Le cygne noir

Comme le cygne noir aux reflets mordorés,
Qui vit, de désespoir, seul, recroquevillé,
Je n'ai connu qu'un lac où tremper ma fourrure,
À l'eau démoniaque emplit d'hydrocarbures.

Je voudrais remplumer mes ailes de flanelle,
M'éblouir, m'aveugler de l'azur bleu du ciel,
Que l'horizon m'emporte aux alizés marins,
À la lisière morte où le soleil s'éteint.

Je me tordrais le cou à rompre mes vertèbres
Pour sortir de la boue et m'enfuir des ténèbres.
Je blanchirais mon corps de la soie des nuages
Et le couvrirais d'or du sable des rivages.

J'irais mettre le feu au royaume des anges,
De mon bec impérieux à la fureur orange.
Puis une fois là-haut, je reprendrais l'éclat
Des plus nobles oiseaux, des flamants incarnats.

J'irais me délecter d'espèces aquatiques,
De poissons et de raies, d'anguilles électriques.
Tant pis je me noie au fond des océans,
J'aurais connu l'endroit où meurt un continent.

J'aurais vu de mes yeux les baleines géantes
Chanter jusques aux cieux leurs plaintes déchirantes,
Et la marée bercer, comme une barcarolle,
Les plages désertées de la côte espagnole.

J'aurais vaincu la peur qui coulait dans mes veines
En brisant la noirceur du métal de mes chaînes.
Et, drapé dans la nuit, je pourrais m'assoupir
Aux lèvres infinies de tous ces souvenirs.