Les Mots de Marie ( l'accouchement Dernière version)

Colette Bonnet Seigue

   -Doucement, Adrien, ne nous secoue pas !

            Trésor insolite dans le chambardement de l'amour neuf. Tu es là voyageur en transhumance, à l'assaut de ton chemin de vie. Petit bout de nous, chrysalide fragile dans l'océan de mon ventre en attente. Forteresse d’amour aux  inviolables remparts. Je me sens déjà double. Je nous sens unique. Neuf mois pour t'inventer, te deviner, te faire mien pour ton histoire, pour notre aventure. Neuf mois pour peaufiner ta chair et ton cœur au tempo de mes entrailles.  Tu naîtras pour toi, pour ton destin, pour ta route d’Homme fort. Et si tu le veux bien, je serai sur tes pas seulement pour te laisser grandir.

Dans l'aube de tes pas j'ouvrirai grand la porte, pour te faire un chemin

 

qu'on ne trace qu'aux rois. Dans l'aube de tes pas que le destin emporte

 

une autre aube naîtra elle s'appellera TOI…

 

 

Premier bruissement dans l’onde du ventre de Marie qui s’arrondit  comme la terre.

            Terre d’albâtre, cristalline, magma de lave rugissante pour l’éruption de ta vie. Tout en nous est feu et terre tout en nous est océan. Gonfle mon ventre pour la terre la plus riche, la plus vertigineuse, pour les flots les plus puissants aux rives impétueuses.

   - Regarde comme il bouge, là, son pied, sa main !

Ma chérie,

L'heure de ton accouchement approche. Je pensais être auprès de toi, mais voilà qu'une intervention chirurgicale sans gravité m'oblige à rester ici. Je suis clouée à ce maudit lit d’hôpital.  Ne t'inquiètes pas, je serai vite sur pied pour vous embrasser, toi et ton  enfant que je chéris déjà ! Si je me repose raisonnablement, je pourrai t'aider efficacement aux tâches ménagères. On se sent souvent débordée pour le premier bébé et c'est bien normal !

Je t’embrasse,

Maman

Il est onze heures du soir, les premières douleurs carillonnent aux entrailles de Marie.

- Ca y est c’est  sûr, tu vas arriver ! Adrien il faut partir, j'ai mal !

            Le futur père excité et inquiet  prend à la hâte la valise du bébé et emmène sa femme à la maternité.

            - On a tout le temps Madame, c'est un premier, ce sera long. Courage !

   Une nuit de souffrance insupportable. Il faut tenir et tenir encore pour le combat de ta naissance. Quel éprouvant marathon ! Respirons, respirons mon cœur pour mieux oxygéner nos sourires. J’en ai tant besoin en ce moment. Allez vraiment, fais moi un signe, montre-moi ton bout de nez !

- Adrien ne me laisse pas, j'ai le vertige, ça fait si mal. Et, s'adressant à son bébé:  « S'il te prenait l'envie de sortir plus vite, il faut que ton père sois là ».

   - Ne t'inquiètes pas ton père sera là. Esquisse  Adrien.

Marie arpente le ventre tendu l'espace lugubre de sa chambre. C'est la fin de la journée les contractions incessantes l'assaillent et son bébé n'arrive pas.

- Vite ! Hurle au service la sage femme, le cœur de l'enfant a cessé de battre !

Au secours Adrien ! Mon cœur aussi défaille ! Je me sens partir vers la spirale des fonds sans fond. Tiens bon mon petit bout, tiens bon encore, respirons, mais nous sommes à bout de souffle !  Nous  étouffons dans les flots glauques de notre océan cotonneux. Sa couleur est violine.  Au secours notre radeau se noie !

            Emilie est morte, ce soir d'avril, à l'heure où les oiseaux repus de sève printanière endorment la couvée.

Dans l’ombre de ton absence, je te dessine encore et encore. Mon volcan n’est que boue de lave noire qui dégouline sur la mer morte. Pas de bruit, plus de terre à l’horizon, plus de rivages dessinés pour toi, pour nous. Hurlez terre fantôme, hurlez ma chair abandonnée ! Hurlez ma vie qui glisse sans se retenir !

Dans le silence du nid vide ton cri a la voix muette des mots effacés. Effacés mes mots  pour toi, vides des tiens. Effacée ta vie dans ma chair amputée, drapée de sourires inventés, de baisers volés, de caresses manquées pour d'impossibles rendez-vous.

Ma fille chérie,

Jeanne vient de m’apprendre la terrible nouvelle, celle de la mort de votre enfant. Comme j’aimerais te serrer dans mes bras, mais je connais ton courage, alors simplement, laisse moi te dire tout mon amour de mère blessée ! Dieu en a voulu ainsi, mais je sais qu’Il te prépare des bonheurs maternels incommensurables. Vite ! Qu’il me guérisse pour que je vienne vers toi.

Mille baisers

Maman

Dans le brouhaha du marché, Marie déambule, les yeux hagards.

- Alors ? C’est une fille ou un garçon ?

C’est rien. Rien qu’une blessure…

 

J'ai inventé ton cri pour bercer le nid de notre amour. J'avais rêvé pour toi d'une terre de baisers fous mais tu n'es pas venue…

        

 

 

 

        

 

 

 

 

 

 

  • Je l'ai relu Colette.
    Un texte vraiment bien écrit... mon rêve je l'ai juste jeté su le papier, il est brut... je ne sais pas si je parviendrai un jour à relater autre chose que les rêves au sujet de cette enfant.
    J'ai eu droit à un étrange congé de maternité... mais je n'aurais pas pu travailler (travailler avec des jeunes enfants). Il m'a fallu ce temps de congé pour ne plus m'effondrer à la vue d'un bébé ou d'une femme enceinte. Pour accepter des propos innocents des enfants, du genre : "C'est vrai maîtresse que ton bébé est mort ?"
    ...
    "Ma maman a dit que c'est pas grave parce que tu as déjà deux garçons !"
    ...

    · Il y a environ 12 ans ·
    015

    carmen-p

  • Elle est très bien écrite et sublime ta douleur, Colette. Elle est profonde, terrible, inoubliable, assourdissante. Moi, j'ai seulement écrit des mots sur de l'imagination. Toi tu as écrit des sentiments sur une absence. Parfois, il n'y a que les mots qui nous font tenir, parfois même pas ceux des autres. Juste les nôtres.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Img 3458

    Alice Neixen

  • C tragique et magnifique

    · Il y a environ 12 ans ·
    Img 0392 orig

    mamzelle-vivi

  • Je ne peux que rester coi, m'incliner face à votre douleur, que vous avez si bien retranscrite, Colette.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Mouette des iles lavezzi orig

    valjean

  • Plume du coeur. Je reste muette. Merci d'avoir partagé ta douleur de si belle façon.

    · Il y a environ 12 ans ·
    20170621 cbc 495   copie

    ysabelle

  • Oui, chair de poule.
    Je n'ai jamais écrit sur ce sujet pourtant vécu.
    ... et j'efface la suite de mon commentaire.

    · Il y a environ 12 ans ·
    015

    carmen-p

  • La chair de poule à chaque lecture, chaque version, chaque déclinaison...Le "c'est rien" de la fin me transperce.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

  • "j'ai tracé un nid pour entendre ton cri..."
    je n'ai pas d'autres mots à te poser. Juste une plume enclavée...
    merci Colette.

    · Il y a environ 12 ans ·
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    sally-helliot

  • Bouleversant, gorge serrée ! Rien de plus à dire !

    · Il y a environ 12 ans ·
    Ma photo

    theoreme

  • je ne connaitrais jamais les affres de l'accouchement mais la perte de ma belle fille à 23 ans est un souvenir indélébile du néant, très dur et le vécu transpire à chaque mot

    · Il y a environ 12 ans ·
    Mariage marie   laudin  585  orig

    franek

  • Déchirant...

    · Il y a environ 12 ans ·
    Pascal 3 300

    Pascal Germanaud

  • J'avais déjà lu les autres version, mais je suis toujours touchée, dans mon cœur de mère, une façon de l'écrire que toi seule pouvait. Je t'embrasse tendrement, Colette.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • Tout simplement magique !
    J'en ai le souffle coupé !

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Welc orig

    rena-circa-le-blanc

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