Mosquito (texte entier)
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Episode 1
Comme tous les matins, Aboubacar arrivait à pied pour ouvrir à six heures pétantes le lavomatic qu’on lui avait confié rue Guy Môquet à Paris. Et comme tous les matins, il croisait Eric qui sortait de l’entrée de l’immeuble juste à côté, au numéro 21.
- Salut Abou’ lui dit doucement l’homme.
- Salut Chef lui lança Aboubacar. Ça va bien ce matin ? Lui demanda-t-il sincèrement.
- On fait aller, comme tous les matins mon ami lui répondit Eric.
Puis, continuant son chemin de l’autre côté, il lui dit en s’éloignant :
- Et bonne journée à toi Abou, bon courage.
Aboubacar lui répondit tout en ouvrant la porte et en pénétrant dans la laverie avec cet air mi-désabusé, mi-souriant comme seuls les africains immigrés à Paris pour un travail de misère savent le faire :
- Bonne journée à toi aussi mon ami et à demain.
Eric répondit de dos, d’un signe de la main tout en marchant vers la station de métro Brochant. Il était déjà six heures cinq.
Le programme d’Eric était invariable chaque matin. Depuis aussi loin qu’il s’en souvienne, il se levait chaque matin à cinq heures quinze précises. Il avalait un grand verre d’eau puis se mettait en place pour ses exercices quotidiens pour trente minutes. Des séances d’abdominaux et de tractions s’intercalaient les uns aux autres jusqu’à dix minutes de relaxation et d’étirement nécessaires pour détendre l’intégralité des muscles mis à contribution.
Il lui restait quinze minutes pour prendre sa douche, se raser et s’habiller pour ouvrir la porte de son deux-pièces à cinq heures cinquante-neuf précises. Tous les matins depuis quinze ans.
Une fois dans la rue, il avait appris à saluer son ami Abou’, le “ gérant ” de la laverie automatique adossée au restaurant asiatique immédiatement à côté de sa porte d’immeuble. Abou’ était un homme bien. Ils n’avaient absolument jamais discutés l’un avec l’autre mais à force de se croiser tous les matins, sept jours par semaine à six heures précises, ils avaient pris l’habitude de se saluer.
Chaque jeudi matin Eric sortait de chez lui avec un sac de vêtements qu’il confiait à Abou’ avec un billet de cinquante euros. Celui-ci lui rendait le même sac le lendemain matin avec son linge propre, plié et repassé « par les bons soins d’une de mes cousines » lui avait-il dit un jour.
Après avoir salué celui qu’il était possible de qualifier comme son ami le plus proche – et son seul ami d’ailleurs –, Eric marchait jusqu’au square des Batignolles par la rue Brochant.
Chaque matin il s’aérait en s’imprégnant de la verdure. C’était son petit moment quotidien de relaxation. Qu’il pleuve ou qu’il vente, par la chaleur aoûtienne ou le froid hivernal, il marchait dans les allées du parc, doucement, tranquillement, puisant sa force et sa sérénité au milieu des arbres et des pigeons qui le regardaient en cherchant une éventuelle pitance matinale.
Une fois son petit tour terminé, il sortait par la sortie Sud, s’engouffrait dans le rue Legendre et la remontait pour revenir sur l’avenue de Clichy jusqu’à la place du même nom.
Chaque jour il arrivait à s’étonner du contraste effarant entre ces deux quartiers distants de cent mètres.
D’un côté il arpentait des rues désertes le matin composés de grands immeubles silencieux d’où ne sortait parfois à cette heure-ci que quelques gardiens ou gardiennes traînant les poubelles d’habitants privilégiés qu’ils n’arrivaient même plus à envier. Et de l’autre, il rejoignait l’avenue de Clichy avec son activité bruyante, chaleureuse et même enfiévrée. Les snacks avaient déjà bien entamé leur journée et les premiers clients “ longue durée ” s’attablaient déjà devant un minuscule café composé à parties égales de marc et d’eau bouillante qu’ils mettront trois heures à boire. Eric remontait l’avenue en passant devant les bazars colorés, véritables cavernes d’Ali Baba et les boutiques de téléphones mobiles et de cartes prépayées proposant des tarifs défiant toute concurrence pour appeler tout le continent africain ou le sud-est asiatique.
Enfin, quelques dizaines de mètres après, il arrivait sur la place de Clichy.
Tous les matins, Eric y prenait son grand café accompagné d’un verre de jus d’orange. Toujours à la même place, il parcourait rapidement les journaux du matin. Une fois terminé, la journée pouvait vraiment commencer.
Le programme de cette journée-ci n’était pas particulièrement chargé mais il était constitué de deux rendez-vous importants. Il eut toute la matinée pour préparer ce qu’il avait à faire à partir du milieu d’après-midi pour son deuxième rendez-vous et cela lui évita, par la même occasion, de trop penser à son premier rendez-vous de la journée : il devait déjeuner avec Alicia ce midi.
Il la retrouva vers treize heures près de son bureau, boulevard des Capucines.
Ils s’installèrent en terrasse d’un des nombreux restaurants cachés dans les recoins de la rue Edouard VII.
Elle l’avait prévenu, il fallait prendre une décision à présent. Elle n’acceptait plus qu’après trois ans de relation, elle n’ait jamais été invitée chez lui. Une fois de plus elle lui reprochait son mutisme, ses silences et ses secrets. Alors que c’était précisément cela qui lui avait convenu aux premiers temps de leur rencontre, elle voulait aujourd’hui s’investir un peu plus. Alors bien sûr, pour une belle femme comme elle, jeune, indépendante, cultivée, et parfaitement autonome, il n’était pas encore question de vie commune, d’enfants ou de projets communs mais à tout le moins, elle espérait – une fois encore – le réveiller un petit peu pour obtenir ce qui la frustrait le plus : un minimum de disponibilité.
Eric disparaissait parfois pendant plusieurs jours sans qu’elle n’obtienne la moindre nouvelle et réapparaissait tout aussi soudainement sans la moindre explication ni même le début de la moindre contrition. Eric lui rappela que c’était la règle du jeu depuis le début entre eux. Pas de questions sur son travail. Ils avaient entamé une relation simple où l’un et l’autre trouvait ce qui leur convenait mais cette situation touchait à sa fin. Pour elle mais également pour lui bien qu’il ait été bien en peine de l’avouer.
Car en effet, il s’était profondément attaché à Alicia et beaucoup plus même qu’ils ne l’imaginaient tous les deux. Depuis qu’il la connaissait, elle avait réveillé chez lui des choses simples et des bonheurs qu’il ne s’autorisait pas en temps normal. Elle arborait une pétulance et une insouciance qui le rendait heureux et dont il ne voulait plus se séparer. Il ne voulait pas la perdre et pour cela, il avait admis qu’il devait faire des concessions.
Mais pas maintenant.
Elle ne comprenait pas pourquoi et Eric en échange n’arrivait pas à lui expliquer pourquoi ce n’était pas possible pour le moment. Mais pas maintenant. Il faudrait attendre encore un peu.
Episode 2
Cependant, pour la première fois, dans leur discussion, il n’avait pas fermé la porte. Il n’avait pas mis un terme définitif à cette discussion comme à son habitude en se refermant comme une huitre et en adoptant le mutisme le plus absolu.
Au contraire, il réussit même durant ce déjeuner à faire comprendre à Alicia qu’il partageait ses envies d’implication. Elle fut étonnée qu’il se livre à tant de confidences si inhabituelles de sa part. Il commençait à ressentir une certaine fatigue de sa vie. Il lui dit qu’il avait besoin d’elle. C’était un grand pas. Il n’était pas habitué à de telles déclarations. Elle lui permettait de trouver un peu de repos, de douceur et de tendresse dans le monde totalement dépourvu de telles richesses où il évoluait. Mais ça, il ne pouvait pas lui dire.
Cependant, son discours attendrit Alicia. Elle reconnut parfaitement les efforts qu’il avait faits pour livrer de telles pensées et lui accorda le bénéfice du doute. C’est lui-même qui termina la discussion en lui annonçant qu’il serait très rapidement plus disponible.
Il lui restait une mission à terminer – terme générique qui lui permettait de faire l’impasse sur la vraie nature de son travail –, et ensuite, il essaierait de lui faire voir qu’il ne serait pas forcément désagréable de faire un petit bout de chemin en sa compagnie. Avec l’espoir d’une vie normale. Mais ça, il ne pouvait pas lui dire non plus.
Eric croyait fondamentalement aux promesses qu’il faisait à Alicia. Il avait compris ces derniers temps qu’il était beaucoup plus amoureux d’elle qu’il n’avait voulu l’admettre auparavant. Elle était tout ce qu’il pouvait attendre d’une femme. Il la trouvait magnifique. Elle avait des cheveux longs châtains qu’elle retenait régulièrement avec une queue de cheval plutôt haute. A la new-yorkaise avait-il lu une fois dans un magazine féminin. Elle était chargée de communication dans une boite très reconnue de relations publiques axées sur la presse et la télévision. Une belle femme avec un beau métier qu’elle assumait parfaitement.
Elle était toujours au courant des nouvelles tendances, était invitée dans les plus beaux endroits où se pressait toute la planète fashion et les prétendus visionnaires. Et pour autant, elle avait gardé un sens pratique et une vision du monde très terre-à-terre. Elle n’avait pas cédé aux modes ni à la légèreté de ces collègues. Elle gardait toujours une admiration sans borne pour tous les gens qui ont de vrais problèmes dans la vie. Elle se sentait concernée par les problèmes sociaux et environnementaux. Elle avait gardé de son enfance provinciale une vraie conscience humaniste, avec des valeurs, des principes et une sincérité qui faisait toute la différence avec les hyènes qu’elle côtoyait à longueur de temps. Eric savait qu’il avait trouvé là une belle personne et que c’était maintenant qu’il devait faire les efforts nécessaires pour la garder.
Sous ses airs de femme solide et indépendante, Alicia fut conquise par son discours. Elle n’en espérait pas tant et était même prête à se satisfaire de beaucoup moins ! Elle était déjà tellement amoureuse de lui. Et de surcroît, elle le trouvait tellement beau.
Avec son look toujours parfait, ses cheveux courts mais pas trop, châtains clair, mais pas trop, ses yeux verts magnifiques, son regard expressif d’où perçait une intelligence permanente et une écoute à tout ce qui se passait autour de lui et dans le monde. Il était cultivé sans être assommant avec des discours à n’en plus finir. Il savait toujours placer la petite phrase qui ouvrait une possible discussion ultérieure si son interlocuteur le souhaitait.
Et ses mains… ah la la ses mains...
Stop ! s’ordonna-t-elle pensivement immédiatement.
Alicia ma fille ! Se gronda-t-elle. Si tu commences à repenser à ses mains, tu vas craquer de nouveau et il pourra faire de toi ce qu’il veut. Il pourra te dire absolument tout ce qu’il veut. Tu ne pourras de toute façon plus penser à rien d’autre qu’aux moments où tu as senti ses mains parcourir ton corps et te faire vibrer comme jamais un homme n’avait réussi à te faire vibrer.
Il ne lui en avait jamais parlé mais elle aurait parié qu’il avait été kiné ou ostéopathe à un moment de sa vie. Elle avait appris à ne pas poser trop de questions. Il semblait connaître parfaitement chaque détail du corps humain. Et jusqu’à preuve du contraire, c’était son corps à elle qu’il faisait vibrer au point de lui faire connaître des orgasmes totalement inimaginables auparavant.
Elle se reprit rapidement lorsqu’elle sentit le rose lui monter aux joues, perdues dans ses pensées d’une délicieuse lubricité.
Elle sourit, replaça machinalement une mèche de cheveux derrière son oreille et replongea dans les yeux d’Eric en essayant de penser à autre chose que ses mains remontant ses cuisses ou sa bouche embrassant son cou…
Le repas se termina rapidement. Alicia était totalement déconcentrée et rêveuse. Eric était déterminé, confiant en l’avenir et rassurant pour le devenir de leur histoire.
Ils se quittèrent amoureux comme au premier jour, à l’heure de la reprise du travail qu’elle s’était fixée. Ils s’embrassèrent rapidement mais significativement sur les lèvres tout en se tenant le visage l’un et l’autre comme pour garder dans les mains le souvenir d’un baiser plus important que les autres.
Il était quatorze heures trente.
Eric marcha un peu dans la rue puis se rendit à son “ atelier ”. Il lui restait un peu plus d’une heure pour préparer son deuxième rendez-vous de la journée. Probablement le plus important car du déroulement de celui-ci dépendait l’avenir des bonnes résolutions prises avec Alicia.
A quinze heures quarante-cinq, Eric ferma la porte blindée du petit entrepôt proche du périphérique, porte de Champerret, où il stockait son matériel et ses fournitures. Tout ce dont il avait besoin se trouvait à présent dans les multiples poches de son blouson.
Il arriva devant la porte de l’immeuble cinq minutes avant seize heures. Il entra sans difficultés.
La première chose à faire, se dit Eric en montant silencieusement l’escalier jusqu’au bon étage, c’est de lui faire ouvrir la porte. Une fois qu’il me tournera le dos, là je pourrai opérer.
Arrivé au quatrième étage, il passa devant le palier de la porte et continua à monter dans l’escalier. Après quelques marches, il stoppa et s’assit sur l’épaisse moquette se déroulant sur les escaliers, accrochée par de traditionnelles barres en laiton.
Il s’était arrêté exactement entre les deux étages.
Il était seize heures pile. C’est parfait se dit-il.
Episode trois
Dès le troisième étage, les habitants d’un immeuble ne prennent plus les escaliers. Seuls les habitants ou les visiteurs du premier et du deuxième étage prennent les escaliers. Pour le reste, tout le monde prend l’ascenseur sauf les éventuels claustrophobes ou phobiques divers. Néanmoins, généralement quatre étages d’un gigantesque hôtel particulier reconverti en une série d’appartements de cent mètres carrés minimum chacun ont raison des phobiques. Compte-tenu de ses repérages, au quatrième dans un immeuble de six étages, il ne risquait pas de croiser qui que ce soit. La seule personne qui pouvait éventuellement prendre les escaliers c’est la concierge qui va distribuer le courrier chaque matin ou midi mais à cette heure-ci de l’après-midi, même si bon nombre de personnes rentraient chez eux, il n’y avait aucun risque de se faire surprendre.
Eric s’installa sur les marches, exactement entre les deux étages, camouflé derrière la cage d’ascenseur. Il ne restait plus qu’à attendre.
Il rentrait généralement chez lui vers vingt heures.
Eric attendait dans le noir, sagement assis. A partir d’une certaine heure, à intervalles réguliers, la lumière des escaliers s’allumait. Il entendait des gens monter dans l’ascenseur, puis celui-ci bouger et enfin s’arrêter quelques étages plus haut. Personne n’était encore monté jusqu’à son étage, il était tranquille.
Lorsque la porte de l’ascenseur s’ouvrit à l’étage juste en dessous, il jeta un coup d’œil, c’était lui.
Il le laissa rentrer chez lui et attendre encore trente à quarante minutes pour qu’il puisse se mettre à l’aise et commencer à se détendre. Il verrait d’autant moins le coup venir.
A vingt heures quarante-cinq, l’immeuble s’était tu, on n’entendait plus que le bruit des télévisions qui passait parfois sous les portes. Tous les habitants de l’immeuble ou presque étaient rentrés chez eux et ceux qui n’étaient pas encore là ne rentreraient pas pour le moment. Eric bénéficiait d’une fenêtre de tir idéale.
Il se leva et descendit silencieusement les quelques marches qui le séparaient de la porte. Une lourde porte blindée. Comme il l’avait parfaitement constaté lors de ses précédentes venues pour établir son plan d’action, il était hors de question de chercher à la fracturer. Il ne s’était d’ailleurs pas encombré avec les outils nécessaires. Il fallait qu’il rentre par la ruse. La force serait pour plus tard.
Un petit coup de sonnette. Eric entendit les pas de l’homme s’approcher de la porte. Il déverrouilla un loquet, puis un deuxième et la porte s’entrebâilla.
Eric se remémora une dernière fois les consignes les plus élémentaires :
Prendre son air le plus anodin, le plus innocent. Ne pas éveiller les soupçons. En dire le moins possible, juste ce qui est nécessaire pour être crédible sans risque de tomber dans le piège des vérifications possibles ou des coïncidences malheureuses.
- Bonjour, excusez-moi de vous déranger, je suis votre voisin du dessus. Enfin presque. En fait, je n’emménage définitivement que dans deux semaines mais je suis passé pour la nuit avant de repartir dès demain matin. Enfin, je ne vais pas vous embêter avec tout ça et nous auront probablement l’occasion de nous recroiser rapidement. L’appartement est quasi-vide et je me suis acheté une pizza malheureusement, le livreur a oublié de me donner de l’huile piquante, vous n’en auriez pas un sachet à me donner par hasard ? Et puis je me suis dit que ça me permettrait de faire connaissance et de vous prévenir du passage des déménageurs bientôt.
Tout le monde a un sachet d’huile piquante pour pizza chez soi. Même ceux qui ne mangent pas de pizzas en ont quasi obligatoirement, il était obligé d’aller en chercher.
Bingo, ça n’a pas raté. L’homme lui répondit d’autant plus content de se débarrasser d’un éventuel problème ou d’un visiteur importun qui aurait pu prendre plus de temps.
- Mais oui bien sûr, ne bougez pas, je reviens. Puis, tournant les talons pour se diriger immédiatement vers la cuisine, il haussa le ton pour que son « voisin » puisse encore l’entendre. Il doit m’en rester un de la semaine dernière. Ce sont tous les mêmes ces livreurs de pizza. Si vous le précisez à la commande, ils vous en laissent cinq ou six que vous jetez la plupart du temps mais si vous l’oubliez et que vous ne dites rien, il ne vous en donne même pas un.
Il cherchait dans un de ses tiroirs. Eric entra dans l’entrée mais ne referma pas la porte, cela aurait été trop suspect. Il suffisait juste de passer pour un goujat et d’entrer dans l’appartement sans y avoir été invité. Pas la peine de fermer la porte derrière soi. Trop tôt, cela éveille beaucoup trop les soupçons de la cible lorsqu’elle se retourne et revient vers vous.
Et cela ne manqua pas. Juste après avoir jeté un coup d’œil vers l’entrée, tout en continuant à parler pour meubler le silence d’Eric, l’homme se fit la remarque que son “ voisin ” avait été bien gonflé de passer le seuil de la porte, il ne lui avait pourtant pas dit de rentrer.
Mais la porte était toujours ouverte, rien d’inquiétant. Muni de son sachet d’huile piquante, le malotru allait repartir immédiatement et le laisser tranquille.
Il tendit le bras en tenant le sachet d’huile dans la main. Eric le prit de la main gauche tandis que la main droite allait directement lui planter dans la gorge une seringue d’une aiguille très fine et plutôt courte pour lui injecter la dose suffisante – compte-tenu de la corpulence de sa cible – d’anesthésiant à effet instantané.
L’homme eut à peine le temps de sentir la piqûre de l’aiguille. Pas un mot, pas un son ne put sortir de sa bouche. Ses jambes ne le portaient déjà plus.
Dans un seul geste, Eric ferma doucement la porte d’entrée pour barrer la route aux regards inopportuns tout en maintenant debout l’homme par le bras encore quelques secondes suffisantes pour qu’il aille se caler derrière lui et l’allonger soigneusement et éviter ainsi tout bruit suspect d’effondrement brutal.
Et voilà, quatre minutes en tout et pour tout. Il était vingt heures cinquante-neuf. Il n’en fallait pas une de plus. A partir de cinq minutes dans l’entrebâillement d’une porte, les risques sont démultipliés.
Cible maîtrisée.
Eric fit rapidement le tour de la situation, plus par réflexe que par vraie inquiétude. Personne ne l’avait vu entrer dans l’immeuble et il n’avait croisé personne dans l’escalier. Et si, par le plus grand des hasards il avait été vu, il était rentré suffisamment tôt dans l’immeuble pour que son signalement puisse paraître intéressant à qui que ce soit. Personne ne ferait le lien entre un visiteur qui entrait dans l’immeuble au milieu de l’après-midi et un… incident en fin de soirée.
La porte était refermée et la cible était inconsciente pour les trente prochaines minutes sans que le moindre bruit suspect ne se soit fait entendre.
Il pouvait passer à la phase deux, la moins problématique.
Tous les repérages qu’il avait faits confirmaient les informations qu’il avait pu avoir. Il vivait seul, sortait assez peu et avait très peu de connaissances et encore moins d’amis. Il n’allait pas être dérangé. Il installa son dispositif méthodiquement, comme d’habitude.
Le plus difficile était de déjouer les surprises qui pouvaient se présenter.
Episode quatre
Les prisonniers, quels qu’ils soient, sont surprenants. Aux portes de la mort, ils peuvent trouver des ressources insoupçonnées. Eric avait bien failli se faire surprendre une fois ou deux. Mais c’était au début. Aujourd’hui, il ne refaisait plus les mêmes erreurs.
Il passa en revue les points de passage obligatoires pour éviter tout problème, quels qu’ils soient :
- Neutraliser la cible et l’endormir ;
- L’immobiliser et l’installer dans une position qui ne lui permette pas de tomber. Cela évite d’ameuter les voisins trop tatillons sur le bruit ;
- Préparer un dispositif adapté au cas où l’injection paralysante aurait une défaillance.
Cela lui était arrivé une fois. Cela avait failli mal se terminer pour lui. Il avait bien appris de cette expérience malheureuse. L’interrogatoire avait duré plus longtemps que prévu. Le produit injecté dans le corps de la cible avait cessé de faire effet au moins une heure trop tôt. La proie avait alors montré des signes de récupération de la mobilité qui s’était très rapidement mués en réelle capacité de se lever et de bouger les membres presque normalement. Un coup mieux placé qu’un autre ou l’utilisation d’une arme de fortune – c’était un tisonnier pour cheminée en l’espèce – pouvait faire déraper un plan établit pourtant minutieusement auparavant.
Le temps de préparer une nouvelle injection, le morceau de fer forgé avait eu le temps de voler à deux reprises dans la pièce dont l’une de manière précise. L’agresseur n’avait pas eu de chance, il était passé à deux petits centimètres. Eric avait dû l’immobiliser en lui faisant une clef au bras – à l’ancienne – juste avant de lui planter de nouveau une nouvelle dose plus forte dans la cuisse.
Hors de question de courir de nouveau les mêmes risques.
Pour le moment, la cible n’allait pas tarder à se réveiller. Vingt-et-une heure cinq. Il l’installa dans un des fauteuils, les mains soigneusement posées sur les accoudoirs. Dix minutes avant l’heure probable de réveil, Eric lui injecta le paralysant.
Ce produit avait la particularité de bloquer totalement le système nerveux relié aux muscles. Le sujet se retrouvait totalement immobilisé, comme paralysé, privé de l’usage de ses jambes et de ses bras. Administré à une dose plus faible, il serait possible de bouger le cou mais Eric ne voulait prendre aucun risque. Le sujet devenait alors totalement immobile. Conscient, et capable de parler mais incapable de faire le moindre mouvement. Lorsque le dosage n’était pas suffisamment précis, même la langue pouvait être touchée mais il suffisait simplement d’attendre un petit peu, c’était le premier organe qui retrouvait sa mobilité et Eric avait impérativement besoin que son “ client ” puisse parler.
Un clignement, puis un deuxième. Il se réveillait. Eric avait ramené le plus silencieusement possible un fauteuil vers le centre de la pièce. Il s’était installé en face du lui. Il attendait son réveil complet. L’homme releva la tête rapidement pour s’apercevoir qu’il ne pouvait ouvrir la bouche. Un morceau de sparadrap l’en empêchait. Un voile d’effroi passa dans ses yeux. Son séquestreur compris qu’il était parfaitement réveillé.
Après les avoir aisément trouvés dans un placard quelconque, Eric avait déposé quatre petits objets en plastique en équilibre sur ses deux mains et ses deux genoux. Au moindre mouvement, au moins l’un des objets tomberait. Poser un objet en équilibre sur les membres paralysés était la solution la plus efficace et la plus économique qu’avait trouvé Eric pour le prévenir du retour de la mobilité du “ client ”. En effet, même en faisant preuve d’une maîtrise de soi hors du commun, il est parfaitement impossible pour un membre du corps humain de rester totalement immobile à la suite d’une immobilisation chimique. Lorsqu’un élément du corps humain retrouve la moindre mobilité, de légers spasmes réflexes incontrôlables, parfois quasi invisible à l’œil nu apparaissent, remettant ainsi la machine humaine en mouvement.
L’entretien pouvait commencer.
- Bonjour monsieur Muller, dit Eric d’une voix calme. Mon nom importe peu et n’a strictement aucun intérêt pour l’affaire qui nous concerne.
L’homme en face de lui continuait de le fixer silencieusement. Mi-effrayé, mi-intrigué. Eric continua.
- La position dans laquelle vous êtes n’est qu’une position transitoire et je serais très heureux de vous en libérer dans les meilleurs délais. Pour ce faire, j’ai besoin d’être assuré de votre pleine et entière collaboration. Puis-je en être assuré ?
Il cligna des yeux. Il avait probablement essayé d’hocher la tête pour signifier un oui mais il se rendit compte qu’il en était incapable.
- Je vais donc vous enlever ce sparadrap bien désagréable qui nous empêche d’avoir une discussion entre adultes civilisés mais vous êtes prévenus, si vous essayer de crier ou d’appeler quelqu’un, vous le regretterez. Est-ce toujours bien clair monsieur Muller ?
L’homme cligna des yeux de nouveau. Il devait probablement s’être rendu compte qu’il ne pouvait pas bouger car Eric l’avait vu rouler des yeux pour regarder sa situation. Il avait parfaitement remarqué que ses bras et ses jambes, bien que non entravés, ne bougeaient pas. Eric se leva doucement et prit le bord du sparadrap entre deux doigts de sa main gauche. Il tira lentement dessus au début pour commencer à le décoller puis d’un coup sec.
L’homme hurla.
- Au secours ! Aidez-m …
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, le poing droit d’Eric vint s’abattre sur le côté de sa mâchoire le faisant tomber tout entier par terre sous la violence du coup reçu.
C’est toujours la même chose pensa-t-il. Il faut toujours que je leur déboite la mâchoire pour qu’il comprenne. Pourquoi ne peuvent-ils pas simplement écouter et me croire conclut-il en soufflant de dépit.
Il le remit sur la chaise, lui recolla le sparadrap sur la bouche, repositionna les objets sur ses mains et ses genoux mais laissa volontairement perler la goutte de sang qui était sortie de la bouche de l’homme désobéissant, goutte qui devait probablement lui chatouiller le menton. Bien fait pour lui pensa-t-il en souriant intérieurement.
Reprenant ses esprits tant bien que mal l’homme regardait de nouveau son agresseur calmement.
- Pourquoi ne m’avez-vous pas écouté ? dit Eric avec un mécontentement ostensible. Il lui montra son poing ganté. Pour votre information et afin que vous ne refassiez pas la même erreur, ce sont des gants généralement utilisés pour faire de la moto. Ils sont donc renforcés de petites plaques de métal et de carbone aux articulations. A l’intérieur, moi je ne sens presque rien.
D’un seul coup, Eric leva la main devant lui brutalement comme pour le frapper. Il le menaça en serrant les dents de rage :
- Voulez-vous renouveler l’expérience ?
Eric entendit un non étouffé mais parfaitement reconnaissable alors que l’homme fermait instinctivement les yeux. Puis il reprit, d’un ton beaucoup plus calme.
- Bien, nous sommes donc d’accord. Puis-je à présent vous enlever le sparadrap et compter sur votre coopération monsieur Muller ?
Sans attendre la réponse, Eric s’approcha et défit le sparadrap beaucoup moins précautionneusement que la fois précédente. L’homme ne put réprimer un léger cri qu’il tenta d’étouffer tant bien que mal. Sa mâchoire le torturait.
- Bien, monsieur Muller, nous allons pouvoir passer à la partie la plus intéressante de notre entretien.
- Qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce qui m’arrive ? Et pourquoi je ne peux plus bouger, qu’est-ce que vous m’avez fait bon dieu !
L’homme avait beaucoup de mal à se contenir et il fallut qu’Eric lui fasse signe en mettant un doigt sur la bouche d’une main et lève en l’air l’autre ganté pour qu’il évite de terminer sa phrase autrement qu’en hurlant. Il avait cependant parfaitement compris la leçon et suivit l’injonction de son bourreau.
- Si vous voulez que je vous explique ce que je vous ai fait, cela va prendre un peu trop de temps. Il vous suffit juste de me faire confiance. Vous n’avez perdu l’usage de vos membres que temporairement. Croyez-moi. Dès que nous aurons terminé notre petite discussion, vos membres retrouveront toute leur mobilité. Puis il changea de ton et parla plus bas, plus posément et plus lentement. Maintenant monsieur Muller, si vous le permettez, nous allons aborder le sujet principal de ma venue.
Eric posa ses coudes sur ses genoux et s’avança vers l’homme en baissant encore le ton pour souligner l’importance de la question qu’il allait poser.
- Monsieur Muller, où est-elle ?
Episode cinq
L’homme le regarda longuement sans répondre.
Il était totalement paralysé avec un tueur un gage dans son appartement, ou du moins, un homme qu’il supposait être un tueur à gages. L’homme assis en face de lui avait montré sa détermination. Sa mâchoire s’en souviendrait encore quelques temps d’ailleurs. Très rapidement il fit le tour de la situation.
Bien qu’il essaya plusieurs fois de bouger ses membres, ceux-ci refusaient purement et simplement de lui obéir. Rien à faire, ils ne répondaient pas. Il était devenu inutile d’envisager crier ou alerter qui que ce soit, ses plombages ne tiendraient pas longtemps et il serait probablement totalement K.O. avant d’avoir pu réveiller qui que ce soit dans cet immeuble de bourgeois égoïstes.
Paradoxalement, il n’avait pas peur cependant. L’homme qui l’avait séquestré était un professionnel. C’était évident. Il ne présentait aucun signe d’énervement. Il était très calme même. Bien qu’il n’ait jamais eu, à sa connaissance, à vivre de situations extrêmement tendues excepté si l’on considère que se faire voler sa valise en arrivant dans un pays tropical, valise dans laquelle tous les Traveller’s Chèque étaient soigneusement rangés, était une situation tendue.
Monsieur Muller comprit rapidement que la situation allait être compliquée à gérer.
Paradoxalement, le calme et le professionnalisme de l’homme qui l’avait séquestré le mit en confiance. Il savait parfaitement de quoi il était question. Evidemment.
Mais il décida, par une pure fanfaronnade malsaine et kamikaze de faire l’imbécile.
- Mais de quoi parlez-vous ? lui répondit-il en essayant d’adopter un ton le plus incrédule possible. Je ne comprends rien à ce que vous dites. Puis il en rajouta un petit peu. Qu’est-ce que vous me voulez, je n’ai rien. Si c’est de l’argent que vous voulez, je n’ai pas de liquide. Si vous voulez, prenez la télé, l’ordinateur. Prenez ce que vous voulez mais laissez-moi tranquille, je n’ai rien fait.
Mi-amusé, mi-agacé, Eric décida de le recadrer rapidement.
- Ecoutez-moi bien monsieur Muller commença-t-il d’un ton sec. Ne me prenez pas pour un imbécile et encore moins pour un vulgaire voleur d’électroménager s’il vous plait. Est-ce que vous croyez vraiment que j’ai une tête à récupérer les portables et les écrans plats ? lui dit-il en remontant ostensiblement ses mains ouvertes en direction de son visage et en ouvrant grands les yeux.
L’homme continua pourtant.
- Mais j’en sais rien moi lui dit-il presque en l’implorant, je ne sais pas qui vous êtes ni ce que vous voulez. Prenez ce que vous voulez et laissez-moi tranquille, je vous en prie. Il termina sa phrase en adoptant un ton le plus suppliant et larmoyant possible.
Eric sourit largement. Il se redressa et s’adossa dans le fauteuil où il avait pris place. Il laissa passer quelques secondes, passa sa main dans les cheveux, inspira lentement et souffla encore plus doucement tout en ramenant son regard vers l’homme en face de lui.
Il se leva tranquillement et prit la main de l’homme dans l’une de ses mains tandis qu’il posait l’autre sur sa bouche pour l’empêcher de crier.
D’un coup sec et brutal, il lui arracha un cri étouffé.
- Vous voyez monsieur Muller lui dit-il calmement tandis qu’une larme de douleur perlait du coin de son œil. L’avantage de mon métier c’est qu’il permet de disposer d’un peu de temps libre qu’il est possible de mettre à profit pour des raisons tant personnelles que professionnelles.
Il relâcha la main, retira celle sur la bouche de l’homme et retourna s’asseoir en face de lui pour continuer sa petite digression.
- Moi, mon truc, c’est la biologie, le corps humain sous toutes ces facettes. De l’art du plaisir à la souffrance – qui soit dit en passant est une forme artistique aussi… Il y a des dizaines de façons de casser un os, plus ou moins brutales d’ailleurs, plus ou moins pratiques surtout. Le truc que tout le monde oublie, c’est que finalement, ce ne sont pas les os qui sont les plus douloureux. Non, ce qui est le plus douloureux, le plus efficace, le plus radical sans avoir les inconvénients des os, ce sont les articulations.
L’homme regarda sa main reposée sur l’accoudoir, son majeur était purement et simplement décalé. Alors que ses autres doigts étaient dans l’alignement parfait du dessus de sa main, son majeur, bien que parallèle aux autres, était décalé vers le haut d’au moins un demi-centimètre.
Voyant qu’il avait constaté l’étendue des dégâts, Eric continua.
- L’avantage du produit que je vous ai injecté pour vous paralyser, c’est qu’il bloque totalement les mouvements des muscles mais n’arrête en rien les influx nerveux liés à la douleur. Je ne vous ai absolument rien cassé, votre doigt et tout simplement totalement déboité. Je vous ai fait un mal de chien mais ce n’est rien par rapport au moment où il faudra le remettre sinon c’est la nécrose, la calcification et enfin le blocage total. Pour votre information, je suis très fort au niveau de la clavicule et des cervicales. Il laissa passer un moment puis reprit arborant un sourire presque moqueur. Avec, vous imaginez bien, les conséquences nettement plus… problématiques que l’esthétique d’un doigt bloqué.
L’homme comprit qu’il ne rigolait plus du tout. Il ne donnait déjà pas cher de sa peau auparavant et avait essayé de s’en sortir comme il pouvait. A présent, ils étaient tous les deux entrés dans le sérieux.
Eric reprit alors une dernière fois la parole avec un ton qui ne laissait plus aucune place à la moindre mansuétude.
- Monsieur Muller lui dit-il en se penchant de nouveau vers lui comme tout à l’heure. Je vous repose la question une fois encore. Où est-elle ?
Eric avait pris soin de détacher chacun des trois derniers mots qu’il prononça. L’homme blêmit tout d’abord. Il avait imaginé, avec l’énergie du désespoir, un quelconque événement fortuit qui aurait pu faire pencher la balance de son côté mais les cartes étaient distribuées et celles qu’il lui restait en main ne lui permettaient même plus de bluffer. Il décida donc d’abattre son jeu d’un seul coup. Après avoir pris une grande inspiration, il se lança.
- Très bien monsieur je-ne-sais-qui, lui dit-il d’un air résigné. Vous avez gagné. Je vais vous la donner. Mais savez-vous seulement ce que contient cette clef USB ?
Episode six
Eric lui répondit calmement. Son petit manège d’intimidation semblait avoir parfaitement fonctionné. Maintenant qu’il était décidé à coopérer, il était inutile de le braquer et de lui faire peur, cela n’aurait que des effets négatifs.
- Je sais que vous avez en votre possession un document confidentiel qui n’aurait jamais dû sortir du coffre du célèbre docteur Joissains sur ses recherches médicales.
C’était là les informations les plus étendues qu’Eric avait pu obtenir de la part de son commanditaire et de ses recherches personnelles. D’habitude, pour la quasi-totalité de ses contrats, Eric arrivait à obtenir les tenants et les aboutissants lors de ses recherches. Rarement de la part de ses commanditaires. Mais dans ce cas là, exceptionnellement, les choses étaient restées suffisamment secrètes et il surtout, il n’avait pas réussi à établir de connexions franches et claires entre son commanditaire, l’objet de la recherche et sa cible.
L’homme le regarda et comprit que son bourreau lui avait livré toutes ses cartes. Il lui répondit calmement.
- Bien. Il marqua une pause. Alors je vais vous expliquer en quelques mots.
Eric sourit. Il était plutôt amusant de voir un homme totalement impuissant, à sa merci, un homme à qui il avait déjà montré l’étendue de son pouvoir et de ses capacités, lui tenir tête ou presque. En tout cas, c’était un homme absolument pas décidé à se laisser impressionné et qui semblait convaincu de sa démarche. Il l’écouta attentivement quand il reprit.
- Le docteur Joissains était mon meilleur ami à l’université de médecine mais pour des raisons de divergences de conception de la médecine, il a décidé de mettre en application directement les théories sur lesquelles nous avions travaillé d’abord étudiants puis chacun dans nos spécialités respectives. A lui les pathologies sanguines endogènes. A moi les pathologies exogènes. Sans le moindre cynisme, à lui la fortune des fonds de recherches liées à toutes les formes de cancer et particulièrement ceux en lien avec nos modes de vies opulents d’occidentaux riches et obèses. Et à moi les budgets faméliques et les structures de recherches dépassées depuis dix ans sur des pathologies tropicales touchant en majorité des pays éloignés et des populations accumulant déjà à peu près tous les fléaux médicaux possibles.
Eric l’écoutait toujours attentivement. Il parlait biologie – au sens large certes mais biologie quand même – et cela l’intéressait presque autant que le lien encore à découvrir avec l’affaire qui les retenait tous les deux dans cet appartement.
L’homme continua comme s’il racontait une histoire d’anciens combattants à un groupe d’étudiants.
- J’ai découvert il y a un an de cela que cette ordure avait, pour les besoins de ses recherches, récupéré un parasite qui provenait de mon laboratoire par l’intermédiaire d’un étudiant stagiaire. Ce parasite est un agent pathogène dévastateur touchant principalement les canidés : la leishmaniose.
- Mais il arrive que les hommes l’attrapent. C’est assez rare comparé à d’autres pathologies mais cela arrive parfois dans des régions du globe infectées par les moustiques – pour la contamination – aux conditions sanitaires insalubres – pour la prolifération – et sans structure de dépistage – pour le traitement.
- Et c’est là que les choses se gâtent. Car avec un taux de létalité de cent pour cent en cas d’absence de traitement, et des symptômes initiaux aussi bénins que de fortes fièvres et des courbatures sans pour autant que l’on puisse assimiler cette pathologie aux infections les plus classiques dues aux moustiques telles que la dengue ou le virus du chikungunya, la leishmaniose est potentiellement dévastatrice dans nos sociétés du nord de la planète non habituées à ces pathologies.
Eric l’écoutait avec attention. Il jeta néanmoins un coup d’œil rapide à sa montre. Le paralysant allait bientôt cesser de faire effet. Les objets censés le prévenir déposés sur ses genoux n’avaient pas bougé. C’était normal mais ils devaient frétiller dans cinq à dix minutes tout au plus. Eric plongea la main dans une de ses poches et toucha la seringue numéro deux qu’il avait préparé. Elle était là, prête à servir. Il lui faudrait faire l’injection dès les premiers signes pour être tranquille.
Monsieur Muller continuait toujours de parler. Imperturbable et montrant un vrai sens pédagogique. Il déroulait un argumentaire qui devait le faire arriver à une conclusion bien précise.
- Lorsque je m’en suis inquiété auprès de lui, il a tenté de me convertir à ses recherches, sachant parfaitement que je suis un des spécialistes français de cette pathologie. Il m’a tout expliqué.
L’homme fit une pause, et regarda Eric dans les yeux. Il voulait probablement ménager son effet mais Eric mit un doigt sur sa bouche pour lui signifier de se taire. Le petit porte-clefs en plastique posé sur son genou droit bougeait imperceptiblement puis tomba rapidement par terre sous l’effet des mouvements incontrôlables de la jambe de Muller.
Eric se leva très calmement puis injecta le contenu de la seringue numéro deux dans le bras découvert de Muller. Il remit le bouchon de sécurité sur la seringue et la rangea dans la même poche, tout aussi calmement juste avant de replacer le petit porte-clefs dans sa position initiale.
- Excusez-moi lui dit-il enfin. Le paralysant allait cesser de faire effet avoua Eric. Puis il continua tout haut sans se soucier de son interlocuteur tout en regardant sa montre. Trois minutes d’avance. J’ai du me tromper de quelques kilos sur votre poids. Puis Eric finit sa phrase dans un sourire : Avantageusement pour vous bien sûr.
- Je vous en prie lui répondit Muller sans esquisser le moindre sourire.
Il était vexé et énervé que de telles futilités polluent son explication et tint à le faire savoir en lui demandant avec aigreur.
- Puis-je reprendre à présent ?
- Veuillez m’excuser lui dit Eric respectueusement tout en laissant planer un soupçon d’ironie dans le retournement de situation où c’était à lui de s’excuser face à son captif.
L’homme reprit alors là où il s’était arrêté. Il parlait plus gravement, on touchait au but.
Episode sept
Le docteur Muller reprit :
- Ce parasite a été inoculé à des patients pensant recevoir un inoffensif régénérateur de globules rouges. Ils sont malades, porteurs du parasite et compte-tenu de la période d’incubation et des déficits immunitaires nécessaires pour qu’il s’active, ils devraient le développer dans un délai de trois à six semaines à ce jour. Joissains travaille précisément sur la transmission d’homme à homme du parasite qui n’est aujourd’hui pas possible puisque cela ne se transmet que d’animal à homme par l’intermédiaire des moustiques. Mais il est bloqué, il ne peut pas continuer ses recherches puisque j’ai détruit ses souches avant de lui dérober les informations que vous êtes venu chercher. Il a besoin de récupérer des agents pathogènes. Et c’est là que vous intervenez.
Eric le regarda circonspect. Il attendait la suite car ne voyait toujours pas le rapport avec lui.
- Je ne vois pas en quoi je suis concerné. Je suis là pour récupérer des documents. Une liste pour être tout à fait précis. Je ne suis absolument pas là pour récupérer quoi que ce soit de médical et certainement pas des souches de parasite tueur. En l’occurrence, c’est vous le parasite pour mon client et aux dernières nouvelles… Eric laissa flotter la fin de sa phrase une seconde… C’est moi le tueur ! termina-t-il avec un sourire carnassier et malsain.
Muller continua sans relever. Mieux, il prit soin de ne surtout pas se laisser impressionner par la remarque de l’homme en face de lui et reprit son argumentaire.
- Il a perdu ses cobayes dans la nature. Sur la clef qu’il vous a demandé de récupérer se trouve, d’une part, l’enregistrement audio où il me raconte toute l’histoire – et oui, j’ai été prévoyant, je savais de quoi il est capable –, mais, d’autre part, et surtout ce dont il a le plus besoin : la liste des patients. Il ne sait plus qui ils sont, ni où ils sont. Rien n’a été enregistré officiellement dans les registres de son laboratoire. Il n’y a plus aucune trace, et c’est bien compréhensible. Par contre, tout a été consigné dans un simple fichier indépendant tout ce qu’il y a de plus classique avec leurs adresses et leurs numéros de téléphone.
Eric le regarda avec satisfaction. Il avait toutes les explications, il aimait savoir quel était l’intérêt de son travail. Il était presque aussi satisfait que s’il avait récupéré la fameuse clef.
L’homme s’en aperçut. Il continua car son développement n’était pas terminé. Il voulait lui faire prendre conscience de la gravité de la situation.
- Vous comprenez de quoi je vous parle au moins ? lui demanda Muller. Il parlait plus fort à présent. Douze personnes sont aujourd’hui lâchées dans Paris, porteurs d’un parasite mortel qui va les tuer à coup sûr en quelques jours dans environ trois semaines à un mois. Il criait presque à présent. Dès que les symptômes se déclareront, il sait qu’il n’aura plus accès aux cobayes. Il sera coincé car ils seront pris en charge par les hôpitaux qui les mettront à l’isolement sans arriver à déterminer leur pathologie. Le protocole médical de recherche de causes pour ces symptômes n’inclut pas celui sur lequel je travaille. Le corps médical partira sur des leucémies puis s’apercevra rapidement que tout va bien sur ce plan là. Ils chercheront ensuite les virus dont j’ai parlé tout à l’heure comme le paludisme ou le chikungunya qui a les symptômes qui se rapprochent le plus. Mais ils feront, referont et referont encore les prélèvements et les analyses sans trouver quoi que ce soit. Ils feront appel à un deuxième laboratoire pour tenter de confirmer leur diagnostic qui ne trouvera rien non plus. Ils seront totalement perdus et désolés pour les patients, pour les familles. Ils tenteront des cocktails explosifs d’antibiotiques qui n’auront strictement aucun effet sauf celui de désagréger encore plus le système immunitaire des malades. Tout cela prendra dans le meilleur des cas une semaine, plutôt deux s’ils n’arrivent pas à faire le lien entre les malades. Muller s’énervait à présent. Il ne pouvait visiblement pas supporter de décrire par le menu exactement tout ce qui allait se dérouler. Pourtant, il continuait à décrire ce qui arriverait. Inéluctablement. Après quinze jours avec des montées de fièvre à quarante-et-un degrés, le corps et le cœur des malades ne tiendront pas et ils mourront. Et absolument personne n’y pourra rien et n’y comprendra rien.
Eric s’en fichait complètement. Il avait ses explications, le reste, de pseudos sentiments humanistes d’un médecin utopiste lui importaient peu.
Muller continuait. Voyant l’absence de réaction d’Eric, il s’énervait à présent, totalement immobile sur son fauteuil. Eric voyait les artères carotides se gonfler de colère et d’impuissance.
- Vous ne comprenez donc pas ? Non seulement ils vont mourir mais ce salaud va s’en servir pour développer une arme biologique redoutable face à laquelle il n’y aura pas de réponse. C’est abominable. Si je vous donne cette clef, il les retrouvera et prélèvera sur les patients ce dont il a besoin. Puis il laissera se continuer son test grandeur nature en toute impunité ! Muller éructait. Ils vont mourir alors que j’ai l’antidote ! Il l’implorait à présent. Je sais comment faire ! C’est mon parasite, je le connais. Je peux les guérir et réduire à néant les projets de ce fou !
Eric ne bougeait toujours pas. Il commençait à s’impatienter. Il ne lui restait qu’une troisième seringue de paralysant. C’était la seule dose supplémentaire acceptable sans des lésions irréversibles. Après, il faudra qu’il l’attache mais il n’avait pas pris le matériel nécessaire.
Muller parlait tout seul à présent, conscient qu’il n’arriverait pas à amadouer le tueur professionnel, il déblatérait pour lui-même. Résigné il avait baissé le ton.
- Mais vous ne vous rendez pas compte dit-il presque tout bas. Ce sont des êtres humains comme vous et moi. Je les connais, je les ai rencontrés. Sa voix s’éteignait petit à petit, des sanglots troublaient sa voix. Il y a Sébastien, il a seize ans, il veut être sportif de haut niveau. Il y a Valérie, elle élève seule ses trois enfants en bas âge. Des sanglots étranglaient sa voix qui s’éteignait. Il y a une aussi…, vous la connaîtriez… Une superbe jeune femme qui travaille dans la com’, pétillante et pleine d’avenir… Alicia…
- Qu’est-ce que vous avez dit là ? le coupa Eric brutalement.
Les yeux lui sortaient de la tête. Ses muscles se raidirent d’un seul coup. Il regarda Muller incrédule. Tétanisé par sa réaction, il s’était instantanément tu. Eric le regarda fixement en serrant les dents. Il avait le regard du tueur qu’il n’avait jamais cessé d’être pendant tout l’entretien.
Eric hurla :
- Qu’est-ce vous avez dit ?! Quel est le dernier prénom que vous avez prononcé ?
- Alicia, balbutia Muller. Voyant le regard d’effroi emplir les yeux du jeune homme en face de lui, il demanda, presque timidement : vous la connaissez ?
Episode huit
Eric entra dans un mutisme total.
Son monde s’écroulait. En un quart de seconde, il avait retourné toutes les questions sans trouver la moindre explication pour constater qu’il était piégé.
Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Mais pourquoi faut-il qu’Alicia soit impliquée ?! Il pestait intérieurement. Il rageait.
Le professeur Muller le regardait, incrédule, ne comprenant rien. Ou plutôt si ! Il ne comprenait que trop bien. Toutefois, au lieu de profiter de cette victoire inattendue du séquestré contre son ravisseur, ce qui aurait été logique, il sentit naître un sentiment inverse.
C’était tout son être, sa raison d’être, son existence, son serment d’Hippocrate qui revenait instantanément sans qu’il puisse le faire taire.
Concrètement, il se trouvait face à quelqu’un visiblement proche d’un malade naturellement incurable. Il voyait dans ses yeux toute la détresse qu’il avait déjà vue trop souvent dans les yeux des proches des malades.
Trop souvent, il avait dû faire des diagnostics totalement indiscutables et à l’issue dramatiquement fatale lors de ses expéditions sanitaires et voyages d’études dans des situations endémiques. Et trop souvent il avait vu ce regard de colère mêlé d’impuissance dans les yeux des proches des malades, des parents d’un enfant qui ne comprenaient pas cette maladie, du frère ou de la sœur qui avait déjà perdu trop de membres de leur famille, de leur village, de leur tribu, de leur caste pour des centaines d’autres raisons mais avec une seule issue : la mort.
- Dites-moi tout lui ordonna Eric soudainement. Vous avez dix minutes pour tout m’expliquer continua-t-il.
Muller faisait des yeux ronds comme des billes de billard.
- Vous expliquer quoi ? répondit-il presque en ricanant. Vous voulez que je vous fasse un exposé avec diapositives, photos explicatives et préconisations, lui demanda-t-il en utilisant un ton chargé d’ironie, de moquerie et de sarcasme.
Eric le regarda fixement et lui répondit le plus sérieusement du monde :
- Exactement. Vous avez dix minutes.
Le professeur Muller comprit qu’il n’était plus question de jouer et qu’il était parfaitement sérieux. Il lui expliqua ce qu’il voulait savoir. Sans prendre de gants. N’avait-il pas un tueur à gages en face de lui. Il pouvait bien supporter quelques détails médicaux. Quant au sentimentalisme, il ne fallait pas compter sur lui donc autant dire la vérité sans fard.
Il lui expliqua alors son travail. Les urgences sanitaires se trouvaient dans leur quasi-totalité dans des pays qui n’intéressent personnes et touchaient des personnes qui intéressent encore moins de monde.
L’Inde, Mauritanie, Pakistan, Papouasie Nouvelle-Guinée, Ethiopie, Tanzanie, Angola… La liste des foyers infectieux devenait de plus en plus impressionnante. La liste des destinations où il avait lui-même reconnu le regard d’Eric l’était depuis trop longtemps pour un simple docteur sans moyen…
Le professeur Muller avait du mal à suivre professionnellement. Avec un demi-million de nouveaux cas annuel officiellement déclarés – selon lui, le nombre réel de cas annuel pouvait être doublé à un million – et un nombre de personnes infectées dans le monde se montant à douze millions, il aurait été difficile que la situation soit différente considérant les faibles ressources allouées à la recherche sur cette maladie dans le monde.
- Je m’en contrefiche de vos états d’âme, le coupa Eric. Les faits, uniquement lui dit-il enfin sèchement.
Muller ne se démonta pas et lui répondit tout aussi sèchement :
- Ce sont vos états d’âme à vous, il insista sur le “ vous ”, qui m’amène à vous expliquer mon travail alors que je suis séquestré chez moi et que nous perdons du temps alors laissez-moi continuer !
Il avait dit cela calmement mais d’une voix ferme. Eric ne pouvait que s’incliner. Ce qu’il fit d’ailleurs en l’invitant à poursuivre d’un geste de la main.
Les zones infectieuses avaient tellement évoluées depuis ces dernières années. Elles couvraient à présent des régions du monde relevant de presque quatre-vingt dix pays pour une population de près de trois cent cinquante millions personnes.
Et même si plus de quatre-vingt-dix pour cent des cas mondiaux de leishmaniose viscérale se rencontraient en Inde, au Bangladesh, au Népal, au Soudan et au Brésil, les conditions climatiques compatibles avec le développement de la leishmaniose étaient très larges, allant des forêts tropicales d’Amérique Centrale et d’Amérique du Sud aux déserts d’Asie occidentale.
- Cela rend les recherches sur une application militaire d’autant plus intéressantes et, il marqua une pause, efficaces en termes de létalité et de diversité d’applications concrètes quel que soit le rayon d’action.
A chacun de ses voyages, le professeur Muller repérait rapidement les malades et surtout les sources de contamination. Les chiens. Les chiens errants la plupart du temps. Et les moustiques. Le vecteur de la maladie.
Muller savait que sa plus grande force était de voir un homme en chacun de ses patients alors que ses supérieurs ne voyaient que des chiffres – et souvent à la baisse pour ce qui concernait son budget de recherche. C’était toujours la même histoire lorsqu’il débarquait sur un foyer infectieux. Les malades faisaient état de fièvres pouvant monter jusqu’à quarante-et-un degrés, avec une altération rapide de leur état général. Perte d’appétit avec pour conséquence amaigrissement pour ceux qui pouvaient encore maigrir… Les malades présentaient une pâleur rendant leur teint cireux et blafard. Ils devenaient des cadavres avant de mourir.
L’examen clinique était succinct car il ne restait généralement plus rien à faire.
Compte-tenu du temps nécessaire pour être prévenu et de se “ transporter sur zone ” comme disent les militaires, le diagnostic était déjà inutile. Il était caduc par la force des choses, le temps le prenait de vitesse à chaque fois.
- Sans traitement, l’évolution est mortelle avec hémorragies diffuses, surinfection et défaillance cardiaque finale.
- Mais vous avez le traitement ! Vous l’avez dit tout à l’heure, lui dit Eric, s’énervant véritablement pour la première fois.
Muller le regarda calmement, puis jeta un coup d’œil à son genou gauche.
Le porte-clefs en plastique vibrait, il allait tomber dans moins de deux secondes, signe que le paralysant allait cesser de faire effet.
Il le regarda tomber puis releva la tête vers son ravisseur et lui dit calmement presque en souriant :
- Parce que vous croyez encore que c’est si simple que ça ?
Episode neuf
Bien sûr que non ce n’était pas si simple que ça et Eric le savait parfaitement. L’équation était simple et elle ne souffrait pas d’attente pour être résolue.
En effet, même s’il se sentait parfaitement de taille à contenir sa victime par la force plutôt qu’avec l’aide de potions médicamenteuses paralysantes, les choses ne s’arrêtaient pas là.
Eric était confronté à un dilemme comme il n’en avait jamais rencontré dans toute sa vie d’homme des derniers recours comme il se surnommait lui-même parfois.
D’une part, s’il restait inflexible sur sa mission, il pouvait récupérer les documents. D’une manière ou d’une autre, il y arriverait. Aucun homme ne pouvait résister aux méthodes qu’il avait développé jusque là dans sa vie “ professionnelle ”.
Il honorait son contrat et empochait le reste de la somme promise en plus du confortable montant déjà versé. Il n’avait jamais été déloyal envers son employeur. Même si ses statistiques personnelles étaient biaisées étant donné qu’il choisissait autant que possible ses missions, elles étaient absolument parfaites. Il n’avait jamais échoué ou transigé malgré les délires et l’abandon de toute dignité dont peuvent faire preuve les “ cibles ” parfois.
Il avait toujours agi de la sorte et en avait fait un véritable point d’honneur qu’il a toujours tenu à respecter et qui fut rapidement le principal argument du choix de ses commanditaires et des juteux contrats qui allaient avec.
Il y avait seulement un hic. Alicia mourrait et il deviendrait complice de son meurtre.
D’autre part, s’il voulait sauver Alicia, il devait aussi sauver sa peau à lui. Car s’il ne récupérait pas les documents et ne les remettait pas à son commanditaire, Joissains devra réagir. Il avait déjà fait appel à lui, en ça c’était déjà une marque non seulement de détermination mais également de moyens importants. Il enverra quelqu’un d’autre récupérer la liste. Cet imbécile de Muller n’a même pas cherché à fuir se dit-il. Eric l’avait retrouvé sans le moindre problème et avait pu monter son opération en trois jours.
Mais compte-tenu de son statut après sa trahison, il ne donnait pas cher de sa peau sauf à partir et changer de vie comme il s’y était préparé depuis bien longtemps. Quelqu’un d’autre serait envoyé pour le traquer et le tuer. Difficile d’engager une relation durable sur de nouvelles bases avec une femme comme Alicia qui a un travail, des amis, une famille…
Il était piégé. Dans les deux cas, il perdait ce qu’il venait de découvrir enfin.
La deuxième jambe de Muller retrouvait également sa mobilité. Ils le savaient tous les deux. Il fallait se décider. Vite.
Le professeur regardait Eric patiemment. Un sourire énigmatique camouflait son anxiété parfaitement légitime. Il tentait de rester serein mais il bouillait intérieurement. Comme par télépathie, il suivait peu ou prou les développements d’Eric. Il avait peur.
Evidemment.
Néanmoins, sans avoir la moindre preuve de ce qu’il avançait, et particulièrement venant d’un homme s’étant fait attaqué, séquestré, paralysé, décroché la mâchoire puis interrogé par une brute cynique et sans scrupule, le professeur Muller était enclin à lui faire confiance.
Eric regarda Muller et serra les poings.
- Dans l’éventualité, et je dis bien, dans l’éventualité où je vous accorderais l’opportunité de les soigner, de combien de temps avez-vous besoin, lui demanda-t-il.
- J’ai déjà repris la liste et ai localisé neuf personnes. Il ne m’en reste que trois.
Eric balaya l’air du revers de la main.
- Ce sont des conneries ça, je peux m’en occuper. De plus, vous avez dit que vous aviez leurs noms et leurs numéros, on a vu plus compliqué comme base de départ non ? lui dit-il presque méchamment. Et puis c’est mon travail de retrouver les gens. Pour terminer, il ajouta dans un rictus d’autosatisfaction malsaine. Même quand ils se cachent…
Muller répondit sur un ton beaucoup plus grave, l’air totalement démoralisé teinté d’une pincée de reproches.
- Si ce n’est pas un problème pour vous, tant mieux mais moi, j’ai besoin de temps. L’injection que je dois leur faire nécessite une diffusion lente au goutte-à-goutte pendant au moins trois heures. On ne résout pas ce type de problème à la bulgare, avec une discrète injection magique par une seringue cachée dans un parapluie, termina-t-il en se moquant.
Eric sombra. Le délai nécessaire pour soigner les patients identifiés empêchait tout. S’il pouvait temporiser deux jours avant que Joissains ne s’aperçoive de quoi que ce soit, il était impossible entre-temps de prendre les dispositions nécessaires auprès des douze personnes. Il allait falloir choisir entre qui allait mourir et qui pouvait vivre.
Muller reprit :
- Combien de temps avez-vous avant de rendre compte, j’imagine que c’est comme cela que l’on dit, à cette enflure de Joissains ?
- Deux jours, maximum. Peut-être trois mais il aura des soupçons.
- Alors c’est perdu, dit Muller avec un défaitisme qui étonna presque Eric.
Le silence s’installa. Lourd et chargé de sens. Ni l’un, ni l’autre n’avait semblé prêté attention au fait que Muller avait prononcé cette phrase en se prenant la tête dans les mains, penché en avant sur son fauteuil. Il avait retrouvé toute sa liberté de mouvement.
Eric réfléchissait. En regardant bien, l’on aurait pu voir au fond de ses yeux les rouages de sa pensée qui s’étaient mis en branle de tous côtés. Il devait trouver une solution. Bien que sans cœur jusqu’à présent dans sa vie, il ne pouvait se résoudre à épargner Alicia et éventuellement quelques autres tout en laissant mourir le reste des cobayes. Et surtout ! Alicia le suivrait-il dans la fuite inéluctable dans laquelle il devrait s’engager. Sans retour possible. Il souffla doucement en gonflant ses joues. Aucune chance. Il fallait trouver autre chose.
Soudain les yeux d’Eric se fixèrent. Il venait visiblement de trouver une piste et Muller le vit. Il l’interrompit :
- Vous pensez à quelque chose ?
- Peut-être, lui répondit-il lentement après avoir laissé passé une fraction de seconde pour ne pas perdre l’idée qui naissait dans son esprit.
Puis il reprit.
- Vous Muller, en combien de temps pouvez-vous être opérationnel avec les… infectés, lui demanda-t-il.
- Tout est prêt à mon labo. Depuis que je me suis aperçu de la disparation de la souche, j’avais déjà préparé les traitements. Si vous me présentez les patients, je peux commencer en une heure.
Eric réfléchissait encore. Il avait clairement une idée à laquelle il s’accrochait. Muller était vexé de ne pas être mis dans la confidence, il réessaya :
- Pouvez-vous me dire à quoi vous pensez, lui demanda-t-il en laissant transparaître une pointe d’énervement.
Eric laissa passer encore quelques trop longues secondes. Puis il releva la tête et regarda longuement Muller.
- Monsieur Muller dit-il. Je n’ai pas d’autres choix que de vous faire confiance. Ou plutôt si ! J’en ai d’autres mais je ne veux pas les explorer. Ma décision est prise.
Sa voix résonnait d’une conviction pleine et entière. Muller allait devoir se plier à ses exigences. Il les attendait avec impatience. Eric continua.
- Il est vingt-deux heures quarante dit-il après avoir jeté un œil à sa montre. Ca va être serré mais c’est encore jouable. Tenez-vous prêt pour demain matin à huit heures précises à votre labo. Vous saurez rapidement de quoi il sera question.
Eric se leva. Muller en fit de même… juste avant de retomber en arrière lourdement dans le fauteuil. S’il avait retrouvé sa mobilité, il s’était cependant levé trop vite, ses jambes ne l’avaient pas suivi.
Eric était en plein milieu du salon et se dirigeait vers la fenêtre. Il se retourna et évacua en une phrase les questions que Muller ne lui avait pas encore posées.
- Ne vous inquiétez pas. Dans une demi-heure, tous les effets auront disparu. Faites-moi confiance même si peu de personnes seraient capables de vous le confirmer. Généralement, elles ne peuvent plus parler – ni rien faire d’autre d’ailleurs – lorsque le produit cesse ses effets.
Puis il se retourna carrément vers Muller et le regarda avec beaucoup plus d’insistance. Il se pencha vers lui et lui dit tout bas en le menaçant du doigt.
- Monsieur Muller, pour que vous compreniez bien les choses. Normalement, à cette heure-ci, vous devriez être mort. Nous avons besoin l’un de l’autre. Mais sachez que si vous ne suivez pas mes consignes, les choses tourneront très très mal pour vous. Est-ce que c’est clair ?
La question n’appelait pas de réponse. Muller cligna simplement des yeux. Il venait de passer un pacte. Rassuré, Eric reprit une position moins menaçante. Il était pressé, il voulait agir vite. Il regarda sa montre une nouvelle fois puis s’adressa péremptoirement à Muller.
- Vous avez deux minutes pour me donner la clef USB, je vous la rendrai demain matin.
Muller défit les deux boutons du haut de sa chemise et en sortit une chaîne qu’il portait autour du cou à laquelle pendait un pendentif ethnique assez gros et plutôt original. Il défit le collier et le tendit à Eric.
- Tenez, la voici.
Eric ne répondit rien en rangeant le collier et la clef qu’il avait pris pour un vulgaire bijou dans une de ses poches de blouson. Pourtant, intérieurement il était piteux. Il ne serait jamais allé chercher à cet endroit-là. Il s’en voulait terriblement mais ne laissa rien paraître.
Il se dirigea vers la porte et dit juste avant de l’ouvrir :
- N’oubliez pas Muller. Demain, à huit heures précises. Soyez à votre labo.
Les questions que Muller lui posa se cognèrent contre la porte déjà refermée. Il avait passé un pacte sans avoir la moindre idée des conséquences.
Eric dévala silencieusement les escaliers quatre à quatre. Un guépard fou était lâché en ville.
Il était vingt-deux heures quarante-sept. Ca allait vraiment être juste.
Le lavomatic fermait à vingt-trois heures. Mais avec un peu de chance, il arriverait à attraper Abou’.
Episode dix
La fumée s’envolait, discrète et odorante. Au quatre-vingt dix-huit de la rue des moines, juste au croisement avec la rue Guy Môquet, Julien fumait accoudé à la rambarde du troisième étage. Il savait qu’il devait aller se coucher car il devait se lever tôt demain matin. Demain, il rentrait à Bordeaux retrouver sa femme Esther, son fils Thomas et Caroline, sa fille, la prunelle de ses yeux, la huitième merveille du monde.
En attendant, il pensait. Il était vraiment content que son ami Nico lui ait prêté son appartement pour les quelques jours qu’il devait passer à Paris. Il pensait à sa femme et regardait distraitement la rue et ses rares passants. A vingt-trois heures juste passé, il fumait une dernière cigarette avant d’aller se coucher.
Son regard suivait le gardien de la laverie, de l’autre côté du carrefour. Il fermait les locaux jusqu’au lendemain matin. Vêtu de sa blouse blanche, probablement pour donner plus d’importance à sa fonction se dit-il, il verrouillait pour les quelques heures restantes de la nuit un local où il n’y avait peut-être à voler que de grosses machines à laver hors d’âge.
Tout à coup, ce qu’il vit l’interpella. Un homme, plutôt jeune, passe-partout, courait vers le gardien de la laverie. Visiblement, il était content de le trouver là et faisait de grands signes qui laissaient penser qu’il tenait vraiment à le voir tout de suite.
La scène l’intrigua au point qu’il se recula discrètement pour disparaître de l’encadrement de la fenêtre. Il termina sa cigarette et essaya d’écouter ce qu’ils se disaient. Malgré l’heure avancée, des voitures ou des deux roues passaient régulièrement l’empêchant d’entendre. Toutefois, il comprit vite que ces deux là se livraient à un curieux manège. La discussion avait visiblement pris une tournure très sérieuse, beaucoup plus sérieuse que pour une simple histoire de linge mal lavé. Quelque chose se tramait.
Soudainement, l’homme qui avait couru pour attraper le type de la laverie sortit une liasse de billets. Discrètement, il lui en donna deux ou trois. Puis, selon toute vraisemblance, la négociation s’engagea vraiment. Il lui en redonna encore quelques-uns.
L’africain se recula alors de quelques mètres, se rapprochant ainsi de la fenêtre où se trouvait Julien et sortit son téléphone portable.
Il l’écouta le plus attentivement possible.
- Salamalekum c’est Abou’…
- […]
- Oui, mon ami, exactement…
- […]
- Tu peux les avoir pour quand ?
- […]
- Cinq-cents…
- […]
- Ok, il passera demain à cinq heures trente avant l’ouverture.
- […]
- Ne t’en fais pas, c’est un cousin.
- […]
- Allez ! Jërëjëf et Ba bennen.
Il raccrocha puis retourna vers l’homme au blouson le sourire aux lèvres. Ils se serrèrent la main puis partirent chacun de leur côté. Julien n’avait pas la moindre idée de ce qui s’était conclu mais chacun avait l’air parfaitement heureux de la transaction. Il ferma la fenêtre et décida d’aller se coucher, une longue route l’attendait demain.
A sept heures cinquante-six le lendemain, Eric se présenta à l’entrée du labo du professeur Muller, au 211 rue de Vaugirard, l’entrée de derrière de l’Institut Pasteur. Il portait une boite carrée d’une dizaine de centimètres de côté. Il en ressortit une heure plus tard avec la même boite, et la recala dans son blouson. Il mit son casque, enfourcha son deux-roues et démarra en trombe à travers les rues parisiennes.
A treize heures quinze, Eric entra dans le restaurant Entrenous au quatre-vingt neuf boulevard de Courcelles, juste à côté de la Place des Ternes.
Il connaissait le patron et ce dernier, comme beaucoup à Paris et ailleurs, lui devait un petit service. Très étonnamment, le restaurant était vide en ce milieu de semaine. Tant mieux se dit Eric en s’asseyant à la table la plus reculée, près du comptoir et des cuisines.
Joissains arriva à treize heures quarante dans le restaurant toujours aussi désert et vint s’asseoir en face d’Eric qui l’attendait immobile, tel un sphinx.
- Tenez, voici la liste, lui dit Eric en lui tendant une clef USB comme il en existe des millions dans le monde.
- Merci monsieur lui répondit Joissains qui réalisait en même temps qu’il ne connaissait même pas le prénom de son interlocuteur.
- L’argent a été correctement viré. J’ai vérifié vous vous en doutez bien.
- Evidemment. Nous sommes entre gens civilisés, je vous avais prévenu, lui dit Joissains avec un sourire malsain.
- Cependant, je vais faire une petite entorse à la règle.
Joissains blêmit. Eric le rassura d’un geste de la main.
- Il était prévu que vous ne deviez plus chercher à entrer en contact avec moi mais comme j’aime faire mon travail de la meilleure manière possible, je vais vous laisser un numéro de téléphone sur lequel vous pourrez m’appeler quand vous aurez vérifié le contenu de la clef.
Immédiatement rassuré, Joissains prit le bout de papier dactylographié comportant un numéro de téléphone portable.
- Merci beaucoup, je reconnais bien là le professionnalisme que l’on m’avait tant vanté lorsque je cherchais quelqu’un comme vous. Je vous appellerai dans l’après-midi.
- Très bien monsieur Joissains, je pense que nous nous sommes tout dit, je vous laisse déjeuner, j’ai un autre rendez-vous.
Eric se leva, sortit du restaurant et disparu dans la rue. Joissains commanda un steack de l’Aubrac accompagné de pommes frites. Une radio calée sur France info crachotait dans un coin du restaurant.
Vous écoutez France info, il est quatorze heures. Tout de suite le flash informations.
Coup de tonnerre dans le monde médical parisien. La rédaction de France info, comme l’ensemble des rédactions des autres grandes stations de radio et de télévision, a reçu ce matin un dossier complet mettant en cause un grand spécialiste parisien des pathologies infectieuses. Selon les informations que nous avons vérifiées, le professeur Joissains, spécialiste internationalement reconnu aurait délibérément infectés des patients sans les prévenir d’agents infectieux à des fins de recherche sur une éventuelle arme biologique.
L’autorité des marchés financier, probablement prévenue également a suspendu la cotation boursière des entreprises impliquées il y a quelques minutes et leurs représentants ont opposé une fin de non-recevoir à toutes nos demandes d’explications. Certaines sources policières nous ont par ailleurs indiqué que la garde à vue de certains dirigeants aurait débuté.
Le professeur, quant à lui, est à l’heure où nous parlons introuvable et l’ensemble des services de police de France sont à sa recherche. Précisons également qu’un mandat d’arrêt international devrait être émis dans les heures qui viennent pour retrouver l’homme à l’origine de ce que l’on pourrait d’ores et déjà définir comme d’un des plus grands scandales médicaux de ces dernières années.
Joissains cracha le morceau de viande qu’il avait dans la bouche. La chaleur sourde de la peur se diffusait dans ses veines. Cette chaleur qui s’insinue dans la moindre parcelle de votre corps quand vous savez que vous avez perdu, quand vous avez compris que la partie est terminée.
Ses yeux exorbités se fixèrent dans le vide juste avant qu’il n’empoigne son téléphone portable.
Episode onze
Joissains était dans une fureur où la peur transpirait autant que la colère.
- Qu’est-ce que c’est que ce bordel ! hurla-t-il dès qu’Eric eut décroché. Il avait du mal à parler tellement il était rouge de colère. Qu’est-ce que vous avez foutu bordel de merde ! Mais vous savez qui je suis ? Il hurlait d’une force incroyable. Ses artères carotides étaient anormalement gonflées de fureur.
Eric lui répondit calmement mais il savait très bien qu’il ne l’écoutait déjà plus.
- Oui, je sais parfaitement qui vous êtes et ce que vous avez fait Joissains. Vous n’auriez pas dû…
- Mais de quoi vous vous mêlez putain de merde !
- Je n’avais pas fini ma phrase Joissains. Je vous disais que vous n’auriez pas dû…
Eric ne termina pas sa phrase, inutile de trop en dire. Il se reprit.
- … vous auriez dû choisir vos cobayes différemment.
- Je vous poursuivrai, je vous aurai, où que vous vous cachiez espèce de salaud.
- Ca m’étonnerait beaucoup Joissains, lui répondit Eric distinctement pour qu’il l’écoute attentivement. Puis il continua calmement. Après avoir raccroché, faites-moi plaisir, appelez votre femme. Elle vous demandera pourquoi vous lui avez fait livrer ce matin une magnifique statue mauritanienne. Elle se plaindra probablement des quelques moustiques qui se trouvaient dans la boite et dans la statue, moustiques qui l’ont probablement piqué à de multiples reprises ainsi que vos deux adorables filles de quatre et six ans qui étaient opportunément à la maison ce matin.
Joissains eut le souffle coupé, il ne pouvait plus articuler le moindre mot, il avait peur de comprendre.
Eric termina alors sa phrase comme un docteur ferait des recommandations à la fin d’une consultation.
- Elles devraient faire un peu de fièvre toutes les trois. Surveillez l’évolution et si elle perdure au-delà de quarante-huit heures… Il laissa un blanc. Puis reprit : N’hésitez pas à consulter. Je connais des gens très compétents à l’institut Pasteur. Des spécialistes reconnus...
Il raccrocha au moment où il entendait de l’autre côté du combiné les premières sirènes de police qui approchaient du restaurant.
- Dommage, se dit Eric en souriant méchamment. Il ne pourra pas appeler sa femme tout de suite, il va être obligé d’attendre un petit peu…
Eric défit la batterie de son téléphone portable, enleva la puce et la cassa en deux avant de la jeter dans le caniveau.
Il en remit immédiatement une autre et composa le numéro de Muller.
- Allo Muller ? Alors professeur, où en est-on ?
- Ecoutez, on a déjà commencé à traiter six patients qui se sont manifestés dès ce matin. Il en reste six autres que nous attendons, ils devraient arriver dans les heures qui viennent. Si tout se passe bien, ce soir, ils seront tous installés en observation après le traitement. Je referai des analyses demain matin mais je pense que les taux de propagation seront quasi-nuls déjà dès ce soir. Je ne sais pas ce que vous avez fait ni comment mais merci. Merci beaucoup.
- J’ai simplement fait transmettre en mains propres à chacun d’eux ce matin une copie de l’enregistrement audio que vous aviez sur votre clef USB avec quelques autres éléments décrivant l’évolution de l’infection dont ils sont… Il marqua une pause, dont ils étaient porteurs. Vous savez, dès que vous parlez dégénérescence et maladie exotique à quelqu’un, il prend les choses au sérieux rapidement. C’est aussi pour cela que vous avez dû recevoir des appels de leur part ce matin assez rapidement.
- Oui, oui, en effet, ils ont tous appelés répondit Muller exalté. Certains n’étaient pas à Paris mais ils rentrent le plus vite possible pour suivre le traitement. Ils sont sauvés vous savez. Tous. Y compris…
Eric le coupa sèchement.
- Tant mieux.
Muller se reprit.
- Je ne sais pas comment vous avez fait non plus mais les infos sont toutes sorties en même temps dans les médias. Les journaux télévisés des chaînes d’info en continu ont bien suivi la consigne. Tout est sorti pile aux infos de quatorze heures.
- Mon métier m’a fait rencontrer pas mal de gens influents par le passé lui dit Eric toujours aussi énigmatiquement. Je savais quelles portes pousser, je n’ai pas beaucoup de mérite continua-t-il feignant maladroitement une modestie mal placée. Puis il reprit une voix plus habituelle pour se repositionner dans un rapport de force avec Muller. Par contre, vous avez risqué gros vous savez. En leur livrant l’info à la première heure ce matin, je leur ai laissé le temps de vérifier absolument tout. Si vous m’aviez menti ou si vous aviez omis de me dire quoi que ce soit, ce se serait retourné contre vous immédiatement. Vous avez bien fait de jouer franc-jeu.
- Je n’avais aucun intérêt à vous mentir sur quoi que ce soit vous savez lui répondit Muller honnêtement. En tout cas, hier soir, malgré notre début de relation quelque peu... conflictuelle, j’ai rapidement compris qu’il était préférable de jouer carte sur table avec vous.
Muller laissa un blanc. Il repensait à son début de soirée hier soir et à l’intrusion d’Eric dans son appartement. C’est lorsque tout serait terminé qu’il réalisera et aura probablement même un peu peur.
Deux questions encore le taraudaient pour le moment. Il décida de les poser sans détours.
- Comment pouvez-vous être persuadé que Joissains vous laissera tranquille ?
- Ne vous inquiétez pas pour ça lui répondit Eric sûr de lui. Cet imbécile n’a pas suffisamment sécurisé ses systèmes informatiques personnels dit-il presque en riant. A la seconde où il a confirmé le paiement de mes... honoraires, la quasi-totalité de sa fortune a été transférée sur une dizaine d’autres comptes situés dans des paradis fiscaux respectant parfaitement le secret bancaire. A l’heure où je vous parle, les millions d’euros qu’il avait amassés plus ou moins légalement sont en train d’être redistribués à une multitude d’associations et d’organisations humanitaires et sanitaires à travers le monde. Dont l’institut Pasteur d’ailleurs.
De manière totalement désintéressé, Muller était réellement ému en entendant ceci. Pourtant il ne put s’empêcher de relancer le sujet initial.
- Cela ne répond pas à ma question. Raison de plus si vous l’avez ruiné ! Comment pouvez-vous être sûr qu’il ne vous traquera pas pour vous faire payer tout ce que vous avez fait.
Eric laissa passer une demi-seconde. Il ne savait pas s’il pouvait dire à Muller le fond de sa pensée. Puis, par orgueil autant que par sincérité, il expliqua.
- Vous savez monsieur Muller, compte-tenu de ma... réputation, si Joissains souhaite s’en prendre à moi, il sera obligé de faire appel à de vrais professionnels qui refuseront. Et si, à tout hasard, l’un d’eux accepte le contrat, ses honoraires seront largement prohibitifs. Joissains est ruiné, il n’aura plus jamais assez d’argent pour faire appel à ce genre de personnes...
Muller ne pouvait pas voir le sourire mauvais d’Eric en disant cela. Toute son œuvre et particulièrement cette mission lui avait apporté une notoriété dans le milieu qui devait déjà se répandre au travers de toutes les strates de la profession. Ceci étant, le professeur avait sa réponse. Qu’elle lui plaise ou non, c’était la stricte réalité.
Une dernière chose cependant le questionnait.
- Juste une dernière question. Qu’avez-vous fait des moustiques mauritaniens – très beaux spécimens soit dit en passant – que vous m’avez fait infecter ce matin ? Je ne sais pas où vous les avez eux mais ils sont fabuleusement costauds.
C’était le médecin qui parlait et s’extasiait devant des moustiques. Eric sourit. Tous les mêmes ces médecins passionnés par leurs maladies de prédilection !
Lui-même d’ailleurs ne doutait pas de la vigueur des moustiques qu’Abou’ lui avait trouvé. Ils arrivaient directement d’un container arrivé au Havre dans la nuit en provenance de Nouakchott et, malgré le transport, avaient parfaitement retrouvé force et vigueur.
- Ne vous en faites pas. Les dégâts qu’ils vont provoquer seront probablement très circonscrits… lui répondit Eric d’un ton énigmatique. De toute façon, poursuivit-il, vous en entendrez directement parler rapidement, j’en suis persuadé.
Eric entendit du bruit et une grande agitation derrière Muller. Il se doutait que l’ensemble de son service devait être en pleine effervescence et la proie de sollicitations multiples. Il lui confirma en lui répondant rapidement.
- Je dois vous laisser lui répondit le professeur Muller, j’ai des patients qui arrivent. A bientôt.
Muller raccrocha sans attendre la réponse.
- A bientôt oui, se dit Eric pour lui-même tout bas, le portable toujours collé à l’oreille.
Il rangea son téléphone, remit son casque, enfourcha sa moto et partit se perdre dans les rues parisiennes.
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Epilogue
1.
Les informations relatives à la leishmaniose dans ce texte sont parfaitement vraies malgré quelques aménagements pour les besoins du récit.
Entre 1999 et 2009, 241 cas de leishmanioses (autochtones) ont été déclarés en France dont une moyenne de 10 cas par an dans les Alpes-Maritimes.
2 cas par an sont constatés sur des enfants de moins de trois ans.
La leishmaniose viscérale a fait au Soudan entre 100 000 et 200 000 morts depuis 1989.
Il n’existe aucun vaccin et il y a très peu de recherches sur les cas humains. C’est une pathologie considérée comme d’ordre vétérinaire.
2.
Le professeur Muller existe, il s’appelle Pierre Marty.
Professeur de Parasitologie-Mycologie à la Faculté de Médecine de Nice, chef de Service au CHU de Nice, directeur du laboratoire de parasitologie de la faculté de médecine de Nice.
Le Pr Pierre Marty est, en plus, actuellement en charge des Relations Internationales à la Faculté de Médecine et a été fait Chevalier de l’Ordre des Palmes académiques en 2011.
C’est un grand homme.
Je lui dédie ce récit. Il saurait pourquoi même s’il ne le lira probablement jamais…
3.
D’après ce que j’ai pu lire, je ne vais pas vous raconter d’histoires mais le restaurant Entrenous, à côté de la Place des Ternes à Paris n’est pas incontournable… Dommage. J’aimais bien le nom et la localisation…
4.
Si certains ont eu la curiosité d’aller voir la Street view sur Google map du 21 rue Guy Môquet à Paris, ils ont pu constater qu’on ne voit pas Abou dans sa laverie.
Mais un conseil néanmoins. Ne regardez pas trop l’homme avec un blouson de cuir devant l’entrée de l’immeuble… Il pourrait bien ne pas être content que vous l’ayez démasqué…
Pas encore fini de le lire mais dejà bravo.
· Il y a presque 11 ans ·Grosses pointure semble-t-il, es tu édité? si non tu le mérites, suis allé voir d'autres textes de ta prod...waoh
Christophe Paris
Merci beaucoup des compliments. Suis touché.
· Il y a presque 11 ans ·Et pour répondre à ta question, non, pas encore édité. Mais pour être édité, il faut déjà avoir quelque chose à proposer à un éditeur n'est-ce pas ? Or je n'ai encore rien produit de suffisamment consistant qui me permette de me présenter devant un éditeur...
Je te souhaite en tout cas de bonnes lectures et dans l'attente de tes retours.
wen
Tu devrais songer à l'auto édition tu as quand même beaucoup de textes et pas que des courts, niveau consistance t'es très éloigné du sandwich sncf :-)
· Il y a presque 11 ans ·Christophe Paris
Certes. Mais finalement, rien qui ne ressemble à ce qu'on appelle communément un "vrai-bouquin-qui-tient-la-route"...
· Il y a presque 11 ans ·Mais j'y travaille, j'y travaille. :-)
wen
Merci beaucoup.
· Il y a environ 12 ans ·Pour ne rien te cacher, j'étais effectivement parti sur un exercice de style avec une séquestration à la Dexter en effet. Et puis j'ai voulu mettre une vraie personnalité au Pr. Muller, ensuite le personnage d'Alicia s'est greffée au récit..., et voilà le résultat.
Merci sincèrement beaucoup de ta lecture et des compliments. Au plaisir de te recroiser ici ou ailleurs.
wen
Ai tout lu, après trois mois d'absence, il faut que je rattrappe, c'est parfait d'avoir mis ton texte en entier, j'aurais copier coller tous les épisodes sur Words, ainsi tu m'a facilité le travail, travail que tu as accompli avec dextérité. Au début je pensais que tu allais faire du Dexter adapté à ta façon, mais j'ai suivi ton histoire passionnément, un grand bravo pour la fin et un beau coup de cœur. Tu es un grand auteur.
· Il y a environ 12 ans ·Yvette Dujardin
Merci beaucoup de ton passage ici Fuko San et merci du compliment. Bravo à toi d'avoir avalé les 60 pages...
· Il y a environ 12 ans ·Si tu vas au lavomatic, passe le bonjour à Abou de ma part !
wen
Chapeau Wen ! Très bien raconté ! On est mordu mais on va encore le passer à la machine pour un petit essorage ...
· Il y a environ 12 ans ·fuko-san
Merci beaucoup Malusyle, je suis touché.
· Il y a environ 12 ans ·wen
CDC. J'aime
· Il y a environ 12 ans ·malusyle
Ne me dis pas merci Joëlle, tout le plaisir est pour moi. C'est moi qui te remercie d'avoir lu cette petite histoire.
· Il y a environ 12 ans ·wen
Merci Mystérieuse.
· Il y a environ 12 ans ·J'essaierai de faire aussi bien pour la prochaine histoire.
wen
CDC....
· Il y a environ 12 ans ·mysterieuse
Merci beaucoup Patrice pour ce très beau commentaire.
· Il y a plus de 12 ans ·Cela fait plusieurs fois que nos commentaires se croisent sur des pages ici ou là et je suis très heureux si j'ai pu t'attraper dans les filets d'Eric.
Au plaisir de se recroiser.
wen
CDC, je ne sais quoi dire, à part 5 cœurs et le CDC. Je ne révèlerai pas la fin, mais il faut lire de bout en bout, du début jusqu'à la dernière ligne. Captivant.
· Il y a plus de 12 ans ·Patrice Merelle
Punaise ! Vous rendez-vous compte de la pression que vous me mettez pour les textes suivants ?
· Il y a plus de 12 ans ·:oP
Je vous déteste ! (surtout Woody-Judas d'ailleurs).
wen
moi aussi des que j'aurai plus de temps je vais le relire avec plaisir, en prenant mon temps pour apprecier pleinement ce texte tres bon
· Il y a plus de 12 ans ·christinej
@Alice : Merci beaucoup à toi aussi de passer ici. Bonne lecture et reviens me dire ce que tu en as pensé.
· Il y a plus de 12 ans ·N'arrête jamais stp. Ce que tu écris sont de gros morceaux de bonheur à déguster sans modération. Impossible de se lasser.
@Sweety : Merci à toi de ta fidélité et de tes commentaires. J'essaierai de faire aussi bien la prochaine fois.
wen
♥ ♥ ♥ ♥ ♥
· Il y a plus de 12 ans ·je vais le relire avec plaisir!
j'ai dit hier un énorme coup de coeur pour l'ensemble je le redis auj!
vivement le prochain texte ou tu nous tiendras en haleine!
Sweety
Oh, genialissime, je vais pouvoir tout lire d'une traite (j'ai un peu - beaucoup - de retard) ! Merci Wen, de passer aussi souvent sur mes écrits et de laisser ce petit mot, unique, qui me donne envie de ne jamais arrêter :) Belle journée à toi
· Il y a plus de 12 ans ·Alice Neixen
Yes, je vais jouer du Ctrl+P !
· Il y a plus de 12 ans ·Mathieu Jaegert
Voici le texte entier de Mosquito, diffusé par épisode sur 10 jours.
· Il y a plus de 12 ans ·Une fois encore, merci à tous de vos lectures et de vos commentaires. N'hésitez surtout pas à m'écrire directement pour toutes les fautes (frappe, orthographe, conjugaison, etc.) que vous pourriez voir.
Pour imprimer le texte entier, se mettre sur la page "Lire" et faire un Ctrl+P.
wen