Bordel magnifique

rafistoleuse

C’est une petite pièce tout encombrée où la lumière ne s’immisce plus que par une minuscule fenêtre perchée en haut de ce mur jauni. Deux décennies de souvenirs s’entassent dans ce fourre-tout innommable – dans des caisses en cartons, des enveloppes en papier kraft, un coffre en bois et des petits cubes de verre. Aucune étagère, aucun tiroir. Tout est à porter des yeux et avec peu d’effort, à portée de sel.

Tout est empilé en équilibre tout à fait discutable. Dans les grosses boîtes en carton froissé qui encadrent ce petit refuge, s’affaissent les actes manqués et les regrets. Ces blocs immondes font souvent de grands bains lacrymaux. Il faudrait un sous sol, même un tout petit, pour y expédier ces boulets qui propagent la nostalgie et commencent déjà à salir les surfaces extérieures de ces petits cubes de verre. Et c’est inacceptable, pas eux.

Eux c’est le meilleur, et le meilleur chez moi, c’est fragile, altérable, modelable, par ces géants tristes et pathétiques plus fort en nombre et en poids. Mais ces petites boîtes transparentes sont incroyablement scintillantes et les faibles rayons de soleil, quand ils y arrivent, rebondissent sur elles comme des enfants sur une aire de jeux. On a vite fait d’oublier ces monstres ternes. Coincés entre ces petites merveilles, des enveloppes très épaisses de maux ancrés au noir. Elles contiennent ce qui n’a pas subi d’érosion, c’est le brut que la plume coule dans un fouillis de pages écornées.

Reste ce grand coffre en bois, en plein milieu de la pièce, que je ne parviens pas à fermer. Les doutes, les espoirs, les peut-être, les craintes qui se battent comme des chiffonniers, les uns prenant tour à tour le dessus sur les autres. Ca grouille de cris et de tremblements à l’intérieur, et le plus souvent je n’y comprends rien.

Les jours de beaux temps je souffle sur la poussière de nostalgie qui recouvre ces petites perles carrées et je nourris mon masochisme en souriant. Les jours plus humides, je patauge dans la boue des gros cartons, tentant d’essorer leurs contenus à bout de mots.

La mémoire, un bordel magnifique.

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