaque. La pupille dilatée comme l'oeil d'un serpent me fixait en silence et me happa.
Il y avait la chapelle, là, derrière nous. Sa fraîcheur, son intimité, son secret.
Je la pris par la main. Elle me suivit. Instant mou et suspendu . Le soleil semblait s'être arrêté au-dessus de nous, l'air se fit rare encore davantage, même les cigales se turent.
Derrière l'autel, simple table de marbre, c'est là que je soulevai enfin ses voiles et goûtai au calice. Entre la honte et le plaisir elle ne cessa d'invoquer Dieu. Moi j'embarquai pour Cythère sur un vaisseau chargé d'or.
Un texte d'un romantisme léger, sensuel, émouvant ! Comment se fait-il que je l'ai loupé ?
· Il y a presque 5 ans ·Louve
Je reviens vous lire avec plaisir: Instant mou et suspendu...
· Il y a presque 5 ans ·beau voyage... Dieu a peut-être souri que son autel soit confondu avec hôtel, -- il n'en a pas pris ombrage... sans doute vaut-il mieux que les êtres s'aiment plutôt qu'ils ne se déchirent .. autrement pour les espaces plus secrets, il y a toujours le confessionnal ( mais on y est à l'étroit à deux et pas au confort non plus)
rechab
Rien ne vaut le radeau de lit... Pour un septième ciel...
· Il y a presque 5 ans ·Cependant, on peut hisser la grand' voile où bon nous semble...
Dieu qui en a vu d'autres sera toujours plein de mansuétude !
anna-c
La poésie a un 2/3 du vrai et 1/3 de l'imagination
· Il y a presque 6 ans ·ventvert
:)
· Il y a presque 6 ans ·anna-c
une belle écriture , et on a envie de savoir encore plus et on lit plus vite et tout est bien raconté ,ce brin de sensualité en finale ,bravo
· Il y a presque 6 ans ·ventvert
oh merci !!!!
· Il y a presque 6 ans ·il y a aussi des "tiroirs" qu'on invente et dieu que c'est bon aussi
anna-c
C'est du propre de faire des cochonneries dans la maison du seigneur :-)
· Il y a environ 6 ans ·Lady Etaine Eire
les brebis du Seigneur s'égarent bien souvent, on le sait, alors les cochons tu penses !!!
· Il y a environ 6 ans ·Soyons pleins de miséricorde !
anna-c
:-)))
· Il y a environ 6 ans ·Lady Etaine Eire
ah les brebis du seigneur s'égarent souvent on le sait, alors pourquoi pas les cochons qui ne sont pas en reste !
· Il y a environ 6 ans ·soyons pleins de miséricorde !
anna-c
Un déjeuner à consommer sans modération ;-))
· Il y a plus de 6 ans ·Maud Garnier
Maud, je découvre ce soir votre joyeuse remarque !!!
· Il y a plus de 6 ans ·merci pour ce bel appétit !!!!
anna-c
Ah ! La musique: le Alleluija. La dernière mesure de la cantatrice évoque l'extase. Physique ou divine... J'ai en tête depuis longtemps un argument de ballet: Une danseuse évolue sur cet Alleluja, de plus en plus bouleversée, et s'évanouit à cette dernière mesure.
· Il y a plus de 6 ans ·L'argument, vous le savez sans doute, c'est en quelque sorte le livret du ballet...
astrov
Un argument .......de choc........esthétique !
· Il y a plus de 6 ans ·J'aime déjà.
anna-c
Jolie description impressionniste. On peut à tous moments invoquer Dieu, belle marque de piété.
· Il y a plus de 6 ans ·Derrière l'autel ! Pas SUR l'autel, car le marbre c'est froid et pas confortable... J'dis ça, mais j'en sais rien...
Dans mon dossier "haïkus de pinceau", j'ai évoqué ce tableau "Le déjeuner sur l'herbe". J'aurais bien aimé être à cette époque et voir le super scandale que fit cette oeuvre !
astrov
Oui. Osons encore de fiévreux déjeuners sur l'herbe, osons de somptueuses extases sur de rafraichissantes tables de marbre !
· Il y a plus de 6 ans ·Tout oser, tout bousculer, tout renverser encore avant de bientôt "plonger dans les froides ténèbres"....!
anna-c
très belle réponse !
· Il y a plus de 6 ans ·rechab
Oh Chab, sans doute un moment de fébrilité que cette réponse ardente !!!! Mais il y a aussi les jours sans. Ou l'idée de tout bousculer fait si peur …...qu'on reste coi
· Il y a plus de 6 ans ·et froid comme le marbre !
merci pour votre tardif et bienvenu passage ici !!!
anna-c
Superbe , en finesse, au souffle enivrant de l'interdit, j'adore !
· Il y a presque 7 ans ·Patrick Gonzalez
j'adore quand on adore ! merci vraiment de votre enthousiaste accueil à mon petit texte
· Il y a presque 7 ans ·je vais aller lire les vôtres bien sûr
anna-c
j'adore que l'on adore être adorée ;)
· Il y a presque 7 ans ·Patrick Gonzalez
:)
· Il y a presque 7 ans ·anna-c
Le fantasme c'est ce que l'on a de mieux à seize et à soixante aussi ! :o) Cela aide à avancer dans la vie. C'est adroitement écrit. (Pas mon com, le texte lol)
· Il y a presque 7 ans ·daniel-m
Ha la chair , réceptacle éternel des plus belles émotions, des plus beaux souvenirs et de l'âme aussi qui englobe le tout :nous les êtres humains, faits de chair et de sang !
· Il y a presque 7 ans ·Pierre Gravagna
gourmand et léger,,,j'aime !
· Il y a presque 7 ans ·Patrick Gonzalez
Pour un pique-nique en pente douce................
· Il y a presque 7 ans ·Merci d'avoir aimé
anna-c
Bien :)
· Il y a presque 7 ans ·Mario Pippo
c'est laconique c'est succinct c'est bref mais.........c'est bien :)
· Il y a presque 7 ans ·anna-c
Une très belle écriture pour des émois qui émoustillent.
· Il y a presque 7 ans ·J'aime beaucoup l'atmosphère... allez... mon coup de cœur !
vegas-sur-sarthe
des zémois des zémotifs des zémoustilles des zatmosphères ! merci merci pour votre coup de cœur !
· Il y a presque 7 ans ·anna-c
Anna au meilleur de sa forme !
· Il y a presque 7 ans ·C'est comme dans les tableaux du Douanier Rousseau ou bien sous les tonnelles de Nogent.
A écouter derrière la chapelle :
https://youtu.be/vkR7u_sOtHI
dechainons-nous
et hop j' ai mis Ringo dans les oreilles, et j'ai 16 ans de nouveau !!! merci de ta collaboration ! On a besoin de complices .......Un petit verre de vin sous la tonnelle ?
· Il y a presque 7 ans ·anna-c
Le gringo c'est une vraie star !
· Il y a presque 7 ans ·Je me laisserais bien tenter par un vin chaud sur une cime :)
dechainons-nous
Très frais, très délicat et léger malgré son "irrévérenciosité" ;)
· Il y a presque 7 ans ·reverrance
Tu connais pourtant ma grande pudeur toi ! Je ne vais jamais bien loin en la matière ; n'est pas Anais Nin qui veut ! mais bon je ne suis guère ambitieuse, juste cette histoire qu'on m'a un jour narrée ! elle m'a enchantée... Faire des frasques au pied d'un autel dans une chapelle, ça a quelque chose du sacrilège : Charlie adorerait
· Il y a presque 7 ans ·anna-c
Ce déjeuner sur l'herbe vaut assurément un petit coup de coeur et d'une certaine façon fait penser au tableau de Maner, ce tableau qui connut bien des vicissitudes, qu'il fût appelé le Bain ou la Partie carrée... Votre déjeuner ne s'est peut-être pas terminé ni par un bain ni par une partie carrée mais par un embarquement pour Cythère, en compagnie de Poulenc peut-être ou de Watteau !
· Il y a presque 7 ans ·menestrel75
Bonjour Menestrel et merci de votre attention ! bien sûr que les déjeuners sur l'herbe sont un bonheur ! ils laissent le champ libre à toutes les échappées !!! chez nous, on dit que les jeunes gens sont partis "dans les tousques" quand on les voit ainsi disparaître derrière les bois puis revenir échevelés un peu plus tard :) ...Monet était plus explicite encore !
· Il y a presque 7 ans ·Manet aussi s'est risqué à peindre à son tour un autre déjeuner sur l'herbe. Pour ma part, et pour illustrer mon petit texte, j'ai opté pour l'œuvre "bleue" de Picasso, que j'adore....Côté "irréverence", il était un Maître lui aussi !
Je vais écouter Poulenc...........merci pour la piste
anna-c