Instants tannés

L'orage venait de passer laissant filtrer une lumière céleste qui donnait au paysage une impression de fin du monde. Le retour en minibus était des plus périlleux surtout pour le conducteur.

Imaginez la scène : Au volant, un plantigrade vêtu d'un treillis de camouflage vert afin de de pas effrayer dame rainette sur son nénuphar posée. La fermeture éclair bloquée l'avait condamné à porter sa salopette de combat alors que le casse était terminé depuis longtemps. 

A ses côtés, à la place du mors au dent de la jument de l'inspecteur, un solide gaillard avec une chemise à carreaux, un opinel de chez Kiloutou, une casquette de bob l'éponge vissée sur le crâne avec cette inscription ‘'la pelle du forez ‘', des Timberland crotteuses et une fiole à la ceinture remplie d'un élixir druidesque qu'il dégaine dans les grandes occasions. Quelle dégaine ! Sur ses genoux trônait une chaine de tronçonneuse maculée de sang vert et de lambeaux de chair. Le regard hagard trahissant l'état de brute à l'état brut, imperturbable mais en même temps ailleurs comme si le froufrou rouge qui lui servait d'écharpe avait causé une déficience de son métabolisme.

A l'arrière du minibus, c'était le grand n'importe quoi.

Les ZaCaMaSy avait attaché bout à bout leurs guêpières et leur attirail de lingerie Passionata pour en faire un appât qui pendait par la vitre et qui, au loin, donnait l'illusion d'un ruban rouge accroché à l'arrière train du véhicule. A son extrémité était accroché un macaron qui avait fait son temps; il avait duré. Qu'espéraient-elles choper avec cette trainée digne des trappeurs des monts Athabaska ? Qui allait mordre à l'appât du grain ? En tous cas, elles s'en donnaient à coeur joie derrière. - et non pas donnaient leur derrière à coeur joie. Faut pas confondre ! 

Bien qu'elle paradait en bikini pistache sur la banquette arrière, Maud se servait de son casque audio pour se tenir les oreilles au chaud. C'était un casque de première génération - donc de moyen âge - qui lui avait été offert à Noël par l'inspecteur Prijgany, lui même l'ayant trouvé lorsqu'il avait fouillé les alentours du kiosque à la recherche d'ossements de dinosaures verts.

Ah ! Maud et sa playlist de musique médiévale ! Fallait la voir gesticuler et se déhancher sur la rythmique de la polyphonie troubadourienne.

Un mélange d'Olivia Newtown John, de derviche tourneur et de Fauve Hautot…ce qui en disait long sur sa capacité à avoir le rythme dans le sens.

Entre elle, et sans se soucier de l'état d'excitation de leur consoeur, Zab et Carouille, bien trop occupées à faire du troc avec leur lingerie à dentelle, leur jupettes et autres emplettes faites sur le chemin du retour une fois le casse de Ladurée terminé. Ladurée ? Le cas qui n'avait duré qu'un temps déterminé.

La musique, Carouille, elle s'en fichait comme de ses premiers legos.

Faut dire qu'elle savait faire la sourde oreille quand tout ce tintamarre lui déchirait les tympans. Son truc à elle, c'était d'éviter de mettre le feu partout où St Augustin réclamait la sagesse. Force était de constater qu'il fallait néanmoins prévoir la lance à incendie après son passage.

Pas comme Zab, night clubbeuse émérite qui avait gagné le trophée de ‘'l'air music'' à Bormes-les-Mimosas du temps où les dinosaures étaient à l'état d'amphibiens, en improvisant une chorégraphie sur Staying alive des Bee Gees. Titre dont elle avait fait sa devise et qui rythmait sa vie depuis qu'elle s'était reconvertie en nettoyeuse sans pitié, flinguant à tout vent.

Si il y en avait qu'une qui devait rester en vie, c'était bien elle.

Adulée par tous les jet-setteurs de Papagayo à Ibiza, elle était devenue, après une courte bifurcation dans le cyclisme, une icône des bars à tapas de Clichy. Ex fan des seventies et des Rubettes, elle avait recueilli un chien sans collier sur lequel était inscrit Pat et l'avait rebaptisé Rex en référence à ses ex. Ceux-là même qui s'arc-boutaient en chien de faïence devant elle quand elle disait : ‘'Ex ! Au pied !''   

Ces deux-là avaient tanné l'ours jusqu'à s'arrêter à tous les Kiabi, Tati et Promod du coin. C'était pas encore les soldes chez Aubade, Lise Charmel ou Chantelle. Alors elles se contentaient du strict minimum.

La durée avait été plus longue que prévue car Julia s'était enfermée dans la cabine d'essayage avec Guillaume (oui Guillaume ! vous vous souvenez pour ceux qui suivent ?) pour lui en faire voir de toutes les couleurs, avec forcément une prédilection pour le rouge. Lui qui pensait en voir des mûres et des pas vertes, il était servi à point. Julia, sa robe rouge, ses yeux smaragdins et ses palindromes qui exhortaient le brave Guillaume à tenir la devise chevaleresque : ‘' tâte l'état !''. C'est sûr - et dur - qu'il en ressortirait dans un drôle d'état de la cabine, le Guillaume ! 

L'agent de sécurité n'émit aucune résistance devant le défilé des 2 Zacamasiennes, vêtues de leur plus petite tenue, l'une en shorty noir, la seconde en dentelle rouge comme pour mieux affoler les indicateurs et le thermomètre du pauvre gars. Et pis, même Maud en mauve pour repasser une couche. Comme les macarons : 3 couches : praline, génoise, pâte d'amande. La légende dit qu'à Nancy, ville royale où le Macaron est roi, la rue des soeurs Macarons est ainsi nommée en souvenir du passage de ces croqueuses de douceurs.

Dehors, poireautant dans le minibus, l'ours mentholé et le bûcheron anisé refaisaient le monde en se remémorant le temps de l'ange vert et des poteaux carrés. Pu…s'ils avaient été ronds, hein Patrick !!!

Les verres coulaient à flots.

Pendant ce temps et parce qu'il fallait que chacun soit sur son 31 pour la photo de groupe, Ade la petite dernière était partie se faire un relooking, exaspérée qu'elle était que ses copines l'aient prise pour un garçon.

Pffff …j'te jure ! Mais Ade fallait pas trop tirer sur la corde car elle a pas son pareil pour sortir les griffes et montrer les crocs. Même l'ours, il se calme devant elle ! Alors, quand Sylvie, la hors-la-Loy sans emploi depuis qu'elle avait tout plaqué pour un bébé King Kong,  se mit à lui prodiguer conseils de beauté et astuces pour mieux faire chuter les z'Homo Erectus, on savait que le résultat allait réveiller les morts. Un thriller bis en quelque sorte. Et comme on était un soir de pleine lune, il était temps de rameuter la troupe pour aller faire un tour du côté de chez Swan.

La route avalait les kilomètres et le ruban rouge virevoltait dans l'air. Sylvie, la grande prêtresse de ses altesses, était chargée de ferrer la proie qui se coltinerait le macaron. Une licorne passa dans le ciel, suivie par une soucoupe qui brandissait un message dans son sillage « Prij ! reviens ! Je t'en supplie''. La femme du teinturier, pour sûr. Ou peut-être cette Angelique dont la vie avait basculé à la suite de la perte de sa paire de Louboutin.

Une aurore boréale ramena un peu de sérénité à cette joyeuse troupe. L'ours se fit peler le poil par une des ZCMS, le bûcheron rendit les armes sur le champ, Carouille alla se reposer dans la boîte à gants, Maud suça sa pistache, Zab dessina des têtes de mort sur la vitre arrière avec son rouge à lèvres, Sylvie donnait le sein à son baby King Kong et  …

...et le minibus finit sa route dans ce beau décor. 

Beau dommage.

Demain est un autre jour.

Qui allait prendre le volant dorénavant ?

© photo :  by myself