Mot hommage

Mathieu Jaegert

Ceci est un texte déjà publié ici il y a quelques mois. Certains l'ont déjà lu...Je vous propose de deviner le mot qui se cache derrière ces lignes...Ceux qui avaient déjà joué sont priés de rester discrets ;)

Atelier d'écriture - sujet : sculpteur de mot

Il existe depuis des millénaires des sculpteurs de mots dont vous faites partie. Décrivez une de vos plus belles sculptures en choisissant au maximum 1500 mots pour l’illustrer. Nous devons deviner le mot sculpté sans qu’il soit explicitement cité ! À vos plumes, sculptez !

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Si la sculpture est l’art de sculpter mais également le résultat de cet art, l’écriture, elle, n’est que l’art d’écrire, ou la façon d’écrire. Il en résulte des textes, des nouvelles, des romans, des poèmes, des chansons, des billets, des chroniques, des essais, ou encore des articles.

A la fin, les mots sortent toujours vainqueurs. Aujourd’hui, l’un d’entre eux sera mis à l’honneur sous ma loupe. La façon de le sculpter sera auscultée sans occulter le moindre détail. J’ignore encore s’il s’agira de ma meilleure œuvre. Peu importe. N’hésitez pas à l’apprécier pour sa valeur intrinsèque, et pour son origine, en espérant qu’il ne vous laissera pas de marbre.

Cette sculpture-ci, je vous la dédie. Je l’ai façonnée à mon image, certes, mais à la vôtre également. Vous devriez y apercevoir le reflet de mes émotions actuelles. Elles devraient se superposer aux vôtres, à vos cadeaux quotidiens, à vos observations bénéfiques, à vos encouragements aux délicates récidives.

Ce mot-là, je vous l’offre modestement. Il est si simple ! Et c’est tant mieux. Il nous ressemble. Ce mot paraît si facile à écrire. Il a été travaillé sous toutes ses coutures déjà, partout dans le monde, dans toutes les langues. Il a connu versions et diversions en tous genres. Il a subi les allitérations du temps, et traversé les modes. Pourtant je ne m’en lasse pas. Je suis toujours aussi heureux de le travailler au corps.

Alors aujourd’hui c’est décidé, je vous enlace de ces quelques lettres fragiles à l’éloquence flatteuse. Je vous les livre sans détour mais avec ma recette. Je la connais par cœur bien sûr puisqu’elle m’accompagne pour toutes mes réalisations. Il existe évidemment des variantes, des adaptations et des compléments. Les chemins de traverse sont nombreux, les bifurcations et les ramifications aussi car j’aime bien dévier, emprunter des contournements, des périphériques et des prolongements indécis. Les demi-tours dans les impasses sont bénéfiques parfois également.

Je n’hésite donc pas à revisiter la recette, la pimenter ou l’assaisonner selon mes humeurs ou en fonction des saisons et des sujets.

C’est précisément ce que je suis en train de pratiquer sous vos yeux que j’espère attentifs.

J’aime la relever avant de la révéler. La base en place, j’ajoute mes ingrédients au gré de mon inspiration, selon le gradient du thème retenu, quelques modèles en filigrane dans ma tête, s’imposant souvent de manière subliminale.

Aujourd’hui, ce mot se doit d’être sublimé. Pour vous, rien que pour vous.

Cela pourrait paraître machinalement technique mais lorsque le plaisir de modeler la matière est chevillée au poignet et à la plume, lorsque la palette de mots multicolores est généreusement garnie, alors le carcan de la mécanique rébarbative s’efface. La technique abrupte s’estompe au profit d’une poésie ou d’une prose alerte.

Bien sûr, l’application et l’implication vont de pair avec la concentration et la motivation.

Tout débute par le travail du verbe. Je passe du temps à choisir, trier, sélectionner, retenir, écarter. J’aime ensuite manier, façonner, tailler, cisailler, jongler. Je finis par polir, agencer, organiser, structurer, laisser mijoter. J’essore le contenu du moule. N’en sort que la quintessence des mots alignés, la crème, le nectar, l’essentiel. Les arômes sont toutefois encore bruts et emmêlés. Il s’agit alors de peaufiner, d’orienter, de débroussailler et d’ajuster.

Cette recette va peut-être vous rappeler certains cours de grammaire puisque tout ce tricotage ne serait rien sans les compléments circonstanciels de moyens ou de lieu.

L’outil est ainsi fondamental. Vous avez eu l’occasion de commenter, asticoter, critiquer, et encourager ma fidèle plume. Je l’affine sous vos remarques, et l’affûte à chaque récidive. Elle revêt tantôt des allures douces, tantôt des parures biseautées et des apparences acérées. Je la trempe parfois dans l’encre noire de mes colères froides. Pas aujourd’hui. Bien au contraire.

Cette fois, il me faut n’en garder qu’un. Dommage. Plusieurs pages auraient été nécessaires pour ce mot hommage à vos lectures, et à vos propres sculptures.

Ce mot, maintes fois utilsé par chacun d’entre nous tous les jours, je vous le propose assis ici face à l’été, les traits burinés par les embruns et le soleil qui s’impose peu à peu.

Habituellement, je me serais entouré d’autres artifices grammaticaux, sémantiques et syntaxiques. Des attributs rassurants. En général je leur fais la fête, à ces épithètes esthètes, aux qualificatifs d’adjectifs, aux adverbes adjoints, aux adjuvents adjudants, aux prépositions affrétées et apprétées « à de sans pour sans », aux conjonctions de circonstance, subordonnées et coordonnantes, et aux quelques relatifs pronoms éparpillés ici ou là.

Mais cette fois, la déclinaison est réduite à sa plus simple expression car l’inclinaison de la consigne est claire.

Ce mot est ainsi débarrassé de tous les autres noms, du plus commun au plus propre.

Il s’est séparé de toute figure de style et de toute ponctuation encombrante. Mais il n’en reste pas moins ma figure de proue. Je viendrai vous le murmurer dans un souffle et un point final. Il sera l’aboutissement d’une promesse, à défaut de prouesse.

J’ai aussi retiré les mots songeurs qui laissent sans voix. Les mauvais s’en sont allés, les mauviettes les ont suivis. Les maudits n’ont pas besoin de l’être, car les motifs et les mobiles de satisfaction prononcée sont légions.

Mon mot n’a pas le devoir d’être sculptural au sens littéraire, d’être beau, il est suffisamment parlant.

Il n’est pas tabou mais il n’est pas exprimé car il n’est pas dit que ces ingrédients mis bout à bout ne vous livrent pas la clé de l’énigme…

Magnifié par le rythme de la recette,

Echo à vos encouragements sincères,

Réguliers et salutaires,

Ce mot trotte toujours dans ma tête

Inlassablement, pour vous, lecteurs complices.

Alors, vous avez deviné ? Lu entre les lignes ? En long, en large, et en vers, de haut en bas ?

J’attends vos conclusions, dans ma position préférée de sculpteur de mots…en tailleur.

Nous pourrons alors songer à étoffer ce texte, ensemble, car il manque quelques lignes sur la matière. Peut-être parce que, quel que soit le mot, quelle que soit la sculpture, la source d’inspiration est inépuisable. Et renouvelable.

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