Le mari de la voisine
riatto
Le vieux de la voisine va mourir.
C'est pour bientôt, elle me l'a dit. La tête et les épaules penchées vers l'avant, le regard dans le vague. La voisine est vieille elle aussi, d'une vieillesse qui parle toute seule. Je l'ai croisée sur le palier, en attendant l'ascenseur.
Aux politesses d'usage elle a rajouté timide "c'est pas facile en ce moment". Comme je restais silencieux, elle a souri pour s'excuser et a repris, les yeux plantés dans la moquette.
_ C'est mon mari vous savez, il est vraiment en bout de course...
Je n'ai rien trouvé à répondre et l'ascenseur est arrivé.
Elle est montée avant moi, déterminée. C'est étrange comme les vieux se courbent pour se rapprocher du sol. On dirait qu'ils sont attirés, comme si la Terre les aspirait.
Ils s'habituent à l'idée d'être engloutis, bientôt.
La voisine ne sort plus tellement. Descendre ramasser le courrier, remplir un petit sac de courses, remonter au vingt-huitième en saluant de sa voix blanche.
Ses pensées, sa tête restent ailleurs. Dans un ailleurs d'avant, lointain, qui s'efface en pâlissant. La peau de ses bras fait des plis, on dirait une fleur séchée. Un souvenir qui ne tient plus en l'air. Elle ressemble à la moquette, aux motifs presque invisibles, à la lumière jaune du palier, à la fin de la minuterie, à tout ce qui va bientôt s'éteindre.
_ Vous savez, tout le monde est venu... Même l'arrière-petite-fille, celle qui a eu un mois ce week-end, venue tout droit du Canada, ça fait loin pour un bébé...
La porte s'est ouverte sur le hall. La vieille a glissé sur le marbre, je la suivais sans la suivre. Elle ne m'a pas tenu la porte, elle a juste disparu dans un souffle au coin de la tour.
Je l'ai retrouvée à la caisse, dans la queue juste devant moi. Elle a posé des olives sur le tapis roulant, en panne.
Faire tout ce chemin pour des olives... J'ai pensé au vieux seul là-haut, dans le salon à l'attendre. Et si c'était la dernière fois ? Le dernier sachet d'olives, un petit sachet de rien du tout. Une portion pour les oiseaux, pour les souris, et encore. La vieille a compté l'appoint, a refusé le sac plastique en s'excusant d'aller lentement. Je n'avais rien à faire de précis, j'ai pris mon temps pour lui sourire. A quoi bon ? La voisine n'entend plus vraiment. Les mots, les sourires, les gens. Elle ne retient plus la porte derrière elle depuis longtemps. Fatiguée sans doute de ces choses. Elle pose encore quelques questions, mais s'enfuit avant les réponses. Quel intérêt ?
Je l'ai retrouvée dans le hall, attendant l'ascenseur, encore. Elle m'a regardé par en dessous. Ses lunettes posées de travers au bout, mais alors tout au bout de son nez. Penchant la tête sur le côté. La voisine a toute sa tête. Elle dit que son mari aussi. Qu'il a pas voulu d'hôpital. Qu'il a toujours été comme ça, en souriant, qu'on le changera pas aujourd'hui. Je souris encore, sans répondre. J'ai le sentiment que tous les mots seraient des mots de trop alors je me tais. J'appuie sur le vingt-huitième, les portes se ferment, une clochette sonne.
On se sépare sur le palier, bonne journée, bonne soirée, au revoir.
Pendant que j'attrape mes clefs, la porte de la voisine se ferme, me laissant seul sous l'ampoule jaune. Les grosses fleurs de la moquette se ratatinent sous mes pieds. On ne voit presque plus les dessins, plus que le contour des ombres.
Emportées les fleurs exotiques, comme les couleurs dans la machine.
Des fleurs d'une espèce disparue, rangée au coeur d' un catalogue avec d'autres échantillons. Dans les archives poussiéreuses d'un entrepôt de la zone. La crise a été terrible, surtout pour les marchands de moquettes.
Tout a fâné en un rien de temps. La vieille voisine et son mari, le chat, les chatons devenus gros, les géraniums et les olives.
Moi ? J'étais descendu comme ça, acheter des chips et une bière.
J'aime beaucoup ton écriture, fluide et envoutante.
· Il y a plus de 8 ans ·metis
Merci
· Il y a plus de 8 ans ·riatto
Magnifique ! Pas un mot de trop. Une grande sensibilité dans l'écriture ! J'adore ! 5/5 et coup de cœur !
· Il y a environ 10 ans ·veroniquethery
C'est beau comme ça. Juste beau.
· Il y a environ 10 ans ·El. Imy
Merci. La voisine est assez belle, en effet.
· Il y a environ 10 ans ·riatto
le quotidien, on se croise, on ne se connaît pas vraiment mais il restera quand même une trace. Merci pour ce magnifique texte
· Il y a plus de 10 ans ·sophiea
Merci
· Il y a environ 10 ans ·riatto
Très belle écriture, très soignée, très précise, pleine d'émotion. Magnifique même.
· Il y a plus de 10 ans ·jasy-santo
merci
· Il y a plus de 10 ans ·riatto
très belle parenthèse humaine... comme tjs avec toi...
· Il y a plus de 10 ans ·bravo et à bientôt.
wic
très belle parenthèse humaine... comme tjs avec toi...
· Il y a plus de 10 ans ·bravo et à bientôt.
wic
Un récit très doux, très émouvant, très humain qui fait du bien, malgré la tristesse qu'il décrit. J'aime ces textes qui nous renvoient à l'inévitable avec douceur.
· Il y a plus de 10 ans ·Marie Cornaline
Merci
· Il y a plus de 10 ans ·riatto
:)
· Il y a plus de 10 ans ·marielesmots
Ne rien dire mais penser, écrire...La confusion des pensées faisant face au silence. Que dire, en effet?
· Il y a plus de 10 ans ·Il est très triste ce texte, très triste et très beau. Comme la chanson de Jacques.
Tu sais si bien disséquer les choses.
lyselotte
C'est gentil ;-)
· Il y a plus de 10 ans ·Mais c'est pas tellement triste, si ?
riatto
Si ! triste mais j'ai un rapport avec la vieillesse et la mort très...attristant.
· Il y a plus de 10 ans ·lyselotte
Ah oui, c'est vrai… scuse...
· Il y a plus de 10 ans ·Moi c'est pareil, avec la pêche au canard et les tartes au framboise.
riatto
Diable ! ton cas mérite...réflexion.
· Il y a plus de 10 ans ·lyselotte
Je trouve cela plutôt réussi, émotions, humour et désinvolture !!!
· Il y a plus de 10 ans ·marielesmots
( Ah ben y'en a quand même une qui trouve pas ça triste ! chui pas fou…)
· Il y a plus de 10 ans ·riatto
Triste, mais pas tant. Superbe en tout cas ! merci
· Il y a plus de 10 ans ·nyckie-alause
Le bonheur n'est pas toujours gai ;-)
· Il y a plus de 10 ans ·riatto
Nous fanons.
· Il y a plus de 10 ans ·yl5
comme des baleines
· Il y a plus de 10 ans ·riatto
Rhooooooooo !! v'la qu'tu t'y mets aussi...aux jeux de mots.
· Il y a plus de 10 ans ·lyselotte
T'as vu un peu !
· Il y a plus de 10 ans ·riatto
CDC.
· Il y a plus de 10 ans ·Marion B
Touché, merci
· Il y a plus de 10 ans ·riatto
Pff, limite je pleure !
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu
J'ai des mouchoirs si tu veux ;-)
· Il y a plus de 10 ans ·riatto
ben oui, j'ai fini tous mes kleenex hier soir en matant un film avec Alice Sapritch.
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu
Sacrée Alice… Tu as pleuré de rire j'imagine ?
· Il y a plus de 10 ans ·riatto
La folie des grandeurs?
· Il y a plus de 10 ans ·lyselotte
Par exemple !
· Il y a plus de 10 ans ·riatto
Non, des glandeurs.
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu
La phobie des glandeurs ?
· Il y a plus de 10 ans ·( oula ça part mal…)
riatto
et quelle est donc cette phobie ? Le travail ?
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu
Oui voilà.
· Il y a plus de 10 ans ·Quand je me réveille, je culpabilise d'avoir dormi.
riatto