…chacun trouve sa part (même les moins méritants)
wic
Odile s'est pointée peu après. Seule, assise sur le cuir marron de la Transalp, elle slalomait entre des restes de flaques sur le forestier.
Naïvement, j'avais anticipé la réaction de Josie face au retour de sa bécane. J'avais imaginé son regard, l'inclinaison subtile de son visage, l'expression de ses yeux aussi. J'aurais presque été prêt à mettre un billet sur un mélange de surprise et de plaisir, le tout entre cette ébauche de plissures à quelques millimètres de ses tempes, là où se rejoignent les paupières. Mais ce coup-là, je me suis planté. Parce que c'est au bruit du moteur qu'elle a reconnu sa moto, bien avant de l'apercevoir depuis le bas des marches devant le chalet.
On devinait plus qu'on entendait le moteur de la Transalp lorsque la miss a pointé sa frimousse par la fenêtre ouverte au-dessus de nous.
— Scooto ! elle m'a balancé entre deux sourires qui encadraient parfaitement sa question apostrophée. Qu'est-ce que tu as encore traficoté derrière mon dos ?
J'ai fait mine de réfléchir :
— Mmmm... C'est pas moi, c'est eux !
— Et tu crois vraiment que je vais gober ça ! elle s'est écriée faussement contrariée.
Le temps d'une pause infime et elle enchaînait :
— Dis donc, ça fait deux bobards depuis ce matin ! Je ne te connaissais pas aussi perfide ?
— Perfide ? Rien que ça ! Eh, t'y vas pas avec le dos de la cuillère ce matin... C'est pourtant gentil comme surprise, non ?
Sur quoi elle n'a rien répondu, juste désertée la fenêtre pour venir nous rejoindre dehors.
Le soleil avait définitivement gagné la partie ce dimanche. Les alentours suintaient le renouveau, dehors l'air s'encombrait doucement d'insectes volants minuscules et l'humidité accumulée les jours précédents autour du chalet s'évaporait en d'apaisantes spirales translucides.
J'étais entrain de me faire cette réflexion quand les longs bras de Jo sont venus m'entourer le torse. Sam s'est précipité vers son père et j'ai senti les seins de Jo s'écraser dans mon dos en même temps qu'elle me murmurait dans l'oreille un Merci pétri de douceur.
— Un jour il faudra que tu me dises comment j'ai pu me passer de tes attentions pendant aussi longtemps... elle m'a glissé tendrement.
Je n'ai rien dit. A la rigueur, j'aurais pu lui expliquer que si j'avais eu la réponse, je n'aurai pas attendu cinq longues années qu'elle me rappelle pour revenir. Au lieu de quoi j'ai simplement tourné mon visage vers le sien.
Je ne sais quel regard je lui ai proposé, seulement eu l'impression que nos yeux se mélangeaient, générant au passage un bazar de sentiments entremêlés. Des trucs ne s'accordant finalement que pour former une farandole de mots plus ou moins identiques résumant l'essentiel : je t'aime, tu m'aimes, on s'aime. Quant au reste...
Malheureusement, comme souvent, ces instants magiques de quasi-lévitation cognitive entre elle et moi n'avaient pas vocation à perdurer. Quelques secondes tout au plus, le temps de laisser Odile faire son apparition au bout du chemin. La Transalp a franchi les derniers mètres jusqu'au chalet sans laisser la moindre trace dans les rayons lumineux. Autour de nous, le soleil évaporait les restes d'humidité mais ce n'était encore qu'un astre de début de printemps. Pour que la poussière décolle du forestier au passage des véhicules, il nous faudrait encore attendre quelques mois. Un avenir qui en cet instant précis me paraissait une véritable éternité...
Odile a stoppé la moto devant notre petite troupe et enlevé son casque. Son sourire n'était ni moqueur, ni forcé lorsqu'elle a lancé à Jo :
— V'la ta moto, Mam'zelle Josette !
Jamais encore je n'avais entendu qui que ce soit l'appeler Josette. Aucun rapport direct avec Joséphine, à peine plus avec Jo ou Josie, c'était juste étrange. Mais le sujet avait toujours été sensible et ça été plus fort que moi, il a fallu que je scrute sa réaction face à cette nouveauté.
Rien. Uniquement des traits souriants sur son visage apaisé quand elle s'est avancée pour embrasser Odile. Il devenait de plus en plus difficile de retrouver en cette femme désormais enceinte la fille dont j'étais tombé raide dingue sept années auparavant. J'adorais ce qu'elle était devenue tout en regrettant ce qu'elle avait cessé d'être.
Je n'en étais toutefois plus à une contradiction près, j'ai d'ailleurs oublié d'approfondir le sujet parce qu'elle s'est tournée pour me demander :
— J'espère que tu iras au bout cette fois...
— Évidemment, j'ai répondu.
— ...et que tu m'accompagneras ?
Et alors que j'acquiesçais, elle s'est approchée pour se coller contre moi, son bassin plaqué au mien, ses mains doucement accrochées derrière ma nuque.
— Merci...
Et chose impossible, elle s'est encore rapprochée de moi en me disant ça.
Qu'est-ce que c'était cool ! J'étais réellement bien !
Mais ces attentions, comme elle disait, n'étaient pourtant destinées qu'à elle et rien qu'à elle. Je n'en espérais rien de particulier, rien en retour pour moi, aucune touche d'égoïsme de mon côté, réellement. Ne fallait y voir que de l'altruisme à l'état brut. Parce que mon amour ne me dictait rien d'autre, parce qu'être là à ses côtés représentait déjà un incommensurable pour moi. Si je souhaitais quelque chose, c'était seulement que la balance penche le plus possible de son côté, qu'elle soit heureuse ou au moins, qu'elle se trouve dans de bonnes conditions pour l'être. Mais Dieu qu'il était agréable de ressentir ces remous lumineux, toutes ces ondes positives qui fourmillaient autour d'elle depuis la veille.
Et j'ai pris conscience des autres. Ils nous observaient, heureux de nous constater de même. J'ai pris conscience aussi d'un autre truc évident : entre Fred qui nous matait avec bienveillance et les mines réjouies d'Odile et Bernie, tous les regards se tournaient vers Josie. Ils ne s'adressaient pas à ma pomme. Un soupçon par ricochets peut-être mais pour l'essentiel, c'était surtout en direction de Jo. De son aura, de son sourire, de ses gestes débordés par l'apaisement.
Mais je n'en avais que faire. Car quand le bonheur éclabousse, tout le monde est touché et chacun trouve sa part, même les moins méritants.
Texte bien enlevé, le lecteur que je suis aurait ailmé poursuivre. J'apprécie en particulier le "quand le bonheur éclabousse, tout le monde est touché et chacun trouve sa part, même les moins méritants."
· Il y a plus de 9 ans ·valjean
Merci Valjean.
· Il y a plus de 9 ans ·Un jour peut être... ce roman... Qui sait ?... :-)
wic
pas d'altruisme, non! juste pour soi et... lui lui il ne compte déjà plus...
· Il y a plus de 9 ans ·Pawel Reklewski
merci pour ton passage ici Pawel.
· Il y a plus de 9 ans ·wic
je repasserai par là..(pas le linge!)
· Il y a plus de 9 ans ·Pawel Reklewski
Merci pour ce que je viens de lire, ma journée en sera éclairée
· Il y a plus de 9 ans ·nyckie-alause
si j'avais su, je l'aurai mis en ligne bcp plus tôt celui là... ;-);-)
· Il y a plus de 9 ans ·Merci pour ton accueil !
wic
Très agréable, très délicat. Un bonheur comme une bouffée d'oxygène gelée.
· Il y a presque 10 ans ·mamzelle-plume
Merci pour ton passage par ce texte, pour cet agréable commentaire également...
· Il y a plus de 9 ans ·(et désolé pour le retard de réponse).
wic
Je ne mets plus les pieds sur Wlw depuis quelques mois... Par manque de temps, puis par flemme un peu aussi... Et parce que j'ai un ailleurs plein de mots, et où j'ai plein de boulot :)
· Il y a presque 10 ans ·Et il a fallu que ce soit ton anniversaire, pour que je me dise, tiens, est-ce qu'il poste encore ici, et oh surprise (très bonne la surprise) oui.
Alors j'ai pas le temps de tout dévorer, pas encore. Mais ce texte là, il m'a requinqué... Je sais pas, y a une fraîcheur, du bonheur qui nous éclabousse quand on te lit.
Merci.
Et joyeux Anniversaire ! (parce que j'étais un peu venu pour ça au départ :) )
rafistoleuse
Big merci Rafi !!...
· Il y a plus de 9 ans ·wic
Joli délicat et prenant, très agréable à lire
· Il y a presque 10 ans ·ella
Heureux moi aussi de te constater plus ou moins séduite par ce texte...
· Il y a plus de 9 ans ·en te remerciant pour ton passage par ce texte. ;-)
wic
Très joli tendrement sensible simple et vrai rythmé très chouette à lire maaaaarci ☺
· Il y a presque 10 ans ·Christophe Paris
Danke ! Et au plaisir de to lire également....
· Il y a presque 10 ans ·wic
C'est méritant!!! Joli et tendre à la fois ces pensées... J'aime:
· Il y a presque 10 ans ·Si je souhaitais quelque chose, c'était seulement que la balance penche le plus possible de son côté, qu'elle soit heureuse ou au moins, qu'elle se trouve dans de bonnes conditions pour l'être. Mais Dieu qu'il était agréable de ressentir ces remous lumineux, toutes ces ondes positives qui fourmillaient autour d'elle depuis la veille.
Kissous
vividecateri
C'est agréable cette tendresse qui irradie jusqu'à nous.
· Il y a presque 10 ans ·C'est beau l'amour !
nilo
Merci bcp Nilo... Il y a un peu de ça effectivement dans celui-là...
· Il y a presque 10 ans ·À bientôt ;-)
wic
Toute auréolée de lumière Josie... Ca fait comme un tableau, c'est doux et plein de soleil. De beaucoup de paix aussi. Quant à l'amour... Je suis contente d'avoir lu cet extrait là ce matin. C'est purement beau.
· Il y a presque 10 ans ·ellis
Ton commentaire est lumineux également... Merci pour cet écho diaphane.
· Il y a presque 10 ans ·wic
Très joli!
· Il y a presque 10 ans ·dreamcatcher
Merci ;-)
· Il y a presque 10 ans ·wic