LES YEUX FERMES SOUS LA COUETTE

Les yeux fermés sous la couette ;

des formes sorties des ombres s'agitent sous mes paupières et plaquent mon corps au cœur du lit. C'est comme si elles me poussaient à détendre mes doigts crispés par la journée écoulée. Des visages difformes prenant possession de ma vue se balancent au gré des secondes qui passent inexorablement. Malgré leur aspect effrayant, ils ont quelque chose de rassurant. J'ai envie de les suivre là où ils m'entraînent. Passer la barrière fermant la porte aux réalités pour me glisser dans l'interstice qu'ils ont creusé pour moi. J'y vois d'autres mondes où se mélangent les peurs comme les désirs. Je rôde dans des couloirs me conduisant sur les scènes jouées aux petites heures de la nuit. J'assiste terrorisée àune séquence sanglante où se mêle mon sang répandu en seau…la frayeur s'insinue dans tout mon corps sans que je puisse bouger malgré une course effrénée…

Je me délivre de la barbarie en longeant les murs pour me faufiler dans une cache donnant sur une pièce où une lumière blanche m'aveugle un instant. L'espace semble vierge de toute intrusion. Je me retrouve seule au centre de ce théâtre pour improviser ma scène. Les acteurs de mon imagination se placent sur l'estrade de ma vie pendant que je me complais à les regarder s'animer sous le voile de ma réalité. Ce jeu chaotique perçoit l'indicible dont le réveil me prive. Ils émergent au plus profond de moi sans corrompre celle que je suis ni le décor que j'ai planté. J'accorde les tons et les visions pour savourer ce moment qui annihile mes dernières résistances. Les laisser prendre possession de l'espace me pousse vers des contrées inconnues encore jamais visitées. Je n'ai plus envie de me réveiller, de vivre le monde sans saveur qui peuple mes jours… et pourtant, le réveil aspire tout ce que j'ai rêvé dans le trou noir de mon oubli…lorsque je rouvre les yeux enfin…