Tu meurs

simul-acre

Tu meurs

-J’ai reçu les résultats de votre IRM.

Les doigts boudinés du médecin tapotent nerveusement le dossier médical. Mais pourquoi ne me regarde-t-il pas ?

-Tumeur cérébrale, cancéreuse.

Cette fois, il me fixe droit dans les yeux.

-Pardon ?

Mais de quoi me parle-t-il ?

-Votre difficulté à vous souvenir de mots simples, les douleurs à l’arrière de votre crâne sont dues à une tumeur.

Ses lèvres fines, affichant en permanence une moue hargneuse tentent de me communiquer une information incompréhensible.

J’éclate de rire.

-Heureusement, vous allez me l’enlever ! je lance, hilare.

-Cela ne servirait à rien.

-Alors je commence la chimio et les rayons la semaine prochaine ?

En guise de réponse, le toubib sort les clichés d’une enveloppe jaunâtre, les affichent sur un panneau lumineux.

-Regardez. Ici, la tumeur, m’explique-t-il en entourant de son feutre une ombre volumineuse. Comme vous pouvez le constater, des métastases se sont déjà répandues.

Il entoure plusieurs taches éclaboussant mon cerveau, me gratifiant d’explications scientifiques. Je ne l’écoute plus. J’observe cet homme au nez porcin brandir son illustre savoir comme  un sabre au-dessus de ma nuque. De grosses gouttes de sueur perlent sur son front, des auréoles se dessinent sous ses aisselles. Quel métier à la con ! Découper des gens, meurtrir leur chair d’une lame implacable, charcuter  tout espoir de guérison.

-Combien de temps me reste-t-il ? je l’interromps.

-Quelques semaines, deux mois tout au plus.

C’est bizarre, cette nouvelle ne me secoue pas plus que ça. Je ne ressens rien, comme si un énorme bloc de glace avait anesthésié toutes mes émotions. Pas de colère, ni de tristesse, rien. Pourtant, je serais en droit de me révolter, de crier « A l’injustice » ! Mais non, je reste impassible, le regard fixe, la respiration inaudible. Le temps s’est-il arrêté ?

-Vous vous sentez bien ? interroge le praticien, un sourcil levé.

Quel abruti ! Il m’annonce que je vais crever dans un avenir proche et il me demande si je vais bien !

-Au fil de la maladie, quels seront les symptômes ? je questionne.

-Vous perdrez l’usage de la parole, vous ne parviendrez plus à lire ou à écrire. Vous ne marcherez plus et vers la fin, ce sera l’incontinence.

-J’aurai mal ?

-Oui. De la morphine soulagera temporairement la douleur. J’ai transmis votre dossier à votre généraliste. Lorsque le moment sera venu, on vous transférera  en unité de soins palliatifs. Informez dès à présent votre famille et mettez vos papiers en ordre.

Je me lève et sors du cabinet. Une fois dans la rue, je m’assieds sur le trottoir, observant les passants se presser, inconscients du drame ayant envahi mon existence. Je me pose en spectateur de la vie, à laquelle je n’appartiens déjà plus.

Je sors de ma torpeur,  longeant les chemins côtiers pour retourner chez moi. La mer est calme, en ce mois de février. Je l’ai toujours adorée, la mer. J’engage ma voiture sur un chemin boueux, je m’arrête sur une plage déserte.

Lancer des cailloux aiderait à extérioriser ma colère. A quoi bon, puisque je ne ressens rien ? Je bourre mes poches de galets. Je choisis les plus lisses, les plus ronds. Une vague vient timidement à ma rencontre, mes chaussures se remplissent d’eau. J’avance en direction de l’horizon, m’enfonçant peu à peu dans la vase. L’eau arrive à ma taille, elle l’enlace de sa froideur. Ce n’est pas désagréable. Je continue ma progression. Le poids dans mes poches s’accentue, mes pieds s’ancrent solidement dans les fonds marins. Des poissons bruns et gluants frôlent mes doigts, leur contact visqueux me répugne.

 L’eau entoure mes épaules de son bras glacé, m’encourageant à la rejoindre dans son linceul. La mer engloutit mon visage, je la laisse faire. Une lumière vive éclate sous mes paupières, suivie du néant.

  • ca fait plaisir de te lire à nouveau, un autre genre qui te va à ravir, tragique !

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Intrigante

  • Sans vouloir aucunement polémiquer, me vient quand même cette réflexion. Un médecin peut-il s'investir dans le cas tragique de chacun de ses patients? Certes, il y a la manière, mais rester dans le domaine strictement professionnel n'est ce pas, non plus, une façon de se protéger des malheurs qu'il côtoie? Je trouve admirables les métiers d’infirmières, de pompiers. Ces êtres ne sont-ils pas forgés à l'enclume des souffrances? Comment ne pas plonger dans les abîmes quand "on participe" à tant de malheurs?

    · Il y a environ 11 ans ·
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    lyselotte

  • Merci à vous Théorème pour votre lecture. Frédérique, au départ, j'avais pensé à une autre fin : le personnage principal profite du temps qu'il lui reste pour se venger des gens l'ayant fait souffrir et également pour faire tout ce qui n'est pas recommandé et qu'il s'était interdit jusqu'à présent. Jusqu'au moment où le toubib lui annonce l'erreur de diagnostic. Finalement, j'ai opté pour une fin plus sobre, sombre.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    simul-acre

  • Mais c'est magnifique, dur, extraordinaire, bref, suis à cours d'adjectifs car je suis sous le choc.....Reconnaissance infinie à Lyselotte pour ce partage ! Et je suis très touchée. Merci de mettre des mots justes sur une situation tragique et sur l'inhumanité de certains praticiens ! Vraiment merci !

    · Il y a environ 11 ans ·
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    theoreme

  • Superbe, mais j'aurais bien vu une suite, je trouve la décision de mourir un peu précipitée, car si cet "abruti" de médecin s'était trompé de diagnostic? Deuxième épisode encore plus noir, une semaine plus tard l'hôpital appelle chez le patient, tombe sur sa veuve et lui dit: madame, nous nous sommes trompés...

    · Il y a environ 11 ans ·
    Neige 13 mars 2013 007

    Frédérique Panassac

  • C'est vrais Stephane, l'homme de ma vie est mort à 45 ans mais il profitait de chaque instant de sa vie comme s'il savait qu'elle serait courte !
    Et je dis " Je t'aime” à mes proches !

    · Il y a environ 11 ans ·
    Version 4

    nilo

  • Merci à tous pour vos commentaires, pour le partage de vos expériences. Vos réactions me vont droit au coeur.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    simul-acre

  • Sept semaines ou trois ans, une amie pareillement a souffert du même mal. Plus longtemps, le temps que grandisse son enfant. Sa fille aujourd'hui se souvient à peine d'elle mais, à chaque jour, j'y pense comme une leçon de vie. Merci du partage, et de ta belle écriture.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Sampan 92

    fuko-san

  • Pour avoir accompagné, vécu, et trop côtoyé cette maladie de merde ; ce magnifique texte me touche beaucoup ! Cette personne réalise qu'en quelques seconde sa "vie" devient "mort" , et que bien malheureusement il n'y a plus rien a faire ....... hélas !! !! Il y a deux moralités a tirer de ce délicieux texte , même s'il est écris sur une note de tristesse !.......... 1ere moralité ...... malgres tout nous sommes tous maître de notre destin ; cette personne a choisi la manière de " sa fin "........ la deuxième conclusion , et cela est bon pour nous tous , en quelques secondes notre vie bascule , et le temps passé ne se ratrappera jamais !! Alors n'oubliez pas de vivre et de dire au gens que vous aimez "" JE T AIME " !! !!

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Stephane Nosjean

  • Ma proche amie a perdu son petit fils de cinq ans de cette terrible et même maladie. Mais ce texte qui dénonce l'indifférence de ces médecins qui vous annoncent cela, je connais, mon mari a eu plusieurs fois cette expérience.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • L'écriture est un moyen d'exorciser les peurs, la tristesse, les angoisses. Cette maladie ne m'attaque pas directement, mais un ami très proche qui vient de décéder après sept semaines de souffrance. Vivez pleinement, écrivez, profitez, on ne sait jamais de quoi sera fait le lendemain.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    simul-acre

  • Superbe, peut-être pas, à ce que je lis, je ne dirais pas ça comme ça.
    Pouvoir l'écrire est une chose, pouvoir le vivre en est une autre. Glacé, je suis.
    Ecris aussi longtemps que tu vis.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Sampan 92

    fuko-san

  • Superbe!

    · Il y a environ 11 ans ·
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    arthur-roubignolle

  • Joli, Fuko San.
    Nilo, en fait, c'est inspiré d'un événement bouleversant qui vient de se produire dans ma vie, sauf pour le suicide, à la fin.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    simul-acre

  • Le souffle coupé comme si cela m'était annoncé ! Bravo. J'espère que c'est une fiction, il faut être inhumain pour annoncer les choses de telle façon !!!

    · Il y a environ 11 ans ·
    Version 4

    nilo

  • Le poids des mots qui tuent. Les mots et le poids ... Bouleversant simulacre de vie.
    Quel drôle de métier, boucher des corps humains ! Et charcutier des âmes, on dit poète ?

    · Il y a environ 11 ans ·
    Sampan 92

    fuko-san

  • un texte coup de poing ... plausible ... sûrement ... évidemment ... inhumain et pourtant !

    · Il y a environ 11 ans ·
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    woody

  • Je sais qui l'on m'annonçait cela, j'assouvirais une vengeance longuement ruminée.Je ne partirais pas sans elle.....celle qui a détruit ma vie, cette rancune est pire que l'annonce d'une mort que j'appelle.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • Merci à vous Néphelie.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    simul-acre

  • Ainsi va la vie, malheureusement. Merci pour le cdc

    · Il y a environ 11 ans ·
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    simul-acre

  • C'est un texte très poignant...cdc et merci du partage...

    · Il y a environ 11 ans ·
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    nephelie

  • c est a mon avis tres trou blanc... pardon c est tres juste malheusement. cdc

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Helene Bartholin

  • Merci Lyselotte, ça me touche énormément.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    simul-acre

  • Hoooooooooo punaise, que c'est beau.
    cdc et partage...

    · Il y a environ 11 ans ·
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    lyselotte

  • Sombre...noir mais humain

    · Il y a environ 11 ans ·
    Welcome1

    cecilia

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