''Tous les Matins du Monde''
enzogrimaldi7
Monsieur, vous vivez dans la ruine et le silence. On vous envie cette sauvagerie. On vous envie ces forêts vertes qui vous surplombent. Pascal Quignard, Tous Les Matins du Monde.
Il y a 2000 ans, un homme a communiqué son idéal en un lieu qui ne cesse d'être une fracture de l'humanité. Pour appuyer ses dires il invoqua une divinité, accomplissant des miracles. Rome ne put souffrir qu'un tel concurrent bousculât les fondations de l'empire, les marchands tuèrent donc l'artiste.
Depuis, l'histoire s'est répétée avec le même épilogue de Jésus à Bhutto. En passant par William Wallace assassiné pour défendre l'identité de son pays aux dépends d'intérêts politiques, donc financiers, ou Bruno, assassiné pour avoir démontré que la terre était ronde, ce qui ruinait bien des croyances mais surtout des commerces. Plus récemment le Che, qui fit comprendre au monde entier que le terme colonie était un non sens complet, ou JFK, dont le meurtre est un monstrueux coup d'état.
Toutes les fois où un homme ou une femme a voulu défendre la liberté privant les négociants ou les despotes, de juteux bénéfices ou de leur image d'Epinal, il l'a payé du prix de sa vie. Et la liste est longue. Elle contient aussi des noms d'artistes tels Federico García Lorca, immense poète, fusillé et laissé aux corbeaux comme les poètes géorgiens, Edward Thomas, poète gallois, qui tomba en France en 1917 en combattant pour la libre culture et dans un autre contexte, Jaco Pastorius ou John Lennon.
Il y a plusieurs façons d'assassiner un artiste, et la plus terrible n'est pas tant, finalement, de le tuer, mais de nier son talent ce qui est pire. Si de tout temps on a mésestimé la puissance de certaines œuvres, surestimant d'insipides autres, on n'a peut être jamais été dans une période aussi injuste.
Que répondre à Chet Baker quand il affirmait qu'à San Francisco ou Detroit, États-Unis d'Amérique, il n'y avait plus un seul club de jazz où jouer? Que faire les jours où les cinémas indépendants déprogramment les films d'art et d'essais dans une ville comme Southampton, UK ? Doit-on laisser certains pays de l'est ou de l'ouest brimer la liberté au nom d'un délire politique ou religieux? Pourquoi a-t-on laissé les producteurs de Police Academy faire le montage final d'Il était une fois en Amerique ?
Fort heureusement bien souvent l'artiste a triomphé. Le monde a su reconnaître à temps le génie d'un certain nombre: Picasso ou Beethoven. Ce qui distingue un vrai artiste d'un autre, ce n'est pas que son talent ou la reconnaissance universelle. C'est aussi et surtout son abnégation à interpréter son art, y compris au fin fond d'une cave, contre vents et marées, tous les matins du monde.
C'est Marcel Proust qui écrit jusqu'à la dernière seconde de son existence, ou c'est ce pianiste qui joue malgré les bombes qui tombent autour de lui; c'est Andrei Roublev qui peint selon ses convictions en Russie, au Moyen Age, crevant de faim mais fidèle à son art, c'est John Cassavetes qui ignore Hollywood et devient le fondateur du cinéma indépendant aux Etats-Unis, c'est Sainte Colombe, maître de viole, héros du roman de Quignard, qui ne se soumettra pas aux restrictions de la cour et préfèrera jouer sa musique dans l'anonymat de sa cabane.
Aujourd'hui on veut tuer la passion en propageant de l'insipide, faut-il souhaiter le retour de la peste et du cholera pour que l'on se mette en masse à écouter Renaud Garcia Fons, ou lire la déchirante prose de Marcel Moreau ? Faut-il, au nom du confort économique, sombrer dans l'adoration du médiocre ? Il est de notre devoir d'en défendre toujours les arcanes avec la foi d'un certain Jacques Vincent en 1896 lorsqu'il vint au secours d' Emile Zola à qui l'on prédisait l'oubli:
''Croyez vous sincérement que toutes ses oeuvres magistrales taillées si profondément dans le vif des âmes, dans la chair des personnages, si vibrantes de vérité, si éclatantes de style et d'habiles descriptions; toutes ces pages mémorables où l'auteur a montré tant d'émotion, tant d'étude, tant de science, disparaîtront aussi vite que cela? Je n'en crois rien quant à moi, ou alors, il faudrait désespérer de tout''.
2009
C'est toujours le problème des gens qui ont une vision différente de celle de leurs contemporains... voir Van Gogh qui n'a vendu qu'une toile de sa vie, ou bien Georges de la Tour qui a sombré dans l'oubli, car des représentations plus flatteuses des grands de ce monde étaient en vogue...
· Il y a presque 4 ans ·On peut poursuivre son oeuvre, également, se "retirer du monde", tel Sainte Colombe.
Mais on ne crée pas sur aucune base... on est forcément en liaison avec la culture son époque, même si on lutte contre la facilité ( Cassavettes ou d'autres indépendants contre les systèmes en place )...
mais ça demande une énergie telle, qu'elle atténue celle que l'on met à produire la sienne propre. Il n'est pas étonnant , dès lors , qu'on ne s'épuise pas à lutter en vain, et qu'on poursuive ses recherches, même si elles ne sont pas comprises, estimées, cotées, diffusées...
... dans l'ombre
rechab
Oui c'est bien de cet esprit là dont il est question ici. Merci d'y adhérer.
· Il y a presque 4 ans ·enzogrimaldi7
alô, pour tous ceux que tu nommes et pour tous les autres innombrables, connus ou simplement anonymes, je me sens solidaire à l'écho de ton propos + ami
· Il y a presque 7 ans ·suemai
Merci beaucoup. Très heureux que ce texte ait fait écho en toi.
· Il y a presque 7 ans ·enzogrimaldi7
Moreau...............c'est inouï !! c'est de l'or merci
· Il y a plus de 7 ans ·anna-c
Oui, vous connaissez ? Un auteur injustement mêconnu alors qu'il dépasse la plupart de ceux que l'on encense sans qu'ils le méritent. Un simple reflet des temps. Bien à vous.
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7
Je rentrais lasse, et les mains vides, d'un misérable et poussiéreux vide-grenier plombé sous un soleil blanc, , avec son indigente exposition de vieilleries sans âme tout droit issues de cette insipide société consumériste : la chaleur, les gens, l' impatience des "vendeurs" à replier leurs stands, la pauvreté des choses...C'était donc cela la nausée.....
· Il y a plus de 7 ans ·Ainsi je rentrais chez moi. Assoiffée. D'eau fraîche, de thé, de tout ! Et tombais sur votre texte, là, magistral. Bien fait. Bien dense. Il coule vif et nous rend le sens des choses. Il nous réconcilie avec le monde et avec l'Histoire de ce monde. Quelle qu'elle ait pu être.
On sort de cette lecture regonflé à bloc. Rien n'est perdu . "Tout est pardonné" comme disait je ne sais qui au lendemain de Charlie.
Moi non plus je ne connais pas encore Marcel Moreau.
Je ne tarderai plus.
anna-c
Ah c'est vous qui me donnez la foi de continuer, merci!
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7
En étant si conscient des risques je vous tire ma casquette. Le message survit, et voilà le bonheur de l'artiste. Le vôtre fait honneur à ces martyrs de l'art
· Il y a plus de 7 ans ·Bien à vous
koya-al-gaad
Oui il s'agit bien de ce texte là dont je vous parlais. Le combat d'une vie. Merci.
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7
Tu mets si bien en lumière l'intensité et le sens artistique du monde. Merci.
· Il y a plus de 7 ans ·poulpita
Le combat d'une vie. Merci.
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7
V
· Il y a plus de 7 ans ·daniel-m
Et oui. Une lettre suffit à mon bonheur.
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7
De rien, il se trouve que je suis en trais d'adapter une de mes chroniques sur "V pour vendetta" pour wlw. Mon commentaire a donc été ... spontané :o)
· Il y a plus de 7 ans ·daniel-m
Les jeux du cirque étaient déjà là pour amuser le peuple et lui faire oublier famine et guerres... Aujourd'hui, la téléréalité nous enfume de manière plus légère, mais tout aussi inquiétante.
· Il y a plus de 7 ans ·Pourtant, je vais me faire l'avocat du diable, mais que seraient tous ces artistes rejetés, brimés, assassinés, déportés... s'ils n'avaient pas connu au préalable ce barrage élevé contre eux ? Je pense que de ce combat incessant, ils ont su en tirer leur force, leur courage d'exister, de vivre pour leur art. Je pense que ce passage obligé dans les oubliettes ou les chambres à torture de toutes sociétés confondues les ont galvanisés, les ont obligés à aller chercher la quintessence de leur valeur au plus profond d'eux-mêmes. Si le diable n'existait pas, Dieu existerait-il ?
Sy Lou
Encore un très beau commentaire de votre part merci pour vos précieux apports.
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7
Renaud Garcia Fons... superbe ...
· Il y a plus de 7 ans ·Jamais simple ... L'insipide a encore de beaux jours devant soi...
J'aime bien lire l'enquete des pratiques culturelles tous les 2 ans d'Olivier Donnat... les choses en la matière bougent très lentement...
l'on sait bien que le succès ou la popularité n'est pas toujours synonyme de qualité ...
Vaste réflexion
quand à moi je vais aller découvrir Marcel Moreau
reverrance
Merci pour votre contribution. Vous m'avez intrigué avec ''l'enquête des pratiques culturelles'' je vais voir cela de plus près. Marcel Moreau ? Attention au choc. Bien à vous.
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7
J'adore ce genre de chocs... littérraires :)
· Il y a plus de 7 ans ·reverrance
Du pain et des jeux pour les masses (incultes) ; rien de neuf sous le soleil.
· Il y a plus de 7 ans ·Marcus Volk
Le retour du loup à la rose.
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7
Certes. Après 18 jours de silence je réapprends le brouhaha
· Il y a plus de 7 ans ·Marcus Volk
Si j’avais eu du talent, c’est toi que j’aurai voulu comme avocat.
· Il y a plus de 7 ans ·Hervé Lénervé
Salut à toi. Effectivement, il s'est agi ici, de rendre hommage aux grands artistes occis pour ''raisons d'état'', en guise d'exemple. Mais la veuve et l'orphelin ont aussi droit de cité.
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7
"Comme l'amour, l'art n'est pas plaisir mais passion" André Malraux.
· Il y a plus de 7 ans ·Quel bel elan qui nous emporte , cela fait du bien des le matin!
Comme toi, je veux croire que les grands artistes et leurs oeuvres ne disparaîtront pas.
Merci pour ce texte.
anne-onyme
Merci. Je me suis dit que pour la rentrée, fallait envoyer du lourd, revisiter quelques fondamentaux...
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7