Saint-exupération
Elsa Saint Hilaire
Saint-exupération
Des lustres qu’il ne s’était pas senti aussi lucide sur son talent. Et il n’aimait pas cela.
Chapitre XXV.
L’écran de son Mac, plat, désespérément vide, reflétait avec le cynisme des technologies de pointe le niveau d’inspiration de ces dernières semaines. Il avait d’abord songé qu’il s’agissait d’une lassitude passagère, d’un simple coup de pompe après des mois passés à peaufiner, châtrer, engrosser des paragraphes. Rompu à la cruelle ambivalence entre l’expurgation ascétique des branches mortes asphyxiantes et l’irrésistible excroissance de nouveaux rameaux littéraires, il avait le ciseau sûr et la digression fiable. Un élégant mélange que lui enviaient certains de ses confrères et qui en exaspérait autant.
Il soupira. Il ne serait pas le premier écrivain célèbre à se retrouver dans la peau de Truman Capote. Il ne lui restait plus, pour faire bonne figure, qu’à sombrer dans la dépression et l’alcool.
À quarante-cinq ans, il se définissait, sans fausse modestie, comme un consciencieux poseur de lignes, un convenable passeur d’historiettes et n’avait jamais failli aux injonctions de sa maison d’édition. Il tricotait ses récits avec la sérénité et l’âme simple des aïeules devant l’âtre. Chapitre après chapitre, son métronome mental précisant le tempo du déplacement des doigts sur les touches du clavier, il abattait la tâche avec le sérieux et le savoir-faire d’un bon artisan. Besogneux, avec dans sa besace de bagnard de la plume quelques merveilles des langues agglutinantes qu’il glissait dans ses textes, comme d’autres fourrent les galettes de fèves rutilantes, il savait moudre le grain des mots, en tirer le parfum qui enivrerait le lecteur. « Tu es une valeur sûre » lui ânonnait depuis des années Gilles, son attaché de presse.
Et là, macache… rien.
La valeur sûre séchait sur sa copie virtuelle. Une première, en quinze ans de travaux forcés plumitifs.
– Martial ?
Les notes de tête de Vol de nuit avaient cédé la place aux essences de violette, d’œillet, de jasmin, de rose et de gentiane. Une pointe de piment leur donnait une vibration surprenante et masquait pour quelques heures encore, le fond aux effluves résinés et discrètement orientaux.
– Martial… ça va ?
Elle allait insister. Elle insisterait jusqu’à ce que, de guerre lasse, il lui donne les explications escomptées.
– Ça avance… ne crains rien. Encore trois chapitres et ce sera bouclé.
– Trois chapitres ? La semaine dernière, tu m’avais dit deux…
Elle recélait des trésors de mémoire pour tout ce qui lui gâchait l’existence.
Une pointe d’iris et de vanille. Il en était certain. Elle avait dû mettre quelques gouttes de l’extrait plus riche et plus concentré que l’eau de toilette habituelle.
Elle se pencha sur l’écran.
– Chapitre XXV… Encore ! Martial, je le croyais terminé ce foutu chapitre… Il ne sera jamais prêt dans les temps ton bouquin… Tu n’as pas oublié que ce soir, on reçoit les Dubreuil ? Gigot d’agneau et ratatouille caramélisée.
La vanille prenait le pas sur l’iris, à moins que ce ne soit le patchouli. Déjà le patchouli ? Curieux… Le santal et le patchouli, il ne les décelait généralement que tard le soir, parfois même lorsqu’elle dormait.
– Ce soir ! Pas plutôt mercredi prochain ?
Ce fut elle qui soupira. Elle l’entoura de ses bras et déposa un baiser sur son crâne dégarni.
Oui, le patchouli avec ses accents camphrés, terreux, boisés et légèrement liquoreux. La dichotomie olfactive entre l’iris et le patchouli, déclenchait dans son cœur une dérive tectonique des sentiments. Celle-là même qu’il avait ressentie la première fois qu’ils s’étaient rencontrés, douze ans plus tôt, à une séance de dédicaces. Depuis ce jour, il lui avait interdit de changer de parfum.
– Tu lui as trouvé un nom à ton roman ?
– L’âge légal
– …
– Tu n’aimes pas ?
– Bof… Si c’est pour sacrifier à la mode des palindromes… Mais, franchement, non, je n’accroche pas !
– Moi, non plus…
Il lui tardait de détecter la fragrance du santal… douce, chaude, tenace. L’essence même du chakra du ciel capable de stimuler l’énergie mentale. Il la serra contre sa poitrine, enfouit sa tête au creux de son cou et laissa son nez musarder derrière l’oreille. Il inspira à fond.
– Remarque, par rapport au thème… Une fille de treize ans qui tombe enceinte dans son village perdu au fin fond de la Patagonie… Mère à treize ans… mais chéri, il n’y a pas d’âge légal pour tomber enceinte… pas plus ici qu’en Patagonie.
– Quatorze, pas treize… Ne bouge surtout pas…
Ses mots se perdirent dans l’entrelacs de quelques mèches rebelles. Il ferma les yeux et la maintint blottie contre lui. Les phrases se mirent à fredonner dans sa tête, s’accordèrent comme les notes d’une partition à la consonance parfaite dans une harmonie tonale qu’il redécouvrait, ébahi. Il murmura, plus pour lui que pour elle : « Ce sera Viol de nuit».
Ben oui, quoi, un cdc qui coule de source.
· Il y a plus de 11 ans ·le-fox
Quand l'inspiration coule de source olfactive. J'aime beaucoup cette dissection digne d'un nez... Note de cœur et cdc pour moi
· Il y a plus de 11 ans ·Le titre est parfaitement adéquat.
lyselotte
Un parfum peut redonner goût à la vie... ici, un parfum sur la peau de l'aimée fait renaître l'inspiration de l'écrivain. Un écrit capable de redonner le goût de la lecture au lecteur.
· Il y a plus de 11 ans ·carmen-p
Merci Laurent... oui, drôle d'histoire pour renouer avec l'écriture... ;-)
· Il y a plus de 11 ans ·Elsa Saint Hilaire
Ecrire sur un écrivain qui écrit entre deux pannes d'écriture... ;-)
· Il y a plus de 11 ans ·Ca coule comme une goutte d'essence ( de Guerlain ) sur la nuque d'une inconnue, bravo !
riatto
Oups... Anne, Mathieu, Sally, Isabelle, Sophie... quel plaisir! Vous l'aurez voulu... je reprends la plume... ;-)) Bises ♥
· Il y a plus de 11 ans ·Elsa Saint Hilaire
Très belle écriture, ta muse se ravitaille donc chez Guerlain, tu dois bien connaître ce parfum pour en parler avec tant de talent en détaillant chaque flagrance et nuance
· Il y a plus de 11 ans ·Bravissimo !!
sophie-dulac
Oufff Elsa,scotchée je suis ! Ressers-moi un autre verre pour fêter ça :)
· Il y a plus de 11 ans ·Isabelle Revenu
Petit texte mais grandes envolées saturées en mots et molécules de parfum. Du tout bon.
· Il y a plus de 11 ans ·Je l'ai relu et voulais souligner le soin que tu apportes à l'accroche et à la chute.
Les deux premières phrases, et la dernière en témoignent !
Mathieu Jaegert
moi aussi Elsa...très heureuse de te lire! ricochet de voyelles...entre effluves et images, boucles et entrechats, que ta plume danse encore longtemps pour nous.
· Il y a plus de 11 ans ·Superbe écriture. Merci à toi.
sally-helliot
La muse olfactive a frappé pour réveiller la page blanche ;) Un texte qui se renifle d'une seule et grande inspiration de notes florales mêlées de notes de fond...
· Il y a plus de 11 ans ·Anne S. Giddey
Merci Colette et Cher Rockin18. Contente d'avoir trouvé le temps et la "sérénité" nécessaires pour écrire ce petit texte et super heureuse de vous voir au rendez-vous! ♥
· Il y a plus de 11 ans ·Elsa Saint Hilaire
Bravo,bien belle nouvelle,et depuis ma table me vient cette bribe,
· Il y a plus de 11 ans ·une page écrite,De sen,s,froid,sur une nappe surement de trait,mat,cape,hot,d encre,encore Bravo,Bonne soirée a vous.
Fil,Hip,Oohhh, 18 Rockin Cher
"Viol de nuit" sans doute une suite à venir? En tout cas, je suis heureuse de te lire à nouveau, presque perdue de vue Elsa, ça me manquait!!!En tout cas très heureuse de retrouver ta belle écriture qui nous fait voyager. Ici entre les effluves amoureuses de l'écrivain en mal de conclure son roman, préférant batifoler dans les boucles odorantes de sa dulcinée.
· Il y a plus de 11 ans ·Colette Bonnet Seigue