Je me souviens...

Yvette Dujardin

 

    

   Je me souviens, j'avais 14 ans, ça se passait au Touquet, c'était l'été, à cette époque le beau temps en août était un acquis social. Il s'appelait Antoine, il n'avait peur de rien, faisait des roues arrières et bravait le couvre-feu comme s'il ne craignait pas les baffes paternelles. Il plongeait dans les vagues comme aucun, avec son jeans pour le délaver, c'était la mode et lorsque ses cheveux séchaient, quelques mèches blondes tombaient nonchalamment sur son visage bronzé, juste devant ses yeux bleus, aussi, toutes les 27 secondes, il faisait ce geste vif de la tête pour les ramener en arrière, c'était trosexy. Il nageait jusqu'à la dernière bouée, là où on n'a plus pied et où les monstres marins pullulent, et faisait coucou de loin. Mais pas à moi. Pourtant j'aurais donné n'importe quoi pour qu'il me remarque. Il avait 16 ans, c'était un adulte, un homme un vrai, un qui muait et qui avait des poils. Je le suivais partout avec la bande.

 

    Il y avait Paul, son père était coiffeur près de la plage, Michel,  un parisien, qui me tournait autour, mais je l'ignorais. Il y avait aussi Julien, qui habitait près de chez moi,  nous allions au même collège et Valentin. D'autres aussi, je ne me souviens plus des noms, en tout 5, 6 garçons avec qui je trainais, une seule fille faisait  partie de la bande, Corinne, elle s'appelait, une brune, un peu garçonne, qui venait de Nancy.

 

    

    Antoine, lui, me regardait pas, ce qui l'intéressait, c'était de mettre sa langue dans la bouche de Charlotte. Elle faisait pas partie de la bande, faisant la mijaurée auprès de ses parents. Charlotte cette salope sans coups de soleil, à qui les parents avaient laissée acheter un maillot de bain deux pièces, je haïssais mes parents. Un Antoine ça se drague pas avec un maillot de piscine municipale. Pardon maman, mais si tu voulais foutre mon adolescence en l'air tu pouvais pas mieux t'y prendre.

 

    Charlotte la salope, elle avait des bouts de seins et surtout des super cheveux longs. Quand elle sortait de la mer, c'était mouillé et c'était beau, puis quelques minutes plus tard, c'était sec, et ça restait beau, ça faisait comme des jolies lianes brillantes tombant sur ses épaules bronzées. Moi quand je sortais de la mer,  mes cheveux, en séchant, ils faisaient des frisottis secs poreux, c'était affreux. C'est compliqué les cheveux à l'adolescence, presque autant que ces poils qu'on guette et qui n'arrivent pas. Nous passerons pourtant le reste de notre vie à tenter de nous en débarrasser.

 

    

    Puis, la boom le soir du 15 août, l'autorisation de rentrer à 23h30, le feu d'artifice sur la digue, Antoine qui embrasse Charlotte au moment du bouquet final;  j'envisage le suicide, je déteste mes cheveux, parents, alors, au désespoir, je laisse Valentin – le cousin d'Antoine –me prendre la main. Valentin c'était mon second choix, le pote pas top, celui avec des cheveux qui sèchent pas bien et aucune mèche rebelle sur ses yeux même pas bleus. Et hop, entre une dune et un champ d'oyats,  on se roulait des pelles, en passant nos doigts dans nos cheveux poreux, en les coinçant dans nos nœuds. A cette époque, la pelle, c'était le truc hardcore extrême XXX, ça consistait à tourner sa langue le plus vite possible autour de celle de l'autre. On passait pro quand on arrivait à changer le sens de rotation sans s'arracher les amygdales sur l'appareil dentaire de notre partenaire.

 

    

    Puis l'été passe et il faut repartir chacun dans sa ville, quitter Le Touquet, sa plage, la mer. Dans le train du retour, je jure à Valentin, amour sincère et fidélité, avec des trémolos dans la voix, “c'est quoi un an ? C'est rien.”

 

     Puis deux gares avant de descendre et laisser l'amour de ma vie continuer sa route jusqu'à sa ville lointaine, je croise  Antoine mon ex premier choix dans un couloir. Il venait de plaquer Charlotte, elle avait un bouton et visiblement, elle changeait pas si bien de côté de rotation avec sa langue.

    

     A cette époque, pas de portable, pas de sms avec des smileys, pas de Facebook, pas de wall, ni de TL; une adresse postale, une carte, une réponse blindée de fautes, puis la rentrée, un nouvel Antoine, pas de mer, des cheveux disciplinés, et tout était oublié.

 

    

    L'année suivante, j'avais grandis, ma poitrine aussi, on se recroise, salut de la main, distance gênée, il est pas si beau que ça, finalement. En revanche, son frère de 20 ans…

 

  • Un texte rafraîchissant, agréable à lire, qui nous plonge dans une ambiance de vacances et de bons souvenirs. On peut facilement s'y reconnaître, ah les premiers amours... Certains passages prêtent à sourire, j'ai beaucoup aimé ! :)

    · Il y a presque 10 ans ·
    Ls2

    Len Shadow

  • C'est vrai c'est frais comme un premier baiser !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Flottins orig

    sophie-dulac

  • super, comment trouves-tu cette inspiration pour être drole? :)
    pourtant je suis ado, enfin j'en ai l'âge en tout cas ^^

    · Il y a presque 11 ans ·
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    cascar72

  • J'adore! Comme Lyse! Etre un éternel ado, c'est pas si mal finalement! La naïveté, l'insouciance!!!

    · Il y a presque 11 ans ·
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    Colette Bonnet Seigue

  • des faits vécus dans une belle tranche de vie!

    · Il y a presque 11 ans ·
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    Salvatore Pepe

  • Et sans soutif Lyse, j'avais de petits seins en poires. C'est mon père qui a pris la photo; Bouhhh! maintenant, 53 ans sont passés et...suis plus ado...

    · Il y a presque 11 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • C'est écrit par une ado, ce petit bijou.
    La photo, trop fière de ses seins, la minette !
    j'adore
    cdc

    · Il y a presque 11 ans ·
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    lyselotte

  • J'ai adoré, c'est rafraîchissant et on s'y croirait tout à fait, sur la plage à côté du camping des flots bleus. En fait, ça me donne une idée, une autre relative aux partages de textes qui pourrait donner lieu à une édition commune. Qu'est-ce que ce serait amusant que chacun raconte cette période à sa façon, sur sa plage, au camping, à la montagne peut-être, à la ville ou comme ma pomme, qui cherchait les endroits sombres et frais, un garçon dans une grotte ardéchoise, à l'abri des regards et du soleil.

    · Il y a presque 11 ans ·
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    divina-bonitas

  • Mais il ne m'a jamais embrassé, Tahar,par contre l'année d'après il aurai bien voulu, mais c'est une autre histoire que je vous raconterais car je l'ai échappé belle. Comme on est bête à ces ages. Donc la suite, demain ou un autre jour, car chaque année les vacances c'était Stella-Plage avec les parents.
    J'ai remis ce texte Cerise car certain n'y avait pas accès et Choupette ne peut les lire encore. J'y comprends rien.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • Tu aurais dû mordre ce fameux Antoire sur les lèvres pour qu'il cesse de charmer tes concurrentes,Yvette !...

    · Il y a presque 11 ans ·
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    Tahar Yettou

  • c'est touchant de fraîcheur et d'émotions.... et ça laisse une ouverture pour une suite ;-)

    · Il y a presque 11 ans ·
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    bleuterre

  • J'avais déjà lu et déjà aimer. Continue.

    · Il y a presque 11 ans ·
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    cerise-david

  • Ah ces années tendres ! Elles ont su, sous ta plume, garder leur fraîcheur et leur authenticité ( :) à quelques détails près).

    · Il y a presque 11 ans ·
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    garance--2

  • Non Arthur, tu as raison, mais je ne savais plus où ma mère me l'a acheté et puis on s'en fout, c'est pour rire, mon histoire est vrai, mais j'ai mis le Touquet pour faire bien...Rires, car cela se passait à Stella-Plage, la où Patrick Dewaere et notre célèbre Gérard Depardieu, ont tourné "Les valseuses" Car je ne sais si vous connaissez.
    Sur la photo, c'est moi, quand la poitrine à poussée à 15ans et à Stella. Je dois avoir la photo qq part avec ma copine devant une Diane.
    Je crois que je vais retirer Décathlon, c'est leur faire de la pub.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • Une tranche de vie, mais sans t'offenser, Decathlon existait déja?

    · Il y a presque 11 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

  • Ca se lit avec un énorme plaisir ! C'est tranquille, estival avec toutes les interrogations d'une ado qui découvre le désir ! Bravo Yvette et merci d'être revenue à l'écriture

    · Il y a presque 11 ans ·
    La main et la chaussure

    Stéphan Mary

  • Je venais juste de lire ce texte avant de constater qu'il y avait eu un "au revoir" .Cette habileté à écrire des faits vécus , poèmes , témoignages, souvenirs ... ne peut pas ainsi trouver son terme .Il ne faut pas abandonner ces moments précieux où la vie s'arrête à rêver (parfois à pleurer) sur une page qui s'anime de mots si bien à propos!Je n'ai jamais éprouvé de difficultés à lire tes textes.Merci pour les partages.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Welovewords 002 300

    phine

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