Voyage voyage

Stéphan Mary

Je ne vais pas très bien en ce moment. Je voyage en eau trouble, limite boueuse. Je patauge dans un bassin de tristesse que j'essaie d'atténuer ressassant mes souvenirs de routard. Je suis saoul de trop d'insomnies, occupé à me perdre sur le net, de pays étrangers en billets d’avion.

Je relis un mail destiné à ma soeur après mon agression d’une brutalité inqualifiable lors de mon dernier voyage au Pérou : "un épisode que je souhaiterais oublier mais qui reste gravé. Toutefois ce ne sont que des bons souvenirs qui me reviennent. Oui, aussi bizarre que cela puisse paraître, je ne regrette pas le Macchu Picchu et oui je vais repartir. Je pense à Pattaya ou ailleurs, vers d'autres paysages et d'autres aventures que la vie m'offrira." Je ne sais pas de quel bois je suis fait mais je suis fait comme ça ! Lorsque j'arrive à mettre deux euros de côté, c'est dans la perspective d'un voyage en solitaire.

Il est vrai que cette fois, après mon départ en catastrophe de Lima, j'ai été content de rentrer. Je crois que j'étais heureux d'être en vie, ou en liberté. J'ai retrouvé ce bon vieil hexagone avec le plaisir fou du cheval qui réintègre son écurie pour une bonne nuit. Je me suis blotti sous ma couette et j'ai adoré mon lit .Je me suis engouffré dans les bras de ma soeur retrouvant ainsi la chaleur douce et rassérénante de l'affection. J'ai serré ma mère contre moi en lui murmurant "je t'aime" parce que je l'aime vraiment. J'ai vu ma bande de potes qui m'ont fait une fête digne d'une horde de mastiff qui viendraient manifester leur joie à grands coups de langues bien baveuses. J'ai j'ai j'ai !!!

Mais un soir de calme passé avec ma soeur, simplement elle et moi sur une ballade de Keith Jarrett, juste dans l'ambiance musicale rêvée, une délicate couche de neige sur les toits, le vin blanc sec qui délicieusement remplit les papilles, elle me dit  « C'est la troisième fois mon vieux ! Et tu veux aller à Pattaya ? »

C'est vrai. La première fois remonte en 2004, le Tsunami en Thaïlande. J'étais avec ma mère à Ko phi phi. Nous avons hésité : noël sur place ou rentrer ? Nous sommes arrivés en France le 25 décembre. Les images du lendemain nous ont brutalement fait prendre conscience que nous étions en vie. Le choc a été très brutal. Nous ne sommes rien face à l’intransigeance sans appel de la nature. La seconde fois, je ralliais deux villes en Inde, un voyage d'une douzaine d'heures en train de nuit. Je dormais. J'éprouve un malaise. J'ouvre les yeux. Deux types me braquent un fusil sur la tempe. La peur a été si violente que ma vessie n'a pas résisté. Sentir le froid d'un canon de fusil sur la tête rapproche instantanément de l’imminence de la mort. Ils veulent mon passeport et mon argent. Ils crient mais personne ne bouge. Le train ralenti, nous entrons en gare. Je hurle. Help me heeeeelp. Ils sont partis en cavalant. La troisième fois nous ramène à Cuzco où j’ai pris la raclée de ma vie et me suis fait voler tout ce que j’avais sur moi. C'est vrai ! Trois fois à avoir frôlé le pire. La conclusion s'impose : ne plus partir sur des coups de tête, ne pas voyager seul.

 Mais mon réel plaisir vient de cette solitude, de cette émotion si particulière que de voir le soleil se lever sur le Machu Pichu, de contempler le silence de l’aube naissante sur la Cordillère. Ou se sentir absorbé et si humble devant le Grand Canyon en Arizona, j’en ai pleuré. Etre assis seul et enfin se sentir serein au bord du fleuve à Hué au Vietnam. Nager en Egypte agrippé à la nageoire d'un dauphin avec qui j’ai ri et que j’ai subtilement et longuement caressé. Et tant d'autres merveilles et émotions qui m’ont bouleversé. Les arguments se percutent, rebondissent les uns sur les autres, se croisent se recroisent bref ! Il faut que je revoie ma stratégie. Partir seul, c'est multiplier les risques, partir à deux... Il faudrait un sacré changement dans ma vie. Que j'ai envie de voyager avec ELLE, exceptionnellement celle qui... Que je sois à tire d'aile, et attire d'elle aussi.

Je repartirai. Je retournerai là-haut parce que la nature nous offre à vivre une magnificence insoupçonnable, là-bas ou autre part. J'ai le corps en mouvement et le mouvement dans la tête. Alors quand rien ne va plus, je vais respirer dans cet ailleurs les fragrances émotionnelles d'un autre monde.

Allez, laisse faire Keith Jarreth et Voyage voyage...

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