Reine
minou-stex
Reine est une mère de famille, une femme très présente. Elle prépare les petits déjeuners de la maisonnée avec soin tous les matins, elle fait des gâteaux, aide aux devoirs scolaires, les fait toujours passer avant son propre bien-être, et élève ses enfants, et ceux qui lui sont confiés, selon ses propres règles, n’autorisant personne, non, personne, à lui dicter sa conduite. Reine ne se maquille pas, ne perd pas de temps à la recherche de la dernière robe à la mode, le superflu passant après l’utile, et l’utile après le nécessaire. Elle s’investit dans tout ce qui concerne sa marmaille, fait partie des délégués parents d’élèves, enseigne le catéchisme, leur apprend tout ce qu’ils doivent savoir, comment bien se comporter, et pour ses enfants, c’est une maman qui sait tellement, tellement de choses !
Lorsqu’elle leur raconte son école, Reine a les yeux qui brillent, son désir d’apprendre était présent à chaque instant, elle aurait aimé étancher cette soif de connaissance un peu plus, beaucoup plus, et c’est avec nostalgie qu’elle aborde ces années qui la menèrent jusqu’au certificat d’étude. Ce certificat d’étude qu’elle obtint grâce aux bonnes sœurs qui lui avaient permis de rattraper les leçons auxquelles elle n’avait pu assister, grâce à sa formidable facilité de compréhension et de mémorisation, et malgré le peu de soutien de ses parents. Reine savait, et les religieuses en étaient désolées, qu’après le certificat, c’était le travail qui l’attendait, mais elle continua son apprentissage dans les livres, qu’elle empruntait régulièrement, et dans lesquels elle s’évadait dès qu’elle avait une opportunité.
(…)
Reine aurait aimé être institutrice, mais a dû abandonner son rêve sur les bancs de l’école pour travailler et aider financièrement ses parents. À l’âge où l’avenir n’est qu’une immense étendue entièrement vierge à fleurir de rêves, Reine, elle, voit de gros nuages gris envahir son horizon.
Elle est « placée », tous les étés, comme il est courant dans les années cinquante, dans des maisons bourgeoises où elle apprend comment gérer une maison, comment économiser la moindre parcelle de beurre, le moindre crouton de pain, et parfois même, du haut de ses dix ans, elle garde les troupeaux.
L’hiver, la nuit est longue, et la peur lui tenaille le ventre, les ombres cachées derrière les châtaigniers la guettent, essaient de la saisir à chaque frôlement du vent. C’est dans ces moments-là que remontent à la surface les souvenirs de la guerre, quelques années auparavant, le tonnerre des avions rasant la ville, les flammes détruisant les maisons, les yeux remplis de détresse, de désespoir et de folie, de toutes ces femmes réunies sur la place de l'hôtel de ville à la recherche d’un nom avec l’espoir vital de ne pas le trouver.
Le froid nocturne est mordant, et elle sert les dents, ferme bien fort ses petits poings, les larmes brûlant ses yeux, espérant que les heures passent très très vite.
Reine ne vit pas constamment avec sa famille, elle habite la plupart du temps chez sa marraine, cette tante attentive et affectueuse qui remplace souvent sa vraie maman, trop occupée avec ses petits frères et sœurs. Reine doit en effet assumer elle aussi une part des responsabilités de la famille, c’est son rôle d’aînée !
C’est à l’école qu’elle rencontre Suzie, une de ses jeunes sœurs, mais elles ne se parlent pas, elles ne se connaissent pas assez ! Chacune de leur côté, leurs yeux se croisent de temps en temps, mais l’amour que devraient ressentir les deux petites filles l’une pour l’autre n’existe pas, même pas une petite étincelle d’amitié, elles savent qu’elles sont sœurs, voilà tout, mais ce n’est qu’un mot, rien ne l’habille.
Bien trop souvent, la mère supérieure vient frapper à la porte de la salle de classe de Reine, interrompt la maîtresse, la fait appeler, et lui lance, désolée:
- Rentre chez toi, Reine, ta maman est fatiguée, elle a besoin de toi auprès d’elle !
Reine range alors ses affaires, les épaules baissées, résignée, et sort de la classe le cœur lourd.
Trop de souvenirs douloureux, beaucoup trop. Trop de différences, trop d’injustices, trop d’incompréhensions. Elle se sent seule, et elle l’est malheureusement la plupart du temps.
Reine se fait donc une promesse, un jour, elle aura des enfants, plein d’enfants, et elle les gardera auprès d’elle, elle les aimera, et ils compteront plus que tout, plus que sa propre vie, qu’importent les concessions qu’elle aura à faire, c’est juré !
Merci Sabine pour cette petite visite... :)
· Il y a plus de 13 ans ·minou-stex
Extrêmement touchant. J'aime beaucoup ce témoignage.
· Il y a plus de 13 ans ·bibine-poivron
Je suis très touché et ému par ton texte aux nombreuses résonnances.Ne jamais abdiquer face au savoir. J'imagine Reine aidant aux devoirs sans se faire déranger et puis reprendre ses études, une fois les enfants grands :) Coup de coeur.
· Il y a plus de 13 ans ·leo
Une reine qui ne manque pas de noblesse.
· Il y a plus de 13 ans ·yl5
très beau témoignage ! Elles sont si nombreuses ses mères-courage d'hier et d'aujourd'hui! Et pardonnons à celles qui n'ont jamais su donner l'amour qu'elle n'avait jamais reçu et qui sont devenues des mères-folcoche !
· Il y a plus de 13 ans ·mnette
Un très beau voyage votre histoire. merci GIS pour le partage .
· Il y a plus de 13 ans ·N Am
Habituellement , je ne suis pas "fan" de ce genre de texte mais j'avoue que je me suis laissée emporter par l'histoire touchante de cette " reine" ... Très émouvant ... Une partie de moi est admirative de ces femmes qui sacrifient tout pour leur famille évitant bien sur toute culabilité ... Je me demandais si vous aviez imprimé votre texte pour lui lire aujourd'hui ? Ne serait-ce pas un cadeau à la hauteur de votre hommage ?
· Il y a plus de 13 ans ·calypso---telemaque
Un témoignage très touchant d'une femme merveilleuse dont la jeunesse n'a pas été évidente et qui n'a pas pu réaliser ses rêves. Même aujourd'hui, elle se sacrifie pour être une mère formidable qu'elle n'a jamais eu...
· Il y a plus de 13 ans ·titine
Magnifique témoignage, poignant
· Il y a plus de 13 ans ·Ghyslaine Bobillier
Un très beau portrait de femme... de Reine ! bravo et merci !
· Il y a plus de 13 ans ·Edwige Devillebichot
un bel hommage pour une femme admirable. Merci pour cette belle écriture
· Il y a plus de 13 ans ·danae
le minou miaule à mes oreilles le destin des femmes et feule son incompréhension devant les injustices de la vie...Bravo
· Il y a plus de 13 ans ·Jacques Lagrois
Comme je suis d'accord avec toi Sophie ! Mais très souvent, à vouloir combler un vide, on oublie tout simplement de vivre ...
· Il y a plus de 13 ans ·Merci pour tous ces chaleureux commentaires
minou-stex
que c'est beau,minou!
· Il y a plus de 13 ans ·saki
Très beau texte. Si ma grand-mère Marie dispose d'une connection internet céleste, je pense qu'elle se reconnaîtra dans ce magnifique portrait.
· Il y a plus de 13 ans ·itsu08
Un magnifique témoignage, où peuvent s'entrevoir les silhouettes de bien des femmes, assoiffées de connaître, de donner, de transmettre mais qui ont assumé, assumé, assumé, adultes avant que d'être enfants. Leurs enfants furent leur suprême investissement. Merci Minou pour ce beau texte que je partage et que je coup-de-coeurise !
· Il y a plus de 13 ans ·Gisèle Prevoteau