L'affaire est dans le sac !
Ana Lisa Sorano
En ce mois de juillet, nous nous trouvions à Paris, ma fille Sabine et moi. Sabine était admissible à un concours difficile et j'avais été appelée en renfort pour assurer un soutien logistique et psychologique. Nous logions chez la mère célibataire d'une amie à elle, dans un charmant duplex du Marais. Je connaissais peu notre hôtesse, charmante au demeurant et souvent absente. Aussi ne me sentais-je pas tout à fait chez moi. Je n'étais pas non plus en vacances, soucieuse de ces oraux que Sabine n'avait guère pu travailler cette année-là. Je l'accompagnais aux épreuves et revenais la chercher, et, du coup, je hantais quotidiennement le même quartier.
Entre deux épreuves Sabine eut un jour de repos/révision, et je me dis qu'il faudrait tout de même qu'elle ait un autre haut de rechange pour ses tenues d'oraux. Je pris le métro pour les Grands Magasins, bien consciente que je me lasserais vite du tohu-bohu de cette période de soldes en plein Paris.
J'entrai dans un de ces temples, rassurée de voir que les soldes qui touchaient à leur fin avaient regroupé au rez-de-chaussée quantité d'articles, par catégories puis par marques ; il me fut donc aisé de chercher un chemisier un peu nouveau dans sa coupe mais d'esprit classique. J'en trouvai un dans la bonne taille et griffé jeune qui plairait à ma fille. J'étais ravie et du coup pensai à moi en arrivant devant un bac qui contenait des sacs de ma marque préférée : en toile gommée et poignées cuir, de toutes les formes, dimensions et couleurs, légers et pliables. Je ne raffolais ni des chaussures ni des sacs, mais ceux-là me convenaient très bien, s'assortissaient à tout et me faisaient un long usage ; ils n'avaient ni le poids ni le prix du cuir. Je m'étonnai quand même qu'ils fussent soldés et demandai pour quelle raison à une jeune vendeuse, petite brunette aux cheveux courts bouclés et aux yeux vifs. J'appris que cette gamme de blanc crème, de marron et de beige, toujours reconduite, n'était pas la dernière sortie pour l'été. J'allai donc jeter un oeil sur la gamme à la mode dont les vert acide, fuchsia incandescent, orange racoleur et jaune pétard me donnèrent un haut-le-cœur. J'avais déjà du rouge, du marine, du gris, du mauve, pourquoi pas un beige classique, surtout soldé.
Je revins au rayon et remarquai que la vendeuse remettait en ordre les sacs que des clientes peu délicates avaient quasiment jetés après examen. Je lui dis que ce ne devait pas être tous les jours un travail facile que le sien ; surprise que l'on portât quelque intérêt à son métier, elle me répondit que oui et ajouta qu'en plus elle était intérimaire. Je hochai la tête, attentive. Comme un constat complice, je lui déclarai que les sacs soldés n'étaient tout de même pas donnés.
Elle s'anima, pleine d'énergie tout à coup en me répondant que si, que c'était vraiment intéressant, et pourquoi pas un beige qui m'irait bien, avec la pochette intérieure peut-être, en ton sur ton ou contrastée crème sur beige. Elle me poussait à l'achat mais quasiment par altruisme, aurait-on dit. Elle avait l'âge de ma fille, à peine plus, mais je lui fis confiance. Finalement mon avis rejoignait le sien, c'était un cadeau fort raisonnable et réfléchi que je me ferais ainsi.
Elle me demanda ce que je faisais dans la vie, je me contentai d'un vague : « Je suis dans le spectacle», ce à quoi elle répliqua à ma grande surprise : « Eh bien on est toutes les deux intermittentes, quoi ! La galère !» Il eût été trop long d'expliquer qu'il y a bien des statuts dans la Culture, que, chargée de la programmation dans un théâtre de province, je n'étais pas intermittente mais que oui, je connaissais des professionnels dans une situation précaire… Que, de plus, ayant fait par ailleurs du théâtre amateur, j'étais sensible aussi à la situation des intermittents du spectacle, lesquels manifestaient dans la rue voisine au même moment.
Je pris le sac et la pochette et suivis la jeune fille vers une grande table où, près de la caisse, officiaient plusieurs vendeuses. A voix très haute, destinée à être entendue, elle m'interrogea : « C'est pour un échange donc. Vous avez un ticket de caisse ? ». Abasourdie, il me fallut tirer de mes expériences théâtrales passées, une improvisation majeure ; je fouillai mes poches, en sortis un quelconque ticket de caisse, peut-être celui d'un café, et le lui tendis, toujours médusée ; elle le prit, plaça soigneusement la pochette crème dans le sac beige, mit le tout dans une grande poche du magasin qu'elle me tendit et me salua gentiment avant de se retourner vers une autre cliente.
Toujours incertaine, je tentai un discret « Est-ce qu'on peut vous remercier… », pensant qu'elle attendait peut-être une récompense, mais, dans le même temps, j'imaginai que les caméras dans ce cas ne lui laisseraient aucune chance. A moi non plus sans doute, mais sur le moment je n'y songeai pas. Non, elle semblait contente, l'air un peu provocateur de celle qui sait que c'est son dernier jour de travail et qui a décidé de se venger des Employeurs et de faire plaisir.
En tout cas c'est ce que je voulus imaginer, fort culpabilisée d'avoir participé malgré moi et de mon plein gré (!) à un vol.
Ce sac, je l'ai toujours, je l'aime bien et je me demande parfois ce que l'audacieuse brunette est devenue.
bonjour Ana Lisa, je passais et j'ai vu de la lumière ... Vous avez un style qui me fait penser à une narration de type classique, mais c'est sans vouloir vous froisser, juste une constatation. Avec une construction de phrase "carrée", j'irais même jusqu'à dire "scolaire"... et cela donne à votre narration un rythme de conte de Noël, ces belles histoires dans lesquelles j'étais heureux de me plonger, car je savais que je serais emmené sur un bateau, dans un voyage qui aurait un début, un milieu et une fin ... Sensation bizarre que je tenais à vous signaler ... mais c'était un réel plaisir, merci !
· Il y a plus de 8 ans ·woody
Beaucoup de pertinence dans votre analyse, j'aime aussi que l'on me raconte des histoires qui ont un début, un milieu et une fin. Mais je peux heureusement lire autre chose ou voir des films elliptiques !
· Il y a plus de 8 ans ·Merci d'être passé.
Ana Lisa Sorano
Un style que j'apprécie ! Merci pour l'anecdote !
· Il y a plus de 8 ans ·psycose
Merci beaucoup !
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
Au moins le sac demeure !
· Il y a plus de 8 ans ·mysterielle
Oui, mais finalement c'est la rencontre et l'anecdote qui m'ont marquée. Merci.
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
lol, pas mal j'espère qu'elle ne s'est pas fait saquer, en tous cas travailler dans ses grandes surfaces de consommation sac craint ;-); en tous cas tu as eu la crème du sac !
· Il y a plus de 8 ans ·amphicyon-ingens
Désolée, j'avais oublié de répondre ; vous m'avez fait rire !
· Il y a environ 8 ans ·Je reçois très mal les commentaires même quand je clique sur la petite bulle rouge.
Ana Lisa Sorano
Une affaire rondement menée et un beau sac en prime!
· Il y a plus de 8 ans ·missfree
Ravie de vous voir missfree ! Oui, l'affaire est surprenante !
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
Très bien trouvé votre texte, un beau clin d’œil aux intermittents du spectacles ...
· Il y a plus de 8 ans ·Claudine Lehot
Merci, Claudine ! On se connaît dans un autre univers. Vous enverrai un MP après le WE. Bonne soirée.
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
oui, merci !
· Il y a plus de 8 ans ·Claudine Lehot
Je file d'un bal Second Empire aux rayons d'un Grand Magasin à l'époque actuelle... les plaisirs du voyage dans le temps en low-coast ! Cette brunette, sans doute son Employeur l'a t-il à son tour échangé contre une autre au comportement plus docile ?
· Il y a plus de 8 ans ·frederik
Intérimaire ! Je pense qu'elle était déjà sur le départ...
· Il y a plus de 8 ans ·Merci Frédéric pour votre fidélité encourageante. Je vais vous envoyer un MP puisque nous sommes abonnés pur vous conter étrange aventure.
Ana Lisa Sorano
Oui. avec plaisir (si vous le souhaitez toujours 10 heures plus tard) ! Amicalement,
· Il y a plus de 8 ans ·frederik
Ce WE. Cordialement.
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
Drôle et subtil !
· Il y a plus de 8 ans ·cthc2009
Merci pour votre commentaire. J'aime bien vos adjectifs.
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
une belle histoire !.... un cadeau désintéressé comme ça, ça fait du bien !.... redistribution des richesses ;-))
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
Merci, chère Maud !
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
:-)
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
je sais qu'aux intérimaires on ne leur dit qu'elles ne reviennent pas qu'à des entre deux ...entre le matin et l'après-midi jamais plus de 10 minutes avant la fin pas con les employeurs ^^ ici un bien beau cadeau que j'aurais assorti d'une paire de chaussures peut-être ^^ chouette texte Marie
· Il y a plus de 8 ans ·Marie Guzman
C'est vrai ce que tu dis sur les intérimaires !
· Il y a plus de 8 ans ·Pour les chaussures, c'est un autre rayon...
Merci d'être venue.
Ana Lisa Sorano
j'adore !!
· Il y a plus de 8 ans ·Patrick Gonzalez
Voilà qui me fait sacrément plaisir !
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
;-)) pas de quoi,, c'est sincère ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·Patrick Gonzalez
Voilà la Morale telle qu'elle doit être ! Acte de justice bien mené !
· Il y a plus de 8 ans ·astrov
Vers une redistribution des richesses, et même du superflu ? Merci, Astrov.
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
Il est génial votre texte Ana-Lisa, je l'aime énormément.
· Il y a plus de 8 ans ·jireoparadi
Je suis ravie que ce texte vous plaise !
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
super. Très très bien écrit, bien menée et bien conclue. Bravos!
· Il y a plus de 8 ans ·elisabetha
Merci beaucoup, Élisabétha !
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano