Le vent des fous
bleuterre
L'homme se regarde dans la glace, encore une fois. Peut-être la dernière, pense-t-il. Envie de se mettre la corde au cou et de sauter dans le vide. En finir avec cette fatigue de vivre. Ces efforts quotidiens pour se lever le matin. Une mère qui n'a jamais offert ni ses bras ni ses mots pour se réfugier. Pour les siens qui ne comprennent pas ses propres mots. Ceux qu'il pense, qu'il écrit et qu'il ne leur montrera jamais.
Il n'y avait pas de place pour lui dans le nid. Il a pris son envol si vite que maintenant, il est déjà fatigué de vivre.
Le ciel gris et le vent dans les branches captent son regard à la fenêtre et l'invitent encore une fois à boire les mots de la solitude et tenter d'en puiser quelques trésors.
Mais brusquement le vent s'arrête et les branches s'immobilisent. Il se sent solidaire de ce non mouvement.
Il regarde à nouveau dans la glace et regarde ce visage qui ressemble tant à d'autres visages.
Le miroir lui renvoie à la figure les images de ceux qui l'ont jeté en pâture au monde. Sans trop savoir pourquoi.
La vague l'a jeté un jour sur la grève, il y a près de quarante ans. Il a bien fallu vivre toutes ces années, avant de mourir.
Avant d'abréger tout de suite, mettre la corde au cou et sauter dans le vide.
Ce satané vent, il repart, il a une longueur d'avance sur lui. Il l'entend, et quand il regarde à la fenêtre il cesse à nouveau. Il lui souffle dans l'oreille son secret, celui de sa propre folie de vivre encore, celle qu'il ne connaît pas assez pour l'apprivoiser.
Les mots sont encore là, ces petits élans de fleurs à moitié coupés qui s'extirpent du sol en lumières vivantes, après la fonte des neiges.
Le sol, encore aride, un peu trop lourd, ou l'inverse peut-être. Envie d'y inscrire son visage qu'il ne connaît que trop et qu'il ne peut plus souffrir.
Le vent dans les branches s'est tû trop vite, il lui donnait pourtant envie de mettre le nez dehors. Il se retourne, ce coquin de vent joue à un, deux, trois soleil avec lui.
Son père lui disait toujours de tourner sept fois la langue dans la bouche avant d'agir. Peut-être tourner le crayon soixante-dix sept fois sur la page avant de se pendre ?
Ensuite, il pourra mettre la corde autour de son cou et sauter dans le vide. Avant il regarde par un petit trou de vie le paysage qui se cache derrière. Il n'y a pas grand chose à voir pour l'instant.
Mais avant de faire ce petit pas dans le vide, peut-il encore s'accorder quelques années pour prendre un peu le temps de faire connaissance avec lui-même ?
C'est ce que lui dicte le crayon, dans sa ronde endiablée, qui l'invite à construire encore et agrandir ce petit trou de paysage intérieur qu'il ne connait pas vraiment, bien moins que ce visage qu'il ne peut pas encadrer.
Il regarde cette carte de visite posée négligeamment sur son bureau.
Un numéro de téléphone, celui d'un éditeur.
Peut-être que d'autres, des inconnus aimeraient ses mots.
merci à vous
· Il y a plus de 12 ans ·bleuterre
ok avec l'ensembles des commentaires,c'est le privilège du retardataire, vraiment touchant
· Il y a plus de 12 ans ·franek
Diva, pourquoi tu dis ça ? j'aime bien tes écrits que je trouve justes.
· Il y a plus de 12 ans ·Merci Pascal.
Omicron, je ne sais pas quels sont les critères de WLW. Mais tous vos commentaires me font chaud au coeur.
bleuterre
Ben oui, c’est un très beau texte et je me demande pourquoi c’est pas un CDC de WLW en place de mon « cave diem » que je pense plus anecdotique. Mais bon, je vais pas faire la fine bouche, je suis content quand même.
· Il y a plus de 12 ans ·Il aurait pu aussi se retrouver en bonne place dans le concours Wannabe. En très bonne place, il me semble.
Christophe Dessaux
La complainte de l'écrivain...très fort !!!
· Il y a plus de 12 ans ·Pascal Germanaud
Comment te dire Bleuterre à quel point ton texte m'émeut. Il y a tout et en plus une douceur presque insoutenable. Moi je ne sais que gueuler, sur le papier s'entend, et toi, tu as le ton juste.
· Il y a plus de 12 ans ·Et je suis d'accord avec Wen. . Nous somme forcément important pour quelqu'un alors il vaut mieux remettre à demain.
Et cdc.
divagations-solitaires
Merci à vous.... Pour les CDC... et pour le reste....
· Il y a plus de 12 ans ·Je vais prendre la grosse tête avec tout ça....
Wen, je m'étais bien retrouvée dans ton texte aussi... où j'avais senti cette nécessité d'être lu.
Ah, Stef, on ne peut dire mieux....
bleuterre
Je suis abasourdi. C'est complet, c'est fort, c'est dur.
· Il y a plus de 12 ans ·"peut-il encore s'accorder quelques années pour prendre un peu le temps de faire connaissance avec lui-même ?" et ainsi finalement, se faire aimer d'inconnus par ses mots.
Je retrouve tellement de choses que j'aurais voulu faire passer dans mon texte où je disais qu'il fallait être fou pour vouloir être lu...
Bravo Bleu' et merci (CdC).
wen
Le doute, la peur, le découragement... et les mots comme soutien. Très beau thème, bien traité.
· Il y a plus de 12 ans ·junon
...j'aime bien les belles imbrications et c'est beau comme l'aisance...
· Il y a plus de 12 ans ·ar-deblain-dit-livel
Multitudes d'entrées dans cette nouvelle, un foisonnement intellectuel sensible dans si peu de mots, t'es talentueuse, belle Bleu.
· Il y a plus de 12 ans ·eaven
ah oui, c'est vraiment bien! bravo!
· Il y a plus de 12 ans ·Karine Géhin
merci d'être passés par là.... et d'avoir apprécié ces mots
· Il y a plus de 12 ans ·bleuterre
on en tous la, ceux qui n'ont que leurs mots pour exister. bravo
· Il y a plus de 12 ans ·christinej
ce texte est d'une grande puissance, il résume beaucoup de doutes sur l'écriture et la vie en général. Un sacré coup de poing dans la gueule et un coup de coeur au final. Merci
· Il y a plus de 12 ans ·mirellehdb
ça souffle si fort...ce vent qui emporte !
· Il y a plus de 12 ans ·janteloven-stephane-joye
splendide
· Il y a plus de 12 ans ·reverrance