Qu'on [Défi N°7 / club "Jetez l'encre"]

« On ne grandit pas, on évolue juste dans des boîtes plus grandes. »

Zylan se fit cette réflexion lorsqu’elle balayait – des yeux seulement – le foutoir de son appartement.  Plus spacieux que son studio d’étudiante, donc,  en toute logique, plus de place pour son chaos confortable.  On était dimanche. 14 h environ. Elle s’était levée depuis bien dix minutes. Affalée sur le canapé, buvant son café dans un thermos. Plus chaud, plus longtemps, plus de temps pour le laisser refroidir sans avoir besoin de le réchauffer. Elle trouvait ce concept formidable et ne comprenait pas qu’on n’utilise pas cette fabuleuse merveille de technologie chez soi.  Et autant dire que le thermos n’était pas le plus farfelu. Son T2 ressemblait à un camping. Comme si chaque meuble ou chaque objet était arrivé à l’intérieur en disant «  T’inquiètes, je me pose juste là, j’passe pas plus d’une nuit ici donc t’embêtes pas à me faire de la place ». Et ils étaient tous restés là. De la chaise Quechua avec l’accoudoir-porte-bière, à l’immense bahut en pin massif qu’elle avait récupéré avec sa mère et qu’elle avait recouvert de papier journal déchiré puis de plastique collant avec lequel on recouvre ses livres à l’école. Mais Zylan n’achetait pas de journaux. « Si l’information vient à moi, je la prends, manquerait plus qu’elle se fasse payer ». Alors c’était beaucoup de pages de petites annonces, avec des plis de papier sous le plastique que quand tu passes la main t’as sans cesse envie de le lisser.  Ça avait le charme d’un cadeau que l’on fait à la maternelle, pas très beau,  qu’on n’comprend pas trop, mais touchant. Ou juste moche, mais ça, on s'le dit pas, même à soi-même.  

Une demi-heure plus tard, Zylan avait déjà l’irrépressible envie de retourner au lit. C’est qu’il y était encore, Charly. Allongé en étoile de mer tordue, arborant un caleçon bariolé rose et mauve, la couette entre les jambes. Des années avaient eu beau passer, ça lui faisait encore la même chose. Comme si on éclatait du papier bulle dans son cœur, dans son ventre, dans sa tête. Chaque fois.  Alors avec l’élégance et la discrétion d’un éléphant, elle se jeta dans le lit comme sur un trampoline qui ne rebondit pas.

A tes souhaits, Grenouille »