Les Temps de l'Attente

sophie-l

Existe-t-il moment plus exaltant que celui de l’Attente ?

Dans l’attente, le cerveau s’échauffe, l’imagination s’emballe, les sentiments s’exacerbent, chahutés et amplifiés par la certitude ne pas savoir et l’espérance de pouvoir deviner juste.

Instant jubilatoire d’un moment à venir, encore lointain mais suffisamment proche pour sentir monter l’excitation, impatient d’en goûter le plaisir et, nostalgique déjà, de sa fugacité…

Imaginer, rêver, déguster à l’avance l’émotion intense qui inondera l’hémisphère droit, lequel enverra frénétiquement d’innombrables signaux d’alertes qui irradieront le corps tendu à l’extrême de mille feux scintillants…

Tu marches, tel un automate, vers ce lieu où l’avenir est joué. Tu échafaudes des plans, te préparant au pire tout en rêvant au meilleur. L’angoisse étreint ton cœur, tes jambes flageolantes continuent d’avancer, ton regard fixé sur le panneau d’affichage noirci de mille noms : Y trouveras-tu le tien ? Attente insupportable, vicieuse et détestable, bourreau sans pitié qui jette sa victime dans un torrent d’atroces supplices.

Les mains moites, les joues rosies par des bouffées de chaleur incontrôlables, le corps alangui au souvenir des caresses passées, l’attente des retrouvailles si longtemps espérées, écrites, effacées et réécrites, fantasmées avant d’être vécues. Imaginer sa silhouette se dessinant parmi ces inconnus, la reconnaître et pourtant la craindre. Et si cet amour naissant s’était éteint sous les flots de l’absence ? Et si, et si… Oh, cruelle attente si délicieusement torturante…

Tant de jours à peiner, tant de jours à se contraindre, tant de jours à se plier aux rigueurs du quotidien, tant de jours à guetter l’instant où, pour un temps que l’on imagine sans fin, tout s’arrêtera. Où tu prendras le temps de vivre, d’oublier ta montre, de te laisser porter par la nonchalance.

Que cette attente est douce, annonciatrice de paix et d’insouciance.

Tourner en rond, fixer de toute la puissance du regard ce téléphone terriblement silencieux. Vérifier inlassablement tous les branchements, coller le combiné à l’oreille pour en vérifier la tonalité. Les minutes s’égrènent, trop longues, dans le silence pesant. Va-t-il sonner à la fin !

Attendre impatiemment et craindre cet instant où tu quitteras, en te retournant, le domicile de tes vingt ans passés. Rêver à ton indépendance tant de fois espérée où tu seras seul maître de ton existence.

Mais la plus douce des Attentes n’est-elle pas, celle où, jour après jour, pendant de si longs mois, tu grandis, caché dans le creux de mon ventre ? Je t’ai espéré joyeuse, je t’ai attendu angoissée, je t’ai vu dans mes rêves, je t’ai imaginé de mille façons.

L’Attente des derniers instants où, soudainement, j’ai voulu te garder pour toujours dans la chaleur de mon corps.

Et puis, les dernières secondes où, impatiente, j’ai cherché ton cri, tendu mes bras vers toi, vagissant de colère !

Neuf mois d’attente mille fois récompensés par la découverte de ta toute petite personne…

Alors oui, vois-tu, cette Attente-là a balayé toutes les autres.

Pour elle, mon cœur ne cessera jamais de s’emballer.

Et quand pour toi, l’heure sera venue, voudras-tu la partager avec moi ?

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