La Bienvenue.

Marcel Alalof

La Bienvenue

J'avance dans la rue principale, au sol de terre ocre jaune séché par le soleil, limitée de part et d'autre par  de vieilles maisons de bois d'égale hauteur. Le ciel est bleu, bleu ! J'ai l'impression de me regarder dans les yeux. N'étaient les inscriptions en français, on se croirait au Far-West.J'arrive devant le café, qui fait également teinturerie, à la façade écrasée par le soleil, dont l'auvent de toile installé à l'entrée, plonge la salle dans la pénombre. À douze heures, il est encore trop tôt. Le café est désert. Je suis pris par la fraîcheur, dispensée par le ventilateur de plafond et peut-être par un climatiseur caché, qui me met immédiatement en sueur. Je m'essuie le front machinalement, avec le jean que je porte sur mon bras droit replié. L'odeur de tabac froid trouble mes narines. Dans le fond, est aménagé une sorte d'échoppe, d'annexe, qui tient lieu de teinturerie. Je remets le jean à la patronne, blonde d'une quarantaine d'années, au visage gonflé par l'alcool et l'insomnie, mais à l'oeil goguenard. Ici, on paie d' avance. J'imagine que lorsqu'elle n'y trouve pas son compte, sa face doit se transformer en vision de cauchemar. Je dois repasser dans deux semaines, après le repassage.

Quinze jours plus tard, je monte la marche de l'entrée,à l'auvent toujours rabattu. Dans la salle déserte, le sol est tapissé de pantalons impeccablement pliés et repassés. Je manque marcher sur mon jean, fin prêt. Je me dirige vers le fond de la salle, m'asseois à une table, face aux fenêtres qui donnent sur la sortie latérale, vers la lumière, seul. Je sens une légère pression sur mes épaules, un souffle tiède.Deux billets de deux cents € tombent devant mes yeux. « Vous aviez trop payé pour le pantalon ! » Je me retourne. Elle est à trois mètres derrière moi, souriante. Elle relève sa jupe, comme par mégarde,la maintient levée. Je vois des cuisses fuselées, lisses, et son sexe parfaitement épilé, qui appelle la langue. Puis, elle se dirige vers le comptoir. Je me replonge dans mes pensées. Au bout d'un moment, j'entends le bruit d'un objet que l'on dépose sur ma table. Je lève la tête. C'est une grande bouteille de limonade, à l'étiquette « La Bienvenue ».

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