Ton pote n'est pas Hulk (voilà tout)

La fin de notre périple fut comme longer le bord d'un silence. Aucun autre bruit à part celui du moteur. La cassette s'était tue d'elle-même dans le poste. La version live du Do you feel like we do ? de Frampton qui n'en finissait pourtant pas de finir, avait été comme un aboutissement, une fois le morceau achevé et les applaudissements consommés, Clyde Washington surnommé "Big Wash" depuis qu'il travaillait avec nous, avait arrêté le tout sans me demander mon avis.

Le camion s'est mis à prendre l'inclinaison de la pente. On montait ensemble, droit sur Lagger Mount, direction Amy, la cabane au bord du lac et ma nouvelle vie, j'étais plutôt bien. Un petit coup d'œil sur ma droite, le plat de son nez collé à la vitre, le Grand avait scotchés ses yeux dehors. J'imaginais ce qu'il devait éprouver et intérieurement, ça m'enchantait.

Quelques virages, autant de lignes droites montantes et nous arrivions à l'entrée de la ville. En réalité, le terme bourgade serait bien plus approprié mais si par un extraordinaire hasard, les gens de là-bas lisent ces lignes, alors c'est mon arrêt de mort que je signe. Alors s'il vous plaît, restons-en à ville, d'accord ?

Nous nous sommes garés sur la place, à côté de la boutique du vieux Hodgson, nous avons fini les derniers mètres à pieds.

Clyde était curieux de rencontrer Amy. Depuis le début de l'année, les occasions d'échanger avec elle au téléphone s'étaient compté par dizaines et le courant était plutôt bien passé entre eux, ce qui ne m'avait guère étonné les connaissant.

Elle nous attendait tranquillement au Peak'Cafe, papotant avec cette française blonde qui se faisait appeler Odile alors que tout le monde savait que son vrai prénom était Marie-Odile.

Quelques coups sur la vitre et les sourires se sont multipliés dans tous les sens. Incroyable ce que séparations et retrouvailles à répétition semblaient avoir comme effet sur nous. Jamais encore je n'avais ressenti une telle puissance, comme une invincibilité, et ça durait et durait encore. Un sentiment d'être et d'exister qu'on ne pouvait qu'accepter, quelque chose de sans cesse renforcé par la régularité de nos éloignements hebdomadaires des derniers mois. Cela m'étonnait toujours autant et plutôt que d'apporter des questions, l'amour que j'éprouvais pour elle s'accentuait encore.

On s'est avancés, fiers comme des canards.

Avec nos fringues fripées, la dégaine de citadins déguisés en cul-terreux qui était la notre et surtout nos différences de taille et de physique, je me suis fait rapido la réflexion qu'on devait surement ressembler à George Milton et Lennie Small tous les deux. Mais personne n'a remarqué. Ou peut-être si que le nom de Steinbeck a traversé l'esprit de quelqu'un dans le bar, ce type a préféré garder sa comparaison pour lui...

— Et ben ! Tu m'avais dit balèze mais il est bien au-delà, m'a soufflé Amy discrètement après les présentations.

— Impressionnant, hein ?

— Hé, tu sais qui il me rappelle ?

J'ai secoué doucement la tête, la sienne était à quelques centimètres de mes yeux. Sa hanche contre la mienne et tout au bout de son bras, sa main qui remplissait la poche arrière de mon jean.

— Lou Ferrigno.

— Qui ça ?

— Lou Ferrigno.

— Connais pas...

— Putain Hulk ! Tu connais pas Hulk ?

Mais où allait-elle chercher ses références parfois !

— T'oublies juste que je n'ai pas la télé...

— Enfin merde, Scot ! Hulk, quand même !

— Et ce Lou Ferrero, il est...

— ...aussi balèze que ton Clyde, elle a terminé.

J'ai réfléchit deux secondes, je ne pouvais pas la laisser piétiner ma culture générale comme ça.

— Je croyais pourtant que Hulk était vert ?

— Et alors ?

— Alors Clyde est noir. Un vrai de vrai, 100% ébène brute.

Elle m'a regardé en souriant, avant de me lancer un clin d'œil :

— Alors, c'est que ton pote n'est pas Hulk, voilà tout.