Teddy Bear
erge
Eliott. C'est le nom qui est écrit sur la porte de la chambre. Comme une limite de territoire. Comme un accès à autre monde. Un pass pour l'au-delà. C'était sa chambre. Tout en haut de l'escalier, à droite.
Dès qu'on en pousse la porte, on aperçoit immédiatement cette magnifique peluche trônant sur la commode. Une bien belle peluche qu'on a envie de câliner. De grands yeux ronds comme des billes, un corps marron tout doux qui appelle les caresses. Une envie irrépressible de prendre cette boule de poils et la serrer contre soi.
C'était son Teddy Bear. Celui que son père lui avait offert pour son anniversaire en lui promettant de l'emmener à l'autre bout du monde en voir un de près. De très près. Un avec de vrais morceaux d'ours à l'intérieur. Un de ceux qui règnent en maître sur ce territoire des ombres sacrées. Un de ceux que les indiens Zunis vénèrent. Un de ceux qui peuplent l'imaginaire de son Eliott.
C'était un vendredi 13. Ce jour-là, au pays de la démesure et des espaces infinis, sur un sentier jalonnant les méandres de la rivière Bow, à quelques encablures du lac Peyto, père et fils réunis, sur les traces de l'animal, pour en toucher de leurs yeux la légende de ces confins sauvages.
Les Park Rangers les avaient prévenus. Mieux vaut éviter de s'aventurer dans ce périmètre à risque. L'ourse veille sur sa progéniture et n'est pas d'humeur joueuse. Inutile de tenter le diable et de jouer les téméraires. Se contenter de rester à proximité d'une zone de sécurité doit être la règle absolue. Là- bas aussi, on n'est pas à l'abri de mauvaises rencontres.
Mais, pour Eliott, le rêve ne pouvait pas ne pas s'exaucer.
C'était un vendredi 13. Ce jour-là, c'est à la brunante, lorsque le décor quitte progressivement son habit de lumière, qu'ils aperçurent la bête traverser le sentier d'une attitude dodelinante, remonter d'un air débonnaire la pente abrupte qui mène au Mont Patterson, disparaissant au milieu de l'inextricabilité de la forêt dense. Ils lui emboîtèrent le pas laissant entre elle et eux une distance respectable. Du moins le pensaient-ils.
Le jeune Eliott prit les devants. Exalté à l'idée de rencontrer le Teddy Bear local, en chair et en os. Il y était. Proche de son but. Proche de son rêve d'enfant. Trop proche peut être.
Etait-il conscient du danger encouru ? N'avait-il pas présumé de ses forces ? Avait-il bien perçu l'avertissement lancé par les Rangers ? Ne voulait-il pas arriver à ses fins coûte que coûte ? Le risque en valait-il la chandelle ? Connaissait-il le comportement d'un grizzly ? Sa réaction face à une menace potentielle ? Son agressivité en milieu naturel ? Avait-il entendu parler de ces deux accidents survenus quelques semaines plus tôt à propos de randonneurs un peu trop curieux ? Savait-il comment réagir face à un retournement de situation ? N'avait-il pas gardé ses yeux d'enfants avec lui ?
Le lendemain, au pays où les faits divers n'en finissent pas d'assombrir l'été, un titre paradait en une de la presse locale : ''Fatale randonnée à la Bow River ''.
Dehors, tout reste immuable. Le souffle du vent emporte au loin les bruits des animaux, les riviéres serpentent entre les flancs des montagnes, les paysages en technicolor étourdissent ceux qui les contemplent, les lacs déploient leurs reflets turquoises à se pâmer dedans, la nature est toujours aussi sauvage. Grandiose. Sublimement belle. Merveilleusement grisante. Impitoyable.
En ce vendredi 13, seul un cri provenant du fond de la vallée tente de déchirer le bel ordonnancement de ce tableau. Jusqu'à être recouvert par l'irréversibilité du temps qui suit son cours.
Du temps a passé. Depuis ce vendredi 13, tel un rituel auquel il se soumet pour conjurer le passé, le père du petit Eliott ouvre chaque jour la porte de la chambre de son fils. Celle située en haut de l'escalier, à droite. Juste pour se souvenir. Se souvenir qu'Eliott adorait les ours. Les ours aussi l'adorait. Mais de trop près.
Et son Teddy Bear est toujours là, sagement posé sur la commode. Impassible. Les yeux grands ouverts...dans le vide.
Putain de vendredi 13...
© photo : by myself (vendredi 13 novembre 2015) ...désolé je pouvais pas savoir...
Prémonition ...En lisant ton texte j'ai évidemment pensé que l'ours, c'était ce sinistre "Vendredi 13" et puis mon regard est tombé sur cette petite phrase :"désolé, je pouvais pas savoir", qi m'amis l'ours...pardon la puce à l'oreille....(pas très bon jeu de mots, en fait, mais je le laisse)Texte terrible qui fait froid dans le dos, et tu as du être dégoulinant de peur lorsque tu as croisé cet ours noir ! Faut-il faire le mort...en tous les cas ne pas courir, sous sa démarche balourde, il ira plus vite que toi !
· Il y a presque 9 ans ·Louve
j'ai surtout eu la chance de rejoindre ma voiture à temps après une course folle. 10 mètres de plus, l'ours m'aurait rattrapé. Et une fois à l'intérieur, je l'ai vu faire le tour du véhicule.Mon pouls était à son maximum de pulsations.
· Il y a presque 9 ans ·Merci Martine de tous vos commentaires sur mes textes.
erge
Quelle chance en effet ! La peur vous a donné des ailes ! Je vous imagine très bien voler plutôt que courir ! Vous avez du en faire des cauchemars ensuite ! Bonne journée erge !
· Il y a presque 9 ans ·Louve
non pas de cauchemars..mais l'impression d'avoir battu le record mondial du 100 m:)
· Il y a presque 9 ans ·erge
A mon avis oui ! Pas d'applaudissements au bout, juste la crainte encore de voir votre voiture bousculée.
· Il y a presque 9 ans ·Louve
Très belle histoire, triste à faire pleurer. Toucher son rêve peut être fatal.
· Il y a presque 9 ans ·lyselotte
fatal oui c'est le mot qu'on entend souvent en ce moment. Merci d'être passée Lyse :)
· Il y a presque 9 ans ·erge
Tu ne pouvais pas savoir, et nous non plus !.. pour ce putain de vendredi 13 !....
· Il y a presque 9 ans ·belle histoire émouvante ! ne t'approche pas trop non plus !... il me semble que tu aimes un peu trop les ours(e)s ! et merci aussi pour les paysages canadiens...
Maud Garnier
Faut savoir qu'il m'est arrivé de rencontrer un ours noir et j'ai eu la plus grosse trouille de ma vie. M'en suis inspiré pour cette fiction. Les paysages canadiens ? Je pourrais faire une chronique, tiens ?:) Merci Maud.
· Il y a presque 9 ans ·erge
;-)
· Il y a presque 9 ans ·Maud Garnier
tu voulais nous mettre le cœur à l'envers avec ta fiction ;-)) quelques heures après ton post, la réalité nous l'a renversé complètement... c'était pas de la littérature, mais... fluctua nec mergitur
· Il y a environ 9 ans ·julia-rolin
Oui Julia d'autant que mon texte précédent était un concert ! Fâcheux concours de circonstances et quel horrible vendredi 13. J'ai presque envie de reprendre le cours de cette fiction et d'en écrire un happy end ! Je suis content que tu sois venue !
· Il y a environ 9 ans ·erge
Superbe histoire... Putain de vendredi 13... oui... vraiment...
· Il y a environ 9 ans ·Yeza Ahem
oui Yeza, prémonitoire ...je l'ai postée quelques heures avant le drame. Pffffff... Merci d'être venu
· Il y a environ 9 ans ·erge
of C ourse !
· Il y a environ 9 ans ·veroniquethery
Contre la montre ;)
· Il y a environ 9 ans ·erge
Ca fout la fours cette histoire !
· Il y a environ 9 ans ·Chris Toffans
Of course !
· Il y a environ 9 ans ·erge
Putain de vendredi 13...
· Il y a environ 9 ans ·breinmilliner
Exactement :(
· Il y a environ 9 ans ·erge
Morale de l'histoire : Il est dangereux de réaliser ses rêves?
· Il y a environ 9 ans ·anne-onyme
non Anne-O, car la chance aurait souri aux audacieux sinon. Donc juste un malheureux concours de circonstance.
· Il y a environ 9 ans ·erge
Pfff tu me fends le coeur là ! ah non ce vendredi 13 vraiment on en reparlera tiens ! elle est superbement écrite cette histoire mais piouuu elle me bouleverse ! Finalement, je ne vais peut être pas honorer mon pari !! (si un deal est un deal donc...).
· Il y a environ 9 ans ·ade
j'espère que tu gagneras au loto. On pourra toujours refaire l'histoire.
· Il y a environ 9 ans ·erge
;)
· Il y a environ 9 ans ·ade
Oh là, tu fais mal à mon petit coeur... dramatique et toujours aussi bien écrit, merci Erge
· Il y a environ 9 ans ·marielesmots
Merci Marie mais je confirme ce n'est que fiction ! Ça va mieux ? :)
· Il y a environ 9 ans ·erge
brr! tu peux rentrer dans ta tanière!
· Il y a environ 9 ans ·elisabetha
ok j'y retourne Elisabetha !
· Il y a environ 9 ans ·erge
Le contraste entre l'indifférence de la nature et la douleur d'un père rend encore plus sensible la perte. Pffff....Elle est triste ton histoire ! Mais elle est drôlement belle.
· Il y a environ 9 ans ·carouille
Ce n'est pourtant pas ce que m'inspirent les paysages canadiens mais tu résumes très bien ce que j'ai voulu exprimer. Grandeur et douleur pour moi. Triste et belle pour toi. Merci et désolé pour la tristesse occasionnée.
· Il y a environ 9 ans ·erge
yes !!! j'aime,,,
· Il y a environ 9 ans ·Patrick Gonzalez
Entre ours, on se comprend !:)
· Il y a environ 9 ans ·erge
parfaitement !!
· Il y a environ 9 ans ·Patrick Gonzalez
Arf, c'est terrible. Tu sais que je suis une grande émotive ?! Faut pas écrire des trucs comme ça ! J'ai aimé la tristesse, la mélancolie et les descriptions typiques du lieu où règne en maître l'ours. Bravo Erge.
· Il y a environ 9 ans ·Sylvie Loy
Toi, quand tu fais mourir les gens, c'est beaucoup plus drôle !
· Il y a environ 9 ans ·erge