Lui, c'est Personne !

L'endroit est en retrait au fond d'une impasse éclairée par un halo agonisant avec pour seul repère un bar à bières où les canettes s'entrechoquent et valsent à même le comptoir. Il faut être initié pour arriver jusqu'ici. Pas forcément intronisé mais un peu fan ou groupie de l'artiste qui va dans quelques instants revêtir son habit de lumière pour donner à ce repaire sa gloire d'antan. Il faut surtout avoir dans le sang ces relents de nostalgie des concerts d'avant joués dans des caves où la sueur et les volutes de fumée encollaient les voûtes de leurs odeurs emmêlées. Ces souvenirs de décibels crachés par des enceintes gigantesques installées aux extrémités d'une scène bien trop exigüe pour accueillir un orchestre philarmonique mais dont les boeufs de l'artiste donnaient à ce lieu une résonance particulière et dont les accords de Fender prenaient les tripes et amenaient leurs doses de frissons.

Ce soir là, sur la scène du Radiant, un vieux routier du rock français qui a traversé les époques dans une certaine discrétion, loin des standards stéréotypés des charts mais dont l'art dispensé en catimini a contribué à dorer en fines lamelles de feuilles d'or les lettres de noblesse d'une musique source d'influences diverses : du British-blues au Blues psychédélique californien en passant par du Southern-rock à la Allman Brothers, du Crazy Horse de Neil Young, du Clapton, des Stones pré-Wood, des Faces...

Son nom est Personne. Cette personne vous rappelle-t-elle quelqu'un ? En tous cas, Paul Personne ne laisse personne indifférent puisqu'il débarque à 65 piges en rassemblant toujours autant de ferveurs auprès de cette génération un peu beat beaucoup rock.

L'avant concert est un spectacle à lui seul.

Des un-peu-paumés, des vieux de la vieille qui ont bourlingué, des accros aux santiags et aux chemises à carreaux qui remettent au goût du jour le style « roots », des middle-class biberonnés au rock des années seventies-eighties, des nostalgiques des concerts underground, des vieux mais pas trop, des jeunes mais pas que, des jeunes vieux à la recherche de leur avenir derrière eux, des filles aux blousons d'Hells Angels arborant leurs tatouages sulfureux et sirotant leur ale comme pas deux, des biens-propres sur eux qui se sont donnés rendez-vous pour parfaire leur culture musicale intergénérationnelle, des monsieurs tout-le-monde venus pour un moment de plénitude hors des sentiers battus, …tout cet eclectisme qui attend autour du zinc que l'artiste entre dans l'arène.

Frites, merguez, 1664, on se croirait à la foire à Neu-Neu dans laquelle flotte une ambiance bon enfant qui du plus petit au plus grand partagent le même bonheur d'être présents ce soir-là. Entre les barquettes, les packs et les hot-dogs, chacun sait ce qu'il vient chercher même s'il ne sait pas à quoi s'attendre. Venir voir Paul Personne en concert, c'est avant tout choper cet intense frisson distribué par toute la vibration de sa musique. On est sûr qu'avec lui, le bonhomme paye de sa personne et n'est pas avare de ses morceaux qu'il rallonge sans fin dans des solos de maestro dont les bends vertigineux font écarquiller les yeux aux plus incrédules et déhancher la gestuelle des plus immobiles. 

Il est venu ce soir avec son groupe de musicos, rodé aux tournées dans les coins les plus reculés. Bien calé sur scène et tout en réserve, il régale son public de son répertoire de bluesman. Tout y passe, du blues avec des sonorités onctueuses, des mélodies rythmées par des accords majeurs posés sur des mots d'auteur, du rock aux accents fiévreux et aux vibratos électriques à vous rendre épileptiques… le son devient frisson, la musique féérique, les solos en stéréo, la rythmique alchimique, la batterie énergie, les guitares rock-stars, la basse se surpasse, le Polo nous fait son numéro. Y a du Ritchie Blackmore dans cet homme là, du Jeff Beck, du Jimmy Page, tel un orfèvre de la guitare reconnu comme un expert de la pentatonique mineure pour en tirer le meilleur de ses cordes.

Pas d'artifices, pas d'ego trip, pas de salamalecs, pas de bling -bling, pas d'esbroufes, non ! Du simple, du basique mais de l'essentiel. On est ici entre connaisseurs, d'ailleurs même si on ne connait pas tout le monde, Personne nous connait tous. Il a le même public depuis qu'il gratte sa Gibson sur les scènes de Navarre. Et Dieu sait comment il a la manière de nous rendre béat d'admiration quand il entreprend ses solos que même Jimmy Hendrix batterait la cadence dans sa tombe.

Ça tombe bien, ce soir dans cette salle obscure, c'est un festival de l'animal. Les cordes s'électrisent, les accords de la Gibson font un malheur, le batteur, enfoui derrière ses fûts, ses toms et sa ribambelle de cymbales Hit-hat, Crash et Ride, n'en finit plus de faire la peau à sa caisse claire et toutes ses percussions savamment imbriquées accompagnent les guitar heroes dont les riffs électrisent la salle de mille sonorités. C'est là que le miracle s'accomplit. C'est pour ça qu'ils sont tous venus. C'est pour ça qu'ils ont tous attendu. Ces moments où la musique permet de ''s'envoler plus haut''. Suffit de se retourner et de voir tout ce public se soumettre aux vibratos de Monsieur Polo.

Au premier rang, ils sont déjà sur les dents et à cran. Les blousons de cuir en lâcheraient leur canette de Kro, les routards aux bacchantes impériales et aux biceps de Motorhead jouent les fiers à bras et esquissent des pas chaloupés, cadencés par le tempo vertigineux ambiant. Au milieu et dans un minimum d'espace vital qui lui est alloué, une bikeuse style route 66, jean délavé, serré, troué et chemisier dégrafé juste ce qu'il faut, exécute une chorégraphie tout en mesure sur le solo des 4 fantastiques. Autour d'elle, il y a ceux qui essayent de rester statiques et de faire bonne figure car ils en ont connu d'autres mais on voit bien que eux aussi ils sont transpercés par les flèches électriques décochées par le quatuor magique. Unique aussi. En transe. C'est pour ça qu'on en redemande. C'est pour ça qu'on hurle au rappel. Bis. Ter. Ainsi de suite jusqu'à ce qu'il revienne en toute humilité pour distiller un au revoir simple comme une dernière note avant de partir à la ''croisée des chemins''.

Et nous, transpirants de sueur et dégoulinants de bonheur, on tire notre révérence à l'artiste. On s'tire d'ici et on se dit que ce Personne là, c'est quelqu'un. Mais chut ! Ne le dites à personne.

 photo : © by myself (Caluire/ Radiant 2015)

ps : un conseil : téléchargez Spotify pour écouter ce morceau ''s'envoler plus haut'', vous comprendrez mieux ma chronique.! 

http://www.deezer.com/album/11352594