Filature (2)

Mathieu Jaegert

Il était extrêmement agité. Je ne l'avais pas vu déboulé. Seule la puissance de ses cris m'avait extirpé de ma concentration. J'avais interrompu brutalement ma cavale. L'individu qui me filait devait être persuadé que ce fou l'aiderait. Je souriais intérieurement. Non seulement il n'en serait rien mais en plus j'avais une longueur d'avance sur l'homme à la veste sombre et au couvre-chef assorti.. Je l'avais très vite repéré et lui ne pouvait s'en douter. La filature avait débuté quinze minutes plus tôt et je voyais qu'il n'en menait pas large au fur et à mesure que je prenais le large. Je semais à la fois le trouble et cet agent affecté à la délicate mission de me serrer de près. On lui avait sûrement dit de me suivre comme mon ombre, et pourtant je sentais sans le voir son regard hésitant sur ma nuque. Il finirait par abdiquer, ça ne faisait pas l'ombre d'un doute. Mon plan n'était pas arrêté mais les options se consolidaient au fil des rues arpentées, des files de voitures remontées, des carrefours qui défilaient, et des virages en enfilade. Plusieurs schémas se dessinaient dans mon esprit. Mais le fou occupait mon attention. Je devais m'en débarrasser au plus vite. J'avais improvisé une volte-face, faisant mine de lui indiquer une direction à suivre tout en reproduisant son débit de paroles incohérentes. Les deux avaient marqué un temps d'arrêt. Le fou était reparti, gueulant de plus belle. Le suiveur, lui, avait tout juste eu le temps de se glisser derrière une fourgonnette blanche. Je n'étais pas mécontent de mon petit effet. Je n'avais finalement perdu que très peu de temps.

Le plan était réglé comme du papier à musique. La partition serait jouée sans anicroche et je récitais mes gammes avec la certitude et la virtuosité d'années d'expérience. J'avais plus d'une corde vocale à mon arc, et plus d'une variation à mon récital. J'étais à pied d'oeuvre et le détective privé tentait de suivre mes manoeuvres d'arrache-pied. Je le savais hésitant avec les jeux de mots, je me disais donc qu'il finirait par perdre pied si je réussissais le contre-pied parfait. La clé de l'histoire qui m'avait embarqué dans cette fugue m'échappait encore mais je savais que l'issue était à portée de vue et de mains. Pas plus tard que demain. Si je m'étais mis à dos la majorité de mes proches, je me faisais confiance pour rebondir et me sortir de ce faux pas. Pas-à-pas je retrouverais sérénité, lumière et apparat. Le détective servirait d'appât.

Il suivait toujours. Il restait sur un succès retentissant, je le ferai retomber les pieds sur Terre. L'affaire avait fait grand bruit à l'époque mais j'étais resté sourd à son palmarès. Elle lui avait attiré quelques lauriers sur lesquels il paressait. C'est en tout cas ce qu'il se disait dans le quartier. J'avais dégoté une bonne paire de basket avant d'entamer ma fuite et je filais désormais droit vers la réhabilitation tout en faisant mûrir l'entourloupe finale.

...A suivre...

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