On n'est pas sérieux quand on a 17 ans
matt-anasazi
ON N’EST PAS SÉRIEUX QUAND ON A 17 ANS…
Jérémy attendait sur le banc du square. Ses baskets faisaient des trous dans le sable, à force de tremblements. Depuis qu’il était assis, treize couples s’étaient donnés la main, sept papis s’étaient arrêtés sous les arbres face à lui, huit femmes avaient traversé le square en faisant leur jogging. Mais pas de Luc Maréchal. Il renfonça davantage sa casquette ; il ne tenait pas à être vu ici. Ces potes se foutraient de lui à vie.
Il sortit une cigarette du paquet que lui avait passé Jessica. Il l’alluma, prit une bouffée. Il sentit l’afflux de nicotine. Apaisement chimique. Il regarda sa main : la cigarette entre son index et son majeur, la fumée qui montait en ligne droite pour finir par exécuter des volutes compliquées au dessus de sa tête. Tout comme sa vie. Avoir tracé sa route pendant toutes ces années pour arriver au sac de nœuds qui lui broyait la poitrine.
Dire qu’il n’y a même pas une heure, il était avec sa copine. Ils avaient passé l’après-midi ensemble. Ca faisait un moment qu’il avait envie d’elle mais elle refusait à chaque fois. Elle n’était pas prête, elle avait peur d’avoir mal, enfin tout ce que ses potes lui avaient prédit. Mais Jessica était une chouette fille, il l’aimait vraiment. Il voulait attendre pour elle. Mais il n’était pas dans son assiette aujourd’hui et Jessica l’avait senti. Ils s’étaient embrassés, leurs corps s’étaient touchés, touchés… et finalement, ils l’avaient fait. Elle ne regrettait pas mais il n’avait pas mis de préservatif. Il n’eut même pas le temps de la rassurer ; il était temps de partir pour le rendez-vous.
Jérémy jeta un coup d’œil à sa montre : 17h48. Il aurait déjà dû être là. Dire qu’il attendait un type qu’il n’avait jamais vu, dont il avait appris l’existence qu’il y a à peine quatre mois. Sa mère lui avait dit qu’un jour, elle lui dirait certaines choses quand le moment serait venu. Pendant son enfance, il avait guetté ce moment avec l’impatience de l’enfant qui veut apercevoir le père noël. Puis vers 13 ans, il ne voulait plus de ce secret, inutile à sa vie, à leurs vies. Pourtant, la pointe d’amertume de l’inconnu, le désir de connaitre la vérité et le refus de cette vérité le taraudaient insidieusement. Il faisait mime de ne pas y prêter attention, mais… l’enfant curieux sommeillait toujours en lui, du haut de ses 17 ans.
Un homme entra dans son champ de vision, balayant le parc des yeux. Il s’arrêta devant le banc de Jérémy. L’adolescent le dévisagea : un visage long recouvert d’une barbe de trois jours poivre et sel, des yeux bleus tristes, des cheveux grisonnants, une chemise à carreaux et un jean. Un type normal. Que s’était-il imaginé ?
- Jérémy Dos Santos ?
- Ça se peut…
- C’est moi, Luc Maréchal… Ton père.
L’adolescent se leva lentement. Il sentait vide, froid, comme s’il voyait un film se dérouler. Il avait repassé un nombre incalculable de fois cette scène dans sa tête… en fait, toute sa vie et maintenant, ça y était. Dans certains rêves, il lui sautait au cou, dans d’autres, il lui crachait presqu’au visage. Là, devant son père, Jérémy restait sans bouger, sans parler.
- Si tu es d’accord, j’aimerais te parler ailleurs. Trop de mauvais souvenirs ici.
Jérémy et l’homme se dirigèrent vers une petite cylindrée et en quelques minutes furent hors de la ville. L’adolescent ignorait complètement où son « père » le conduisait et ce qu’il lui montrerait. Pendant le trajet, l’adulte essaya de nous nouer la conversation. Jérémy répondait par des bribes de phrases. Pas par paresse, par méfiance. Aussitôt, l’homme réagissait en parlant de lui, de son passé, de ses souvenirs avec sa mère, de ce qu’il faisait maintenant. L’adolescent se laissait conduire, totalement.
Ils s’arrêtèrent sur une corniche face à la mer. Un magnifique point de vue, avec de la place pour deux ou trois véhicules. L’homme lui expliqua qu’ils venaient souvent se retrouver ici, que c’était leur coin à eux, leur coin où ils pouvaient s’aimer sans le poids des autres. Jérémy l’écoutait à moitié mais une question restait sans réponse. Et comme ce Luc Maréchal ne se pressait pour aborder le sujet, il fallait que Jérémy affronte le problème.
- Vos souvenirs, là, c’est bien joli, mais ça ne me dit pourquoi ? Pourquoi vous nous avez abandonné, ma mère et moi ?
L’homme s’arrêta, l’air gêné. Il baissa les yeux. Il semblait redouter ce moment mais il s’y attendait.
- Avant toutes choses, tu dois savoir que j’aimais ta mère et que…
- Répondez-moi.
- Je… n’avais pas le choix. Je devais partir parce que…
- Comment ça « devais » ? Si vous l’aimiez, fallait rester.
- Je voulais…
- Et alors ? Bordel, vous vous imaginez la vie de ma mère : les boulots de merde, la famille qui la traitait comme une… Alors, c’était quoi, votre problème ?
- Mais j’avais 17 ans… J’allais pas foutre ma vie en l’air parce que la fille que j’aimais était enceinte. J’avais p…
Ne pas penser, ne pas penser, se concentrer sur la route. Des larmes pleins les yeux, des ecchymoses et du sang séché sur les mains, Jérémy maudissait son destin. Avec ces foutues lois des séries, sa vie et celle de ceux qui l’entourait allait être foutue en l’air encore une fois.
j'aime beaucoup aussi !
· Il y a environ 11 ans ·lorenlorant
Merci beaucoup !
· Il y a environ 11 ans ·matt-anasazi
Voila ! je découvre, pardon, j'étais occupée.
· Il y a plus de 11 ans ·Très fort et puissamment humain.
cdc
lyselotte
@ Rafistoleuse merci breaucoup.
· Il y a plus de 11 ans ·@ NZ Décidément, c'est de la père-sécution (cf. la scène du bain, que je connais bien aussi !)
matt-anasazi
Je te lis et me dit qu'il vaut peut être mieux te laisser écrire des belles choses telles que celle là plutôt que te demander un thème pour un concours d'écriture... warf warf !
· Il y a plus de 11 ans ·Eh les filles ! CE TEXTE A ÉTÉ PRIMÉ DANS LE CADRE DU DÉFI #5 DU CLUB "JETTEZ L'ENCRE" !!!!!!!
(Ex Ghost Of) Napoléon Zér0
Très fort ton texte, je ne m'attendais pas à cette fin. En tout cas ça m'a touchée, tu as les mots justes.
· Il y a plus de 11 ans ·Bravo !
rafistoleuse
Merci beaucoup, Laéra ! Au plaisir de te terrifier encore ;)
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
Texte génial, prenant et terrifiant dans sa chute ! ;-)
· Il y a plus de 11 ans ·laera
Merci beaucoup, Sweety !
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
j'ai beaucoup aimé ce texte.
· Il y a plus de 11 ans ·Sweety
Merci, Suze. J'ai adoré le tour dans ton "Jardin des préjugés".
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
Super texte sur la loi des séries, imparable... :) cdc!
· Il y a plus de 11 ans ·suzelh
Merci, mes supportrices. Ca fait plaisir de vous imaginer en pom pom girls. Vous me faites plus confiance que moi-même. Je ne le dirais jamais assez : MERCI !
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
Nan mais Matt il a PAS ASSEZ CONFIANCE ! Des baffes...
· Il y a plus de 11 ans ·Un texte vraiment touchant et excellent, sur un sujet tellement parlant. Et la conclusion est subtile et bien amenée. Bravo !
octobell
Matt alors ca c'est du n'importe quoi ... Il suffit d'essayer
· Il y a plus de 11 ans ·reverrance
Merci beaucoup, Réverrance. J'aurais voulu écrire une histoire d'amour comme la tienne... mais je n'y serais pas arrivé.
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
Belle nouvelle très agréable à lire
· Il y a plus de 11 ans ·reverrance
Merci à tous les deux !
· Il y a plus de 11 ans ·Psychose, tu as raison : faute de frappe, je me suis trop dépêché de taper le texte.
matt-anasazi
Bravo ! Sublime ! Belle écriture ! Belle mise en place ! Intrigante moralité : choix et conséquences ! Effectivement, çà mérite un CDC, encore bravo ! (Sinon, " l'adulte essaya de nous nouer la conversation ", le "nous" n'est-il pas en trop ? à moins que je me trompe. . .)
· Il y a plus de 11 ans ·psycose
J'aime beaucoup... çà touche en plein coeur ! c'est bien construit.
· Il y a plus de 11 ans ·cerise-david
Merci. De ta part, c'est flatteur car ton texte est excellent par sa drôlerie.
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
oh lala quel texte, tres bon, j'adore bravo cdc pour moi
· Il y a plus de 11 ans ·christinej