Luc Dietrich
fionavanessa
J'ai eu la chance de connaître une personne avec qui il fut ami, et qui constitua l'un des fonds d'archives privés sur Luc Dietrich qu'on connaît. Pour cela, pour l'immense coup de cœur que ses romans produisirent en moi, c'est un peu comme l'ami d'enfance, absent depuis longtemps, que je voulais saluer.
Mort à 31 ans, des suites de ses blessures de guerre au bombardement de St-Lô. Une étoile filante, à la trajectoire fulgurante. Dont nous ne pourrons jamais connaître les romans de la maturité.
Innocent aux mains pleines. Amoureux insatiable, dont la liste des amoureuses traduisit l'enfance ballottée, phagocytée par sa mère droguée, les placements dans divers foyers. Œil photographique, de la nature autour de lui, de la misérable condition humaine, du propre mouvement de son âme en lui-même. Un reporter de la sincerité. Zoom sur la vérité. Pas de faux-semblants, pas d'euphémisme, faire la traque au mensonge, à l'artefact, parler vrai et écrire avec son sang, comme il l'a écrit.
Jugez par vous-mêmes :
« Par-delà le carambolage des rails croisés, les poteaux comptaient la campagne, les fils mesuraient la fuite en sifflant. Un champ de blé gicla d'un talus. Une petite ville se bâtit au galop puis dégringola dans une pente. Un bref tunnel goba le reste et vomit une boule de fumée et des collines bleues ».
(Le Bonheur des Tristes, 1935)
"Je m'arrête sur le pont tout tremblant de trafic sous qui grondent les grands trains. Les rails aigus au reflet cruel ont creusé la fosse à même la chair noire de la ville. J'ai laissé là-bas la misère étalée, la voici dressée et enfermée. Ils passent, enfermés dans leurs véhicules, enfermés dans leurs pas et dans leurs buts, dans les wagons obscurs qui suivent la tranchée et la rame, enfermés derrière les façades salies de suie et de pluie, hautes de tant d'étages entassés, grises de tant de visages enfouis, enfermés avec leurs richesses et leurs projets, avec leurs objets et leurs idoles. Et sous leurs murs avares, ils se nourrissent et se reposent, se reproduisent, se déplacent avec une lenteur de larve entre leurs meubles, entre la table et le lit, entre les nourritures et leurs épouses, entre le boire et le cabinet.
Ce sont des conduits : tout les traverse ; la vie les traverse, les colères les traversent. Seule la mort les habite."
(L'Apprentissage de la ville, 1942)
" Le sang coule dans le creux de la hanche, mes mains ne peuvent plus le retenir. Il est beau, il est précieux et il s'en va. Et je m'émerveille que de moi qui ai mangé tant de vase, bu tant de pluie, mâché tant de nourritures grises, sorte une substance si rouge. J'éprouve un contentement grave, parce que quelque chose va commencer pour moi, parce que maintenant je vais vivre ou mourir, et que ce sera également nouveau."
« J'ai été rejeté de bord en bord comme une planche. Je suis descendu des zones populeuses aux zones mortes des barrières, des zones des usines à celles des ordures. »
(L'Apprentissage de la ville, 1942)
Je veux descendre tout entier dans ma phrase. Je voudrais m'y couler comme dans la mer. Je voudrais y crier avec ma bouche. Je voudrais que ma main sorte des lignes. Je voudrais communiquer une telle chaleur que celui qui me lira sentira la force de mon sang, la vie de mon sang.
29 mars 1936 Fragments inédits
La lecture.
Tout ce que je trouvais, je le lisais. Bien sûr, ce n'était pas toujours de la prose faite pour les délicats. Quand je tombais sur quelque chose de bien, je l'apprenais par coeur et, la nuit, je le beuglais avec de grands gestes. De la sorte, je devins comme un second auteur, plus bruyant, mais modeste. Les crimes mal racontés m'enchantaient; les noms me donnaient de la joie : le docteur Couilloux, le pharmacien Bourouge, Adolphe Canne l'épicier. J'aurais aimé m'appeler Bougie ou Hérisson, Fromage ou Pinard ou Choucroute.
(Sapin ou La Chambre Haute)
« La vérité est un rapport du dedans au dehors. Le rêve est un mouvement au-dedans du dedans : suivre la logique du rêve c'est s'enliser de plus en plus dans l'obscurité, se noyer dans son propre sang. Si le rêve nous porte, qui portera le rêve ? »
Fragments inédits
Je pourrais continuer à vous brosser son portrait pendant des heures...Frédéric Richaud, son biographe, le fit pendant vingt ans.
J'espère juste vous avoir permis de le connaître, ou de le retrouver, et d'avoir aiguisé votre curiosité envers un écrivain méconnu, qui faillit recevoir le Goncourt en 1935 et qui, salué par nombre de ses pairs, l'aurait peut-être été du grand public si la vie lui avait laissé quelques années, quelques livres à écrire de plus. Et qui, pour bon nombre de ses lecteurs, a endossé la figure chérie de l'ami sincère, étonnamment moderne.
Jolie plume, pour un joli portrait. Oui, ça aiguise la curiosité... Il y a du Céline chez cet homme, dans la noirceur et la lucidité. Merci.
· Il y a plus de 9 ans ·Giorgio Buitoni
C'est exact, vous mettez en lumière la filiation littéraire que j'aime, Céline, Dietrich, et d'autres en quête de la phrase lapidaire et sans détours, tellement noire que cela éblouit de vérité ! Merci pour votre commentaire tout à fait juste, et pour le compliment ! Je suis, depuis ma récente inscription ici, conquise par la vôtre.
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
c'est magnifique de réalisme et incroyable de créativité
· Il y a plus de 9 ans ·Merci de le faire découvrir ...
cela me fait penser à Aimé Césaire et à la force de son écriture ...
woody
Oui, c'est un ovni dans le paysage littéraire ; quelqu'un d'extraordinaire...j'ai dans l'idée que je n'ai pas encore fini de bien vous le présenter lui si riche, eu égard à toutes ses facettes. Sa lecture en vaut le détour.
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Merci Fiona pour ce partage qui sent bon l'amour des mots tricotés par cet auteur. Je vais de ce pas, me commander un de ses livres. Je retrouve dans les extraits que tu as partagé, la même force pour décrire les pesanteurs que celle qui réside dans les mots de Sylvain Tesson pour décrire l'immaculée pureté des paysages de Sibérie. J'aime les auteurs qui m'empoignent. Merci.
· Il y a plus de 9 ans ·lyselotte
Je suis contente que mon mini portrait puisse vous inciter à découvrir cet auteur à part.
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
J'ai commandé L'apprentissage de la ville.
· Il y a plus de 9 ans ·lyselotte
Génial ! vous m'en direz des nouvelles !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Vous pouvez y compter.
· Il y a plus de 9 ans ·lyselotte
Un auteur qu'il me tarde de découvrir plus. Merci pour ce partage
· Il y a plus de 9 ans ·ade
Waoh qd je lis et vois les dates je le trouve très moderne effectivement, merci pour la découverte et cette chro qui donne envie d'aller plus loin
· Il y a plus de 9 ans ·Christophe Paris
"Je veux descendre tout entier dans ma phrase. Je voudrais m'y couler comme dans la mer. Je voudrais y crier avec ma bouche. Je voudrais que ma main sorte des lignes. Je voudrais communiquer une telle chaleur que celui qui me lira sentira la force de mon sang, la vie de mon sang." merci pour la découverte.
· Il y a plus de 9 ans ·ellis
C'est beau n'est-ce pas ? Je me suis freinée à citer des passages, de cette qualité-là, il y en a tant !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
je ne connaissais absolument pas. t'as réussi, ça donne franchement très envie.
· Il y a plus de 9 ans ·ellis
Merci pour ce partage de talent, qui donne envie d'aller plus avant !
· Il y a plus de 9 ans ·Yeza Ahem
c'est gentil, c'est l'expression d'un vrai talent que vous pourrez y lire si vous suivez mon invitation.
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Je pense que je vais commencer par l'Apprentissage de la ville.
· Il y a plus de 9 ans ·Yeza Ahem
C'est le plus abouti, le bijou ; mais chronologiquement, Le Bonheur des tristes raconte l'enfance et l'Apprentissage de la ville la jeunesse.
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Bonne(s) lecture(s) !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Merci pour ces conseils
· Il y a plus de 9 ans ·Yeza Ahem
Je découvre aussi et cela donne envie d'entrer plus avant dans son oeuvre. Merci pour ce partage.
· Il y a plus de 9 ans ·anne-onyme
Avec grand plaisir !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
je découvre,,, envie d'en connaitre plus,, grand merci pour cette découverte ;-)
· Il y a plus de 9 ans ·Patrick Gonzalez
Cela en vaut la peine.
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Du Poe, du Kerouac... on the road again.
· Il y a plus de 9 ans ·effect
Pour moi, il est moderne, vrai, sans jugement moral, à (re)découvrir.
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Je n'en avais jamais entendu parler, mais ton texte donne envie de le lire !
· Il y a plus de 9 ans ·veroniquethery
Alors je vous souhaite bonne lecture !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Merci à toi, tu nous donnes envie de le découvrir
· Il y a plus de 9 ans ·marielesmots
La relève arrive ;-)
· Il y a plus de 9 ans ·Merci de le faire découvrir, fascinant !
petisaintleu
Lisez, il n'est à nul autre pareil, il est génial et authentique, et n'a pas pris une ride, enfin, peut-être quelques-unes mais ça lui va bien !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa