Un tramway nommé soupirs
Christophe Paris
Paris 7h du mat', le ciel et le trottoir se fondent en une même couleur, celle de mon teint gris palichon.
Il pleut le jour,
Il pleut la nuit,
Il pleut toujours dans c'putain d'Paris.
Mal de crâne, retard, coup de boost, fringues pas fraîches, départ en ville la touffe en vrille.
Tempête, froid, grosses gouttes, pieds trempés, cheveux qui frisent.
Escale, comptoir, kawa.
Assise, une jolie femme me dévisage, « Ah tiens ?!... On dirait que j'ai une tête de beau gosse ce matin… ». Baaaah non ! La cougard, puisqu'elle en a l'âge, enchaîne hilare au serveur « Aaaah mais vous m'avez menti alors ! ». Je comprends immédiatement, il l'avait accueilli sur un bonjour jeune fille et moi avec un salut jeune homme. Mort de rire j'enchaîne « Je vous remercie pour ce charmant début de matinée, c'est donc confirmé j'ai une tête de vieille serpillère…. ». La coquine enchaîne en me dévisagenat ou plutôt en me mettant à poil vu le regard qui me scanne toute la silhouette par « Euh... non vous êtes encore bien… ».
Booon… OK… provoc'.
« Vous entendez par là que j'ai encore de la valeur sur le marché de l'occase ?
- Vous avez l'air de coter encore pas mal… » Me répond-elle.
Là je bande d'un coup… c'est le matin, c'est pas de ma faute et c'est innocent, un simple signe de satisfaction de l'égo mit à l'équerre. Mon grand manteau peine à contenir la géométrie de mon moi en émoi.
Truc astuce, faire retomber Pupuce (Nommée ainsi sans corrélation avec la taille…).
Option.
Une seule.
Le kawa.
Je l'englouti d'une gorgée, c'est pire que d'la cigüe, c'est d'la lave. Je manque de m'évanouir, le tout, stoïque, histoire de rester classe. Pupuce retombe et l'inconnue me laisse tomber sur un bientôt peut-être.
Soupir.
Terrasse, Clope, refroidir la tronche, tempérer le corps. Tiens c'est la vieille à qui j'ouvre souvent la porte qui ramène ses cheveux blancs et sa démarche de sorcière à la Disney.
« Encore vous ? » Me fait-elle d'un grand sourire, je la blague « Bah oui ça fait deux heures que je vous attends… ». « Rhôôô le menteur charmeur, allez ! Je vous offre un café pour vos services » me répond-elle en disparaissant dans la salle de la brasserie.
Moka numéro deux.
« Le café gigolo de môssieur est servi » balance amusé le serveur. Il sourit, moi aussi, la vieille aussi. Pendant que j'assassine mon sucre par noyade j'entends deux vieilles carnes lyophilisées « Ah lalala la jeunesse c'est plus c'que c'était », « Ah non… c'est pire que c'que c'était », éclats de rire, tellement éclatés qu'une des deux en perd son appareil dentaire.
L'heure.
Soupir, retard, pas fais gaffe, bus.
Arrêt Hôpital pour enfants Robert Debré.
Une maman monte accompagnée d'un petit garçon en pleurs et de pleins de baffes pour le faire taire. Résultat, c'est pire.
Soupir.
J'interviens pour calmer le jeu parce qu'elle envoie du lourd la miss, et vlan la mama tornade m'envoie une tarte de cow-boy.
Soupir, une fois de plus je reste stoïque pendant que d'autres interviennent. Embrouille avec la maman qui bastonne tout le monde, le conducteur contacte la police.
Descente forcée.
Finir à pieds.
Quai du tram porte de Vincennes, suis naze avec la joue rouge au milieu de tous ces gens qui regardent leurs pieds. Des solitudes qui préfèrent leurs chaussures à l'aventure, celle du regard croisé. Je regarde le ciel au gris trottoir en laissant mes pensées y déambuler.
Mensonge sur le temps d'attente, comme d'hab', pas de tickets dans le distributeur, comme d'hab, fraude forcée comme d'hab'.
Il arrive, tout le monde s'enfourne comme des p'tits pains dans l'ptit train du train-train quotidien, tout ce p'tit bordel d'humains désordonnés qui s'installent en quelques secondes comme mû par une force invisible.
Barre au crâne sur barre de fer, le crissement des rails cisaille neurones et oreilles.
Le tram traîne, avance à la vitesse d'un escargot sous sédatif.
Travelling.
Les maréchaux en plan séquence.
Soupir.
Je me colle à la vitre les yeux en ventouses, le cœur un peu blues. Les gouttes s'y évanouissent d'effroi sous les morsures du vent glacial. Un gros cul s'installe à côté de moi. Gros cul mais jolie frimousse la maman, le môme est chou et me regarde en louchant. Je pense à « L'homme est né bon c'est la société qui le déprave », j'y pense et puis j'oublie.
Porte de Bagnolet, on fait le plein de contrôleurs. Pas de tikson, j'en explique la raison à l'agent RATP qui n'en croit pas un mot derrière ses lunettes noires et sort son carnet à P.V. Pendant qu'il remplit les cases de mon cas je monte en pression. Au bout de deux minutes j'déraille, débit à toute vapeur je fume le type sur l'impolitesse de garder ses lunettes pour effectuer son travail.
Retour de flammes.
Le type m'explique qu'il est photophobe, un handicap marqué qui l'oblige à filtrer le moindre trait lumineux, qu'il bosse là dans le cadre d'une politique d'ouverture au handicap et que si vraiment je trouve ça choquant je pouvais écrire à sa direction.
Fourmi, grain de sable, poussière devenir tellement pétri de honte je suis. Je prends le P.V en le remerciant et m'excusant.
Soupir.
Dépité, je jette mon regard en pâture à la rue. C'est dur, j'vois pleins de cartons sur une centaine de mètres, mais y sont pas pour les poubelles. En dessous y'a des mecs, plein de types qu'ont pas réussi à se protéger de la vie et maintenant de la pluie. Des gosses jouent, dorment, vivent là en pleine place de la Porte de Bagnolet. J'ai mal pour eux et pourtant les gosses se marrent, se coursent, se chatouillent.
Une seule planète pour plusieurs mondes…
Je sors de ma torpeur sur un froid humide à la jambe gauche. Je me tourne, c'est le gamin qui vide consciencieusement sa gourde de compote sur mon froc. Suis maculé, la maman gênée, et le morveux hilare. J'encaisse stoïque et souriant pour la rassurer, elle descend et me quitte sur un gentil sourire de remerciements.
Soupir.
C'est froid, ça colle, j'm'en mets partout… Le tram s'en fout et continue sa route
Boulevard Mortier le bien nommé. Un abri à casernes et services de renseignements barricadés par de grands murs casqués de barbelés.
Camp retranché, camp de réfugiés, quel étrange boulevard.
Porte de la Villette, mon port d'attache.
Gros soupir pas envie de bosser, du coup j'en rate le quai en descendant et me met à boiter sévère. De loin un couple me dévisage, j'entends la fille dire en me croisant « Waoh t'as vu le mec ? Lui il est en train de tomber dans la galère en plus t'as vu il est pas tout jeune, ça fait flipper putain ». Une peur tellement forte que me voilà perçu comme un SDF pour une tâche et un peu de rouge sur la joue façon poivrot. J'arrive au taf, hic… mon boss qui me fustige. « On dirait un clochard Christophe !! il est hors de question que vous bossiez de la sorte, alors ou vous vous changez ou vous prenez une journée de R.T.T.
Résultat, plan Monopoly, retour à la case départ sans toucher les 20 000 mais deux plombes de transport. C'est en apercevant trois bonnes sœurs en goguette faisant des emplettes que je me dis que finalement, l'habit fait toujours le moine et que l'arme la plus fatale d'entre toutes reste le regard de l'autre…
-Des solitudes qui préfèrent leurs chaussures à l'aventure, celle du regard croisé.
· Il y a plus de 8 ans ·-Je pense à « L'homme est né bon c'est la société qui le déprave », j'y pense et puis j'oublie.
C'est dur, j'vois pleins de cartons sur une centaine de mètres, mais y sont pas pour les poubelles. En dessous y'a des mecs, plein de types qu'ont pas réussi à se protéger de la vie et maintenant de la pluie.
-je me dis que finalement, l'habit fait toujours le moine et que l'arme la plus fatale d'entre toutes reste le regard de l'autre…
Ce sont les quatre parties de ton texte qui m'ont le plus touchée, mais, d'une faon générale, ce texte est un texte de professionnel. Que fais-tu dans la vie ?
edwige1313
C gentil ce com je vais le lire ts les jours !!
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
Vrai de vrai j'ai pris ton parcours... c'est très... visuel comme d'habitude on est avec toi comme pour tes chroniques... la prochaine fois essaye le bus... cela rime avec pupuce... Kissous
· Il y a plus de 8 ans ·vividecateri
Très agréable à lire, le rythme est là!
· Il y a presque 9 ans ·nombredor75
c'est gentil merci bôcou du passage :)
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Beaucoup de rythme, totalement embarquée et une morale pleine de vérité...malheureusement..bravo et merci !
· Il y a presque 9 ans ·ade
oh merci c gentil quel beau commentaire et puis le cdc la note, c'est noël après l'heure merci beaucoup de ce passage attentionné
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Ca faisait un bail que je ne t'avais pas lu. Il va falloir que je m'y remette.
· Il y a presque 9 ans ·petisaintleu
bon le je l'accroche et je l'encadre ton com... merki je te contactes en mp aujourd'ui
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
je ne te félicite pas. T'es trop méchant avec les "vieilles" dont je fais partie(j'ai fêté mon anniversaire avant hier) tu es insolent même, donc j'ai arrêté de lire ton texte. Je verrais si j'y reviens , mais ce ne sera pas avant l'année prochaine. Ah, ah! pas d'internet, cela doit être horrible, juste un peu moins que d'être en pire santé, mais toi cela va s'arranger. J'ai toujours autant d'admiration pour tes excursions littéraires, mais là c'est vraiment de la fiction il a plu quand? J'ai jamais vu autant de fois le ciel bleu sur Paris. Allez, grosses bises.
· Il y a presque 9 ans ·elisabetha
tjs pas de net je t'écris from the job, bises.
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
:) !!
· Il y a presque 9 ans ·marielesmots
Plein de bonnes choses pour 2016 Christophe...
· Il y a presque 9 ans ·marielesmots
c'est gentil pareil mais en mieux pour toi :)
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Le regard accompagné des mots, alors là , c'est fatal!
· Il y a presque 9 ans ·Belle tranche de vie...
anne-onyme
merci pour ton com et passage, je l'aime bien ton appréciation c'est joli :)
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Merci et n'oublie pas de soigner ton look, aujourd'hui ;)
· Il y a presque 9 ans ·anne-onyme
ahahah suis plié et pourtant au job... merci !
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Ah ben, pas de bol!!! Bon courage alors et bonne année, c'est de circonstance...;)
· Il y a presque 9 ans ·anne-onyme
J'adore la ptite morale de l'histoire, même si c'est pas très joyeux... Des bisous et tous mes voeux pour cette fin d'année :)
· Il y a presque 9 ans ·dreamcatcher
hello l'attrapeuse de rêves merci de ta lecture, espère que ça t'as pas filé le blues, si c'est le cas go to mississipi et chante fort ça aide :) suis out sur le net j'ai plus qu'au boulot , pas fastoche de lire mais j'y reviens dès que j'ai un peu de temps, donc je te lis bientôt bises ainouuuurmes
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
:) Pas de soucis, jte forcerai pas à aller au travail pour me lire ahah :p
· Il y a presque 9 ans ·dreamcatcher
ben dit comme ça, Paris, ça fait pas trop envie !
· Il y a presque 9 ans ·fionavanessa
no soucis ça c'est ce qu'on ne voit pas de paris qd on est touriste vu qu'on reste dans le centre de paris mais c'est vrai que sur ses bords c'est border et encore j'ai pas parlé de la voie sncf désaffectée porte de clignacourt, voui là où y'a les puces ben c'est pas croyable...
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
et dire qu'ici, les gens se plaignent de l'affluence les jours de marché...
· Il y a presque 9 ans ·j'ai été étudiante à Paris, j'ai des souvenirs de métros pleins comme des œufs, de conversations en toutes les langues, de gens qui regardent leurs pieds comme tu dis si bien !
fionavanessa
j'aime bien ton style, le côté lassitude,j'adore
· Il y a presque 9 ans ·torpeur
oh c'est gentil ça pleins de compliments en peu de mots chui gâté merci de ton passage :)
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Entre humour, dérision et gravité, quel rythme !!
· Il y a presque 9 ans ·marielesmots
ah ça fait plaisir: le rythme quel compliment c'est gentil merci et tes trois mots résument parfaitement le texte, cool merki !
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
j'aime ton regard sur les autres, et j'adoooore le début du texte! ;)))
· Il y a presque 9 ans ·julia-rolin
merci de me lire gentille julia et d'adorer le début coquine julia :) j'ai plus le net sauf au job pas commode de lire, j'attends ma paye pour rétablir tout ça :)
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris
Je vais avoir de l' audace, mais le café pour pupuce, ça devrait le faire ! ça requinque en principe !
· Il y a presque 9 ans ·Dure réalité que tous ses destins qui se croisent ...Bravo pour votre texte défaitiste mais si réaliste !
Louve
c'est gentil merci pour le com et l'astuce :) merci de l'avoir si bien perçu !
· Il y a presque 9 ans ·Christophe Paris