I'll be Back

Robert Arnaud Gauvain

I’ ll be back

Il n’est de plus bel instant que celui du retour. C’est un bonheur sans pareil. Parti pour des terres nouvelles, j’ai voyagé aux confins du monde civilisé, repoussant sans cesse les craintes et les peurs liées à cet inconnu qui nous ignore aussi terriblement que nous le craignons, dont l' inquiétant mépris semble souffler à nos âmes d’imperceptibles mais redoutables imprécations menaçantes. Mon voyage au cœur des ténèbres vers des rivages prometteurs s’achève aujourd’hui. Que de sentes sillonnées! Les images de ces royaumes oubliés me rongent l’esprit, à moins que cela ne soit qu’une fièvre tropicale. Si tel est le cas, mon délire pourtant reste bien réel. Que de beautés aperçues, que de grandeurs effleurées, que de magnificences embrasées embrassées! Cheminant vers un horizon de sagesse et d’accomplissement, j’ai touché du doigt les peuples mystérieux, étreint les civilisations décadentes, profané les temples interdits, vénéré la puissance de mère Nature.

            Les seuls souvenirs de ces instants d’éternité suffiraient à contenter mon âme et mon corps pendant des millénaires, les couleurs le disputent aux sons, les lumières aux ombres et l'enivrement au recueillement, propre à la contemplation béate de ces tableaux inégalés.

            Aventure! Aventure! Tu fus la plus excitante maîtresse, la plus bouleversante des amantes.         Désormais tes suivantes vont me paraître bien fadasses en comparaison des saveurs brûlantes de ma vie à tes côtés. Comment regarder mes semblables, pauvres créatures s’agitant vainement, à l’assaut de vérités partielles, d’absolu incomplet, d’infini balisé ? Celui qui a chevauché la licorne peut-il encore seulement poser les yeux sur un roussin ? Comment considérer avec estime et déférence cette humanité tristement quotidienne, qui ronge mollement une microscopique miette rassie du plantureux festin que j’ai englouti avec avidité? Comment la traiter en égal ? Impossible de ne pas assumer avec fierté ce néant qui nous sépare, et leurs réactions de faméliques insatisfaits ne m’importe pas, puisque sans gêne ni honte je me sais tellement supérieur: aucun d’entre eux ne pourra plonger avec moi dans le gouffre tourbillonnant de mes souvenirs car la révélation les noierai sans merci. Que de routes, de bas-côtés et  de fossés désormais entre nous.

            Le poids de mes valises et de mes paquets me tire les mains et les épaules, mais je ne ressens aucune douleur, je sais trop bien que les trésors amassés dans ces malles valent immensément plus que ces petites souffrances qui sont le signe de ma fatigue, fatigue compréhensible et joyeuse puisqu’elle survient au moment sacré du Retour. Quand je reprendrai possession de mes lieux, je déballerai sur le sol, éparse, la mosaïque insolente de mes trophées pour la contempler avec fierté et émerveillement, retrouvant des reliques oubliées ou m’attardant sur les plus récentes pour mieux les étudier et en découvrir de nouveaux attraits. Mentalement, je me raconterai, chapitre par chapitre, ce périple; chaque pièce unique de ma collection me rappellera une étape, des rencontres, des émotions, de la vie. Je trônerai, petite chose au beau milieu de cet amas de grandeurs, et resterai là, seul, heureux, éperdu, gorgé de satiété.

            Maintenant, ma petite baronnie matérielle n’est plus loin, je me réjouis à l’avance de voir mon empire spirituel la bousculer, la prendre d’ assaut pour la voir voler en éclats, je suis parti hobereau, je reviens roi-soleil. Mon pays je retrouve mais mes habitudes j’enterre, rien ne pourra plus être comme avant. Ces traversées, ces tribulations, ces expériences sont ma Fortune de France, ma richesse de cœur , mon Siècle des Lumières.

            Me voilà devant la porte de ce qui fut mon foyer il y a des ères de cela. France, douce patrie, accueille en ton sein un de tes fils, de retour au bercail après s‘ être beaucoup égaré mais jamais perdu.

            Je suis si ému, si enthousiasmé de revenir. Finalement, c’est la beauté du retour qui donne réellement sa saveur à un voyage, même aussi formidable: l’instant où l’on se termine enfin, frêle aventurier, sur le point de retomber sur le tremplin qui vous a vu bondir plus haut que les cimes immortelles.

            Je monte l’escalier, tremblant, essoufflé autant par l’effort que par l’émotion, j’arrive à mon logis.

            Je vais entrer. J’entre. Je suis entré.

            … C’est très étonnant. Une facétie du destin me coupe dans mon élan! Ce n’est pas encore la fin des enchantements. Sur mes meubles, aux murs, sur le plancher... pas la moindre trace de poussière... Les lieux semblent habités, l’ on sent encore comme une présence diffuse…

            Comment cela est-il possible, après tout ce temps ?

            Car ça fait bien une heure.

            Quelle extase que celle du retour chez soi après les courses à l’ hypermarché.

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