WHITYNIAG
Christophe Paris
Il se sent voler, le nez et les cheveux au vent dans un vacarme de Bombardier à hélice. Il ne fait pourtant que rouler sur cette mythique route 66. Infini mascara de bitume fuyant dans un lointain qui jamais ne paraît se dévoiler. Il est aigle, dans ce désert au ciel sans fin à en croire que la terre est plate, les fesses posées sur une Harley aux courbes à vous faire défaillir une actrice porno. Quel job d'enfer de rapatrier cette bécane à son riche propriétaire frimeur flemmard. 3000 km sur les esquillons. Sa vie accrochée à son guidon, il roule laissant ses problèmes derrière lui, comme le tout un chacun motorisé.
Steph la trentaine bien tassée, ex-beau gosse maintenant froissé, était passé du stade de loser à celui de rider. Après des mois de chômage et une improbable annonce dans Libération, le voici aux States payé pour faire le road-trip de sa vie sur une moto à 30 000 dollars.
Au-dessus de lui se prélassent des fleurs de coton nuageux sur un air ouaté d'une chaleur aussi écrasante que de porter un piano sur chaque épaule. Il pensait à son arrivée chaotique à New York et à cette journée dans la mégalopole.
Ce fut pour le moins épique et collé... gramme...
À la sortie de son avion, le dernier à se poser, personne.
Son contact à quelques mètres de là s'était écroulé dans les bras de Morphée, la tête confortablement calée dans le volant de sa Buick.
Plus aucun transport, des hôtels à cartes de crédit et une batterie de smartphone à zéro, l'obligèrent à passer la nuit avec ses traveller's chèques sur un des bancs de l'aéroport.
Là où d'autres vivent et meurent à longueur d'année.
Son rêve américain en prenait un coup entouré de types démantibulés par le manque de cash. Carburant d'une société sans autre empathie que celle du nombre de zéros présents dans la case crédit de votre compte. Après avoir asséché deux bouteilles de Cognac prévues comme cadeau, et trois heures de palabres en compagnie d'un type sans dentier, mais avec une sacrée descente, Steph s'assoupit jusqu'au réveil du jour. Son chauffeur finalement arrivé dès l'aube réussit à le récupérer, mais pas sa valise, coincée dans les méandres du fret international. Pas grave il avait pris une journée d'avance pour profiter de New York et de ses immenses galeries commerciales. Son contact, la sœur d'un ami ricain, n'avait finalement pu se rendre disponible pour cette balade urbaine. Un colloque imprévu et la peur de perdre son job en cas d'absence avaient rayé Steph de son agenda. Du coup, c'est un de ses proches qui la remplace, un grand black. Un type gaulé comme deux armoires normandes croisées avec un panier de basket. Lonny, de son prénom, cherchait désespérément à sauter la miss, quitte à jouer le guide et boutiquer dans les centres commerciaux avec un frenchy pour arriver à ses fins.
Ce fut chose faite, mais de façon peu orthodoxe.
Tout avait commencé pendant une grande balade dans l'énorme caisse du gigantesque Lonny.
New York…
Trottoirs chargés de costards, taxis blindés de jaune, passages aux milliers de piétons, écrans géants dégueulant de pubs... Le p'tit français a l'impression d'être derrière la caméra, manque plus qu'Elliot Ness, Superman et John Cassavettes. Photogénie en pleine poire, Steph est écrasé par cette ville qui s'envole, où jamais le ciel ne se révèle à moins de vous fendre d'un bon torticolis. Il est fourmi. C'est la première fois qu'il se sent aussi minuscule bien qu'il n'ait jamais eu confiance en lui. Ces graffs en 3D à la craie sur les trottoirs, ce cow-boy à guitare uniquement vêtu d'un caleçon Dim et de pleins de muscles qui chante « jailhouse rock » sur Time square. Steph ne regardait pas, il cinémascopait cette gigantesque ville, envoûtante photo mouvante.
Mais un détail le contrariait.
Le touriste ne comprenait pas pourquoi son guide s'arrêtait toutes les 30 minutes pour acheter de l'aspirine là où il n'y avait jamais de pharmacie. Lonny tournait à la coke, pire que dans un film de série B. À chaque stop, un pote, un rail. Le sujet fut abordé simplement quand celui-ci laissa tomber un sachet en cherchant les clefs de son char d'assaut. Le car-cruising prit alors un tout autre virage. Le toxic driver proposa à Steph une visite qu'aucun touriste standard ne saurait faire.
Lui était totalement vierge niveau stupéfiant. Un sentiment de gêne s'installa un temps puis disparu, constatant que le type maîtrisait le truc en mode super-expansif. Faible, mais gentil le Lonny et beaucoup de goût pour les fringues. Du coup après quelques boutiques dans une des plus grandes « Galeria » de la city, voici Steph relooké vintage.
Veste cuir cintrée à large col et tout et tout, notre émigrant de quelques jours se la joue inspecteur des années soixante-dix, dans une caisse aussi spacieuse que son appartement parisien.
16 heures. Limite Bronx Harlem.
Lonny s'arrête dans une rue squalide. Maisons de bois burinées par un Chronos sans pitié et peintures lépreuses en lambeaux.
Steph et son gourou d'un jour sont devant une échoppe à la vitrine sans tain. On en devine l'accès via une porte close à petite sonnette. L'allée est remplie des mêmes vitrines délabrées où déambulent quelques restes d'humains aux corps talés et amaigris.
Ring... Ring… Au son déglingué. La lourde s'ouvre, laissant à Steph le temps d'apercevoir, au bout d'un comptoir fatigué de servir de support à cassés de la life, un papy à casquette, narine droite en pleine compétition pour la plus grande ligne de l'année. À peine les trois marches descendues plusieurs filles visiblement bien dedans, vu leurs poids et leurs quasi-absences de joues, haranguent Lonny de jolis sourires qui en profite pour présenter son protégé from France. Steph se retrouve un paquet à la main avec son guide qui lui demande d'en partager la moitié avec une des filles. Température intérieure du frenchy proche de la combustion.
La cocotte lui fait un gros bisou, enchantée du cadeau, et l'embarque vers la cuisine, direction les restroom. Quelques pas, le temps de se dire les prénoms, et vlan. La porte est close et Steph coincé avec une nana chaude comme pas possible après qu'elle ait foutu sa narine directe dans le paquet.
– Toi petit coquin de frenchy je vais te pomper comme jamais, nauhgty nauhgty boy, lui chuchote la tox.
Gloups, comment s'en sortir la miss est mignonne mais bon... faire gaffe quand même. Improvisation façon Quaterback, Steph botte en touche.
– Non-non-non, chui marié, and euh… I like my wife.
Hum... Un mec reste un mec. Surtout quand une nana vous prend de force la tête en la plongeant au milieu de ses seins vous forçant ainsi à aspirer un gros tas de farine à pourrir les neurones. Merci Lonny... Steph est plus haut que les skyscrapers, il voit le ciel. Phase ultimate hard on pour le trentenaire. La new-yorkaise le colle au mur, le dégrafe toujours debout, et lui presse le précieux comme jamais. Feu au lac, péril en la demeure, ça part en vrille. Klink... boucle ceinturon, ffffff... le froc baisse les armes capitulant jusqu'aux cuisses dévoilant l'artillerie. La fille l'embouche, trop contente de sucer son premier français, en se disant qu'avec un peu de chance Lonny la récompenserait pour ce gentil geste de fraternité intercontinentale. L'heureux élu est aux anges et balance son lait d'homme en s'évanouissant dans un orgasme d'anthologie. La fille sort en panique pensant qu'elle l'a flingué. Lonny arrive, constate et secoue une fiole de sels à vous réveiller un mort-vivant sous le nez de Steph. Effet radical, le coco est debout en un instant. Raide certes, mais debout et souriant béatement jusqu'aux oreilles. Tout le monde se marre, ça finit bien et le monsieur français se chope une sacrée réputation. Les filles lui ont même trouvé un surnom, whityniag. Abréviation de White Niagara en référence à sa… générosité et son débit... Lonny est très fier de son protégé ! La balade continue de plus belle via le Bronx, Steph doit cacher sa bouille de toubab tout froid par endroit pour éviter un éventuel jet de pierre.
Il découvre ces gigantesques terrains vagues remplis d'accidentés de la vie, sortes de casses pour humains rodés à la panne de leur quotidien. Il traverse ces venelles à putes sous crack, ou tout se dévoile à même le grain de l'asphalte. Hypermarché du cul à ciel ouvert. Ces rues où se radinent de jeunes traders entre midi et deux pour cracher leur haine sur les sièges en cuir de leur Porsche Cayenne. Il en a la nausée quand il apprend que la mairie ne refait que les extérieurs des squats, juste pour les photos de Google Street, laissant les intérieurs délabrés aux escaliers et esprits fracassés. Toujours cette société du paraître pense Steph...
Oh oh... redescendre sur le plancher des vaches. Les souvenirs de New York s'envolent, atterrissage forcé.
On the road again.
Rétroviseur...
Dans le miroir, pas d'alouette, mais une Corvette. Celle de la police locale. Son passager, à grand chapeau et veste rouge fort bien coupée, braquant ostensiblement Steph en vociférant des mots incompréhensibles.
Grosse angoisse, freinage d'urgence.
Steph pose pied-à-terre sans s'expliquer le motif de cet abordage à la cow-boy.
La voiture stoppe devant lui, empêchant toute fuite.
– Ne bougez plus ! Mains en l'air ! lui ordonne le ranger sortant de sa Corvette colt braqué sur Steph.
Mister France lui répond timidement que ce n'est pas une automobile, mais une moto...
– Discute pas et pose tes pattes sur le capot !... du... du... phare de ta bécane, répliqua le pugnace ranger qui voulait avoir le dernier mot.
Steph s'exécute le mettant ainsi dans une posture plus proche de la levrette que du fier rider, la fourche avant entre les jambes, se faisant chambrer par le klaxon des camions et autres conducteurs moqueurs.
– Mais qu'est-ce qui se passe ? interrogea le motard interloqué.
Le deuxième flic marche droit vers les sacoches du deux roues et en sort un caillou. Plus exactement un morceau de bois pétrifié en pierre. La pin-up Coca-Cola réalisait maintenant son erreur, lorsqu'à l'entrée du parc national de la Petrified Forest il avait répondu « Yes, yes » au guichetier sans comprendre le moindre mot. Il aurait dû enlever son casque pour entendre qu'il était strictement interdit de collecter quoi que ce soit sur le sol. Après avoir parcouru plusieurs dizaines de kilomètres au milieu de cette forêt d'arbres pétrifiés, endormis sur une terre stérile, Steph avait ramassé en plein nulle part, sans témoins apparents, un morceau de ce bois de pierre gros comme une balle de tennis. C'était pour sa chérie. Seulement les rangers veillent, planqués avec d'énormes jumelles sous des couvertures de camouflage. Une fois harponnés, ils se ruent sur les contrevenants pour les verbaliser au sortir du parc. Steph faisait donc partie des gagnants du PV à 150 dollars...
– Voilà ce qui se passe, ça... c'est quoi hein ? C'est un vol, monsieur, un vol d'une propriété de l'État, vous êtes par conséquent passible d'une amende à régler immédiatement. Dans le cas contraire vous serez amené au poste et renvoyé dans votre pays via votre ambassade, avec interdiction de mettre les pieds sur le sol américain, répond sèchement le ranger au chapeau de chasseur de castors.
Le frenchy tente de la jouer souple, expliquant qu'il n'avait pas compris le message à l'accueil, que c'était juste pour sa copine, tout ça, tout ça, comme savent faire les frenchies dans ce genre de situation. Sauf qu'ici, niet, nada, macache oualou, no résultat avec une police inflexible, sans empathie et bien armée.
– Passeport s'il vous plaît, elle est à vous cette moto ?
– Non je la rôde pour son propriétaire qui habite à Los Angeles, je dois lui livrer aujourd'hui à Vegas, réplique Steph.
– Bel objet, elle fait dans les combien ? Elle a un kit screaming eagle ?
Euh 30 000 dollars et elle a tout ce qui se fait de mieux en prépa, vous êtes motard ?
– Yep à l'occasion, vous êtes français c'est ça ? Et vous venez de si loin pour nous voler ?
C'est le moment de la leçon de morale comme les adorent les Américains.
– Mais si moi, j'allais à Paris et que je prenais un boulon de la tour Eiffel, vous diriez quoi ? Si chaque touriste américain faisait comme vous, il en resterait kôôôa de votre tour Eiffel.
– Euh... bah... ben... pas grand-chose en fait...
– Et bien voilà, donc vous comprenez que vous avez mal agi, que ce n'est pas BEAU de voler ?
Steph pressent qu'un bon mea culpa pourrait raccourcir cette discussion en plein cagnard qui lévite au zénith.
– Oui, suis sincèrement désolé, je ne me suis pas rendu compte que je commettais un acte délictuel, voici les 150 euros en présentant mes excuses à la nation américaine.
Bingo ! Les flics s'adoucissent devant tant de respect, parlent bécane et lui indiquent le chemin des villages fantômes en retrait de la grande route vers Vegas.
Braoumm, moteur, klounk, première.
C'est reparti, avec dans le rétro les deux policiers qui font au revoir de la main comme des mômes, contents d'avoir soustrait un peu de cash pour leur grande nation.
Après 150 miles et un détour, Steph fait un stop dans un de ces villages fantômes sur la route de la mythique cité du jeu. Tout y est encore, la pompe à essence, une dizaine de baraques en bois façon psychose ou tite maison dans la prairie. Les pubs Pepsi de l'époque, les broussailles en pelotes, qui roulent et déboulent de nulle part comme dans les westerns « Alors ça existe ! c'est dingue ! » pensa-t-il. Un village vide, abandonné depuis les années quarante. Le pilote éprouve un étrange sentiment, une certaine peur même. L'état de bâtisses, les portes qui grincent ballottées par Éole, les vitres brisées, font plus songer à un décor de morts-vivants qu'à celui d'un western, avec l'étrange sensation de ne pas être seul. Photo pour le souvenir et ramassage d'une vieille plaque d'immatriculation qui traîne par terre.
Paf ! rebelote !
Un ranger sort de nulle part, toujours avec un grand chapeau, le braque, et même topo, même veste rouge.
– Posez immédiatement cette plaque, levez les mains en l'air. C'est quoi ça hein ? C'est un vol, monsieur, un pillage d'une propriété de l'État, vous êtes donc passible d'une amende à régler sur-le-champ. Passeport s'il vous plaît, ah… Français hein ? Mais si moi j'allais à Paris, et que je prenais un boulon de la tour Eiffel, vous diriez quoi ?
Ça sent le déjà-vu à croire qu'ils se sont tous passé le mot pour la tour Eiffel. Steph se demande si c'est pareil pour un italien avec la tour de Pise…
Bref, après un largage de 150 dollars et un mea culpa, hop ! back on ze road, direction la cité du péché.
De mini-canyons en virages divins, du blafard désert aux ocres montagneuses, le paysage défile en grand-angle jusqu'au bleu turquoise indien du dernier lac avant la Game-city. Sa silhouette et ses néons en plein jour émergent de nulle part, apparaissant comme un mirage dans cette étuve qui brouille la vue et lyophilise la gorge.
Vegas est bien une illusion, celle projetée par les séries ou les docs bienpensants qui ne cadrent que le up-town. Steph découvre une autre vérité dans le downtown, le Vegas des paumés, pauvre et craignos, aux casinos surannés, mais sans charmes. Ici l'argent est gris comme ceux qui y traînent, pour un jour finir comme des ombres. C'est pourtant le chemin à prendre pour rallier l'hôtel de son commanditaire afin d'y récupérer son solde de 8 000 $+ les frais. Factures qu'il avait largement gonflé se nourrissant en réalité de sandwichs home made.
Il avait cinq heures d'avance et les crocs en retard d'un repas. Time for the last sandwich, comme celui qu'il avait mangé inlassablement durant tout son périple. Deux tranches XXL de pain blanc, smoked meat, cheddar mature, et la sauce. La divine thousand islands, d'un rose à faire fondre une poupée Barbie avec des tas de p'tits bouts de trucs de dedans qui explosent les papilles de mille parfums. Steph se bâfre, totalement amoureux de son sandwich, mais se sent observé. Il lève les yeux croisant un regard qui aussitôt s'échappe vers un bébé entouré de gros bras. Sur ce parking derrière un block de casinos ruinés par le temps, garé à une quinzaine de mètres, une fille énorme, assise sur le coffre ouvert d'un vieux van, entourait de chair et d'amour un bébé qui paraissait minuscule. Elle donnait le biberon en essayant de sourire péniblement à son petit avec une abyssale mélancolie dans les pupilles. Le motard ne mangeait plus, mais la fixait avec tendresse et empathie. Teint livide, la tête penchée de soucis comme un tableau de l'école flamande, elle ne pouvait s'empêcher de regarder furtivement ce motard si affamé. Au milieu des macs et des dames, posée sur ce goudron si noir, sa nivéenne beauté brillait dans les yeux de Steph.
Il sentait qu'elle avait la dalle, qu'elle ne pouvait s'abstenir non pas de le fixer lui, mais son sandwich. Gêné après avoir croisé son regard avec insistance, le voici, s'approchant avec délicatesse de la jeune maman.
– Bonsoir je me prénomme Steph et je suis un peu embêté parce que je me rends compte que j'ai acheté trop trucs pour mon dernier sandwich, et puis pour tout vous avouer je déteste manger seul…On partage ?
La fille, une grosse vingtaine et plus de 100 kg répond gênée que non, tout va bien, qu'elle a un peu grignoté tout à l'heure. Le rider insiste en lui expliquant que s'il est sur terre, c'est parce qu'il est le meilleur en sandwich et ça dans le monde entier de tout l'univers du dedans les galaxies. La banquise de ses lèvres se craquelle un peu, laissant jaillir un bref instant, un sourire amusé et léger d'une extrême féminité fragile. Elle accepte et Steph se lance dans une impro sandwich façon commedia dell'arte avec un accent italien en anglais. La mère rit, s'esclaffe, le bébé aussi gazouille un hymne à la joie. À côté, les autres locataires du parking retrouvent à leur tour un peu de légèreté dans cette accablante fournaise. La confiance s'installe, les mots se libèrent, french boy écoute et compatit, viscéralement bouleversé par l'histoire de Cindirella dont la vie n'est pas un conte de fées. Dépité le motard apprenait que Cindy pesait encore 57 kg il y à peine un an. Mais que depuis le départ de son Jim d'amour elle prenait 5 à 8 kg par mois, de stress et de mal bouffe tout juste capable de mendier de quoi s'occuper du petit.
Jim ne l'avait pas plaqué, c'était son job qui l'avait quitté.
Ouvrier chez General Motors à Detroit, victime collatérale de la spéculation et de la cupidité, son usine avait bouclé dans la précipitation d'un transfert de machines à Taïwan ne laissant même pas le temps aux salariés de réagir. Effet boule de neige. Pas de job, pas de remboursements pour la maison souscrite en subprimes, pas d'autres alternatives que l'expulsion. Petits boulots, motels fatigués, au bout de six mois et de leur arrivée sur ce parking en quasi-panne sèche, Jim en père responsable décide de chercher du travail ailleurs. Mais il part loin, trop loin, à 1 600 km. Le papa ne vient qu'une fois toutes les huit semaines passer deux jours sur son parking, faute de budget. Il monte des kilomètres de haies pour d'immenses ranchs. Passe sa journée à frapper sur des pieux, à longueur de soleil et de sueur. Un jeune type courageux malgré ses longs cheveux, son boss était fier de lui, mais pas jusqu'au point de lui proposer un logis et un salaire décent. À force de boire des Monsters pour tenir le coup, à force de coups de masse, à force de coups assénés par un système sans pitié, mue par un dieu imprimé au dos des billets, ce fut le drame. Cindy ne porte pas une rivière de diamants, elle la pleure. Ses larmes brillent sous un soleil de plomb jusqu'à s'évanouir sur des joues rouges de tristesse.
Elle peine à expliquer qu'un soir, après 10 km de haies posées et 8 Monsters, Jim qui commençait à s'assoupir vit s'ouvrir sa porte d'un coup aussi violent qu'une bourrasque d'ouragan. C'était Johnny, un autre forçat du ranch ravagé de Jack Daniels dans une rage que seul l'alcool sait réveiller. Le mec jalouse le djeune à cheveux longs qui en abat plus que lui. Un homme tellement atomisé par la vie que la moindre contrariété le pousse au délire, comme ces cinquante dollars de prime que Jim récupère chaque fin de semaine pour ses heures sup.
Johnny en fait bien moins, mais estime le contraire. Lui, le vrai américain à cheveux courts, pas comme ce dégénéré de Jim. Lui, le blanc qui ne supporte pas que Jim parle aux blacks du ranch. Lui, qui ne comprend toujours pas pourquoi on a élu un président noir. Lui, qui aime la chasse et s'achète armes et vêtements kaki avec sa maigre solde, n'avait qu'une idée en tête. Se venger de sa haine sur un Jim catalyseur d'une Amérique dans laquelle Johnny devenait minoritaire. La jeune mère éplorée explique alors que Johnny brandissant une hache en direction de son mari après avoir forcé la porte de son mobile home fut poignardé par un Jim sorti de sa torpeur en pleine montée de caféine. Un couteau à pain traînait sur la table basse à côté du canapé où dormait son époux. Le jeune n'ayant d'autre choix pour arrêter la folie meurtrière de Johnny que de le saisir et le planter à l'aveugle, dans ce corps hors de lui-même.
À l'aveugle, mais en plein cœur, tout cela sans aucun témoin. Depuis il est en taule même s'il est maintenant avéré qu'il n'est pas l'initiateur de la rixe. Reste qu'il a tué et que l'acquittement va encore traîner, pas facile de prouver la légitime défense… Le fric toujours... Si Cindy avait 2 500 dollars de caution, elle le ferait sortir et lui trouverait un boulot à temps partiel au garage d'à côté.
Touché par la maman, le gérant était d'accord, la voyant chaque jour se battre pour rester digne sur le trottoir d'en face. La libération de Jim sous caution résoudrait tout si vite. On ne lui couperait plus les prestations sociales, Jim pourrait prouver que c'est un gentil garçon, stable et impliqué dans son rôle de père. 2 500 dollars…
Cindy s'arrête de parler sur le bip du smartphone de Steph. Gêné, il répond un peu à l'écart. L'heureux possesseur de la Harley est arrivé et veut sa machine dans l'heure. Steph quitte tout le monde avec à peine un au revoir pour faire poli, expliquant qu'une affaire urgente l'obligeait à partir dans l'instant. En 2 minutes il ne restait plus que la poussière du parking et ses habitants abasourdis par l'attitude du motard qui semblait pourtant touché par le cas de Cindy.
– Encore un égoïste à qui la pauvreté fait peur, vous avez vu sa bécane ? Il aurait pu être américain ce con de français, beuglait un vieux tout barbu. Tous étaient médusés. Steph était au Médusa, hôtel huit étoiles dont les murs principaux sont de gigantesques aquariums. La moto est propre, le trader satisfait du rodage après un cours essai, lui balance 1 000 dollars de prime. Repas, grand resto, discussion ennuyeuse avec un pilote du dimanche qui ne parle à Steph que d'un seul sujet, les 50 000 dollars investis sur les seins de sa femme. Son meilleur placement, le plus facile à toucher... Un vrai blagueur le golden boy. Steph écourte prétextant la fatigue.
Ce n'est que le lendemain qu'il réapparaît sur le parking, tout le monde le reconnaît, mais aucun ne la salue. Malgré l'accueil glacial, il s'approche de Cindirella en lui souriant de toute sa gentillesse de mec.
Elle fait grise mine à Steph, qui persiste et signe, jusqu'à lui chuchoter quelques phrases à l'oreille en dépit d'une certaine appréhension de l'Américaine.
En un instant ses collègues de parking voient fondre Cindy en larmes pendant que Steph disparaît, fendant la bise sur une Japonaise fraîchement louée. Humain ce Steph, vraiment.
Il venait d'annoncer à Cindy que ce matin même, il avait payé la caution de Jim qui allait prendre son avion d'ici une heure. Comme cadeau de noces un peu en retard, gentil frenchy, leur avait réservé deux mois de location dans un appart-hôtel et ouvert un crédit de 1 000 dollars au supermarché d'à côté. Côté avocat sa New-yorkaise de contact, enfin disponible, se proposait de prendre en charge leur défense à titre gracieux. La moto, la Japonaise, il l'avait volontairement loué chez le type qui comptait embaucher Jim, histoire de lui faire la promo du mari. Le même soir Steph qui voulait indiquer un détail fâcheux sur l'alarme de la Harley apprit par téléphone que l'heureux propriétaire, trader qui faisait partie des casseurs de la General Motors n'était plus. Victime qu'il était d'un accident en Harley lié à une haie brisée par une mini-tornade qui traînait sur la route. Étrange destin, dans un étrange pays à l'étrange business. 30 000 dollars pour perdre sa vie, 5 000 pour qu'un autre la retrouve. Voilà à quoi devrait servir le fric… aider les autres plutôt que de les exploiter, remarqua naïvement Steph, à qui il restait à peine de quoi payer ses six mois de retard de loyer.
Qu'importe, son jackpot à lui fut sa boîte aux lettres. Le jour où il reçut une simple photo d'un papa, d'une maman revenue à ses 57 kg et d'une petite bouille d'américain de trois ans, G.I Joe en main. Au dos du cliché d'un bonheur retrouvé était dessiné un grand sourire aux couleurs arc-en-ciel.
dis donc je l'avais loupé! bien joué c'est très prenant, et on se laisse vraiment transporter par ta voix
· Il y a environ 10 ans ·jasy-santo
Merci fait plaisir ton com d autant que je L aime bien ce texte j ai essayé pas mal de trucs dedans en style c était un bon exercice puisqu écrire c'est apprendre à écrire comme disait jules renard merci Govou d autant que je te sais lecteur exigeant et affûté suis très content de ton passage merci bocou
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
Beaucoup pas Govou, Putain de tablette !
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
ahahah!
· Il y a environ 10 ans ·de rien c'est pensé! plus qu'a attendre les résultats, je te vois bien dans la sélection
jasy-santo
C'est drôle comment ça commence en mode défonce, et que ça finit en mode "oh c'est trop mignoooon" :) J'aime ta façon de remplacer le temps/le vent etc par les dieux grecs aussi, c'est sympa :)
· Il y a plus de 10 ans ·dreamcatcher
Puis ça donne envie quand même d'aller aux states! malgré les flics et les amendes et tout le bordel
· Il y a plus de 10 ans ·dreamcatcher
bah la fin c'est à l'américaine façon happy end ça me paraissait indissociable du thème, content que ça te donne envie d'y aller et merci pour les dieux grecques ( J'en abuse souvent parceque leurs noms sont trop top et pis ça change merci pour tes coms et ta note qui me fait passer les 4.5 cooooooooooooool
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris
Un puzzle psychédélique à two wheels bien roulé et bien tourné ! Le fond est très vrai et la forme crève avec de belles allégories la réalité chez nos voisins outre atlantique. .. Tchin & +++ pour la ballade.
· Il y a plus de 10 ans ·Sandie Khougassian
ooh t'es gentille excellente définition de ce texte, puzzle, et merci pour les allégories ça fait plaisir, dis donc tu l'as bien lu c'est cool merci.
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris
Sacrée aventure, on se prend au jeu… La fin est jolie mais un peu cliché.
· Il y a plus de 10 ans ·nyckie-alause
oui tu as raison je voulais faire une happy end à l'américaine, merci de ton passage et de ton comm toujours juste :)
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris
Il est bien ton texte! des formules qui fonctionnent, (d'autres un peu alourdissantes...attention) mais la trame, l'histoire , les personnages, le rythme, l'action les sentiments, les US, ;;;; bravo Mister C!!!
· Il y a plus de 10 ans ·Marion Danan
Merci marion , et pour les formules bah je me cherche je tente j'essaye de progresser merci pour ce post comme toujours avisé et attentionné
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris
Oups! Mon grand! Tu as repris beaucoup de choses des States!!! J'y suis allée plusieurs fois et j'ai retrouvé pas mal de choses et de vérités dans ton texte! j'aime bien la fin, très happy-end, c'est normal c'est américain!!! Belles descriptions et stupéfiantes! les aventures du début... Bonne chance, kiss!
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
Merci vivi content que ta remarque sur le happy-end effectivement voulue merci d'y avoir trouvé choses et vérités, ce dernier mot surtout énormes bises très en retard de lecture cause lunettes cassées une semaine de cp forçé sans pouvoir ni lire ni écrire pffff dur du coup j'ai privilégier l'écriture dès récupération je viens te lire cette semaine énormes bises et big bisous pour ce post qui me fait très plaisir, vraiment.
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris
ai pas beaucoup écrit, car du monde à la maison!!! + boulot + jardin. Oups! mais je viens de pondre...hihi! je vais éditer après mon com... Bisous et vive les lunettes!!!
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
Un sacré patch-work, j'adore le début aérien complètement fantasmé puis les roues sur terre de la réalité... un "road to nowhere" ;)
· Il y a plus de 10 ans ·Laure Cassus
oh bah ça va pas si dur le com' ouf merci de l'avoir lu même si c'est pas jusqu'au bou :-)
· Il y a plus de 10 ans ·Christophe Paris