Ermite

-« Qu’attends-tu de moi à la fin ? »

Les yeux rougis par le manque de lumière, la fatigue et les sempiternels pleurs,  le teint devenu gris, le corps décharné,  je ne reconnais plus l’homme recroquevillé à même le sol, devenu l’ombre de lui-même. Quatre années, et toujours la même question !

-« Finalement, rien ne change ! Ou plutôt si, tout a changé, aujourd’hui, je ne t’aime plus, tu me dégoutes ! »

Ses yeux injectés de sang se lèvent vers moi.  Tout son corps pue la peur.

Qu’est-ce que j’attendais de lui ? Je ne sais plus, rien, juste lui ! Elle n’en voulait plus de lui, il répétait haut et fort que sa vie ne valait plus rien, qu’il allait se foutre en l’air. Moi, je le voulais tout à moi, vivant, et je l’ai pris !

Mon plan était minutieux, faire le vide autour de lui pendant une semaine, l’accaparer et lui faire annuler tous ses rendez-vous. J’avais réussi à dénicher un SDF, travailler dans la rue à des avantages, on cherche on trouve ! Je lui avais laissé fourrer sa grosse queue sale entre mes cuisses pendant que je glissais la corde autour de son cou et que je serrais de toutes mes forces.  Il a joui en agonisant, et je l’ai laissé là, se putréfier pendant une semaine.

J’ai concocté un mélange savamment dosé de whisky et de barbituriques, et lorsqu’il fut hors service, je suis allé chercher mon sans-abri et je l’ai pendu sous l’escalier. J’ai étalé bien en vue les lettres d’adieu écrites à ses enfants  lors du jugement de divorce sur un coup de blues, et je l’ai emporté, inconscient.

Je me souviens de la terreur  que j’ai lue dans ses yeux à son réveil, lorsqu’il a compris qu’il était mort pour tout le monde. Depuis, je lui ai tout détaillé, même lorsque j’ai cru qu’elle allait faire ouvrir une enquête. Avais-je laissé des traces, des indices ? Mais la seule chose qui aurait pu me mettre dans le pétrin, c’était l’autopsie du corps, et sans le savoir, c’est elle-même qui m’avait rendue service, en demandant l’inhumation, dernière volonté de son défunt  mari !

Je lui ai montré ses enfants grandir, il l’a vue, elle, avec d’autres hommes, et j’ai  savouré chaque sursaut de ce corps jaloux, j’ai bu chacune de ses larmes devant les images et les vidéos.  Je lui ai fait aimer mes jeux interdits, je l’ai marqué au fer rouge, mon nom est incrusté à jamais dans sa chair, il ne vit plus que par moi, et je n’ai plus envie !

-« Je ne t’aime plus, c’est fini ! Je repars à zéro ! Tu voulais mourir, tu es mort, mais pas moi …  »

Mon rire raisonne,  je vérifie les menottes dans son dos, resserre les liens aux pieds, le plus serré possible.

-« Non ! Ne fais pas ça … Reste encore, tu me dois bien ça ! On pourrait partir tous les deux, être heureux, je te promets … »

Je repositionne le bâillon sur sa bouche tordue, qu’il se taise à jamais, et je ferme la porte du petit cabanon. Personne ne s’aventure aussi loin dans ce bois sombre et humide, personne ne connait mon petit coin de Paradis. Repartir à zéro … Il n’y a que le feu pour tout purifier …

Je m’installe au volant du break, c’est étrange comme aujourd’hui tout me parait évident, encore quelques heures, et tout sera réglé et oublié ! Un sourire aguicheur au vieux râleur, je le laisse plonger ses yeux vicieux dans mon décolleté contre un bidon d’essence,  dernière transaction avec ce débris, et « adieu » ! C’est en prenant une grande inspiration de liberté que je traverse la chaussée.

Je ne ressens aucune douleur, je suis au milieu de la route, je ne peux plus bouger,  le choc a été violent, un liquide chaud se répand autour de moi, je connais cette odeur, du sang ! …  je ne veux pas, ce n’est pas terminé, non … pas encore …

-«Elle a déboulé comme une folle, j’ai rien pu faire pour l’éviter ! »