Willy (suite)

leo

 Les crayons gisaient sur le flanc, hébétés. Mon portrait  ne se ferait pas sans mal. On m’entendait hurler désormais. Les monstres ont aussi leurs histoires. J’ai cru un instant que, de sa bouche entrebâillée, il sortirait un premier son. Mais rien. Mon courant d’air rance pouvait poursuivre sa narration.

-         Ça n’avait pas été pire que d’habitude. Juste différent. Je ne savais jamais quelles formes de souffrances j’allais endurer. Ils devaient passer le temps de ma captivité, à fomenter leurs sévices pervers... qu’ils m’appliqueraient avec fureur. Mes paupières étaient réglées sur le pas du paternel. Elles se fermaient d’autant que son pas approchait de l’armoire et elles se rouvraient, humides, d’autant que son pas s’en éloignait. Et lorsque la porte s’ouvrait, coulissant en son rail d’infortune, c’est toute la déferlante d’horreur à venir qui crissait. Une lueur s’engouffrait alors dans mon antre de salissure. Infime douceur passagère. J’eus préféré qu’elle n’existât jamais. L’éphémère ne mérite pas de vivre. Crever aussi vite, ça n’a pas de sens… je restais bien en vie moi. Pour sûr, qu’ils planifiaient leurs exactions ! Comment pouvait-on imaginer, me faire enfiler un pull épais, me contraindre à m’allonger sur la table et le repasser à même mon corps… faire cracher la vapeur par légers à-coups… transpercer les fibres protectrices... mon âme vaporisée par la haine... me brûler juste ce qu’il fallait, pour que mon torse et mon dos, ne puissent pas trahir durablement leur barbarie… ce mal associé aux phrases assassines… « Faut souffrir pour être beau »…. « Tu vois c’est le remède pour plus que tu sois fripé en sortant de ta niche, sale clébard »… Il me semblait que mes cris pouvaient dégonder notre porte d’entrée, frapper pieds et poings contre la porte de mon voisin… mais sa putain de télé redoublait de décibels… sa méthode à lui… de retenir captif son courage qui se carapatait. Chacun est tortionnaire à sa façon… Je n’étais qu’un colporteur d’emmerdes  à qui il ne fallait surtout pas ouvrir la porte...

Si ses crayons n’avaient toujours pas repris leur esprit, la gomme, elle, était à pied d’œuvre. Elle rectifiait les erreurs de mon visage grossièrement caricaturé. Ce n’était pas mes traits que le journaliste semblait modifier, mais ses préjugés. Ce qu’il avait voulu garder à bonne distance, le pénétrait désormais de toute part. Je crus même discerner une larme, perler du coin de son œil. Oui, c’était bien comme cela que le gouffre prenait possession des regards : en se faisant déserter par l’amertume des larmes. Il avait cessé de me juger, la fin de mon histoire ferait le reste…

-         Au diable ma soif. Je vidais mon verre de pisse. Mes poumons ne pouvaient être plus écorchés par l’acidité olfactive. Je palpais la matière, précieuse, parce qu’elle pouvait me permettre de me libérer à tout jamais. Il m’aurait suffi de le rouler dans mon haillon crasseux, le briser en étouffant le bruit. J’aurais pu me saisir d’un bout tranchant et m’ouvrir les veines. Me vider de ce liquide maudit : la moitié m’ayant déjà abandonné par la mort de ma mère, et la seconde qui me rejetait par la violence de mon père. Me libérer de ce poison, qui entretenait mon putain de cœur dévasté. Mais, Willy m’en empêcha. L’amour inutile que je portais à mon père avait fait de moi un survivant. La haine que Willy allait m’insuffler, ferait de moi un assassin, qui marquerait la société, au fer rouge. Au-delà même de notre imaginaire, Willy et moi, avions appris à voyager au-delà des cloisons. Puisque ce salopard de voisin ne nous ouvrirait pas la porte, nous avions décrété, d’entrer chez lui par effraction. Le verre, collé entre la paroi du mur et mon oreille, nous permettait de suivre le traître. Notre façon de trinquer avec Willy, à sa mise à nu. Nous emmagasinions à son insu, la moindre parcelle qu’il aurait voulu tenir secrète. Chaque mot, nom, adresse, toutes informations utiles, se fichaient dans nos esprits revanchards. Nous consignions tout avec Willy et nous récitions inlassablement, son chapelet social. Son timbre de voix, résonne encore aujourd’hui dans mon esprit. Je l’imagine parfois rampante, me suppliant de bien vouloir lui pardonner son incommensurable surdité. Il s’écoula de nombreuses années jusqu’au jour où nous déménageâmes. « A la campagne, car il est grand temps que je t’éduque sac à merde ». Je quittai donc mon placard pour me retrouver enchaîné nu à des tuyauteries en fonte qui crachaient la chaleur de mon nouvel enfer… Notre putain de voisin, dans son odieux silence, avait permis mon transfert, là où plus personne ne pourrait percevoir mes cris… ni aucuns autres d’ailleurs.

Eprouvé par mon récit, il mit le dictaphone sur pause. Sortit une fiole d’alcool, qu’il but d’une traite. Il s’épongea le front  avec un mouchoir brodé, puis réenclencha le mécanisme. Il semblait en avoir fini avec mon portrait. Il le scrutait, mal à l’aise, attendant résigné, la fin de son calvaire auditif…

 

A SUIVRE…

  • j'adore le ton, la noirceur qui soulève les tripes et fait encore cracher les larmes, je vais à la fin si ca te branche http://www.welovewords.com/documents/le-moulin-rouge-version-2-totalite-du-texte
    l'animelle

    · Il y a presque 13 ans ·
    Lanimelle 465

    lanimelle

  • à lundi alors !

    · Il y a presque 13 ans ·
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    ristretto

  • La suite d'ici à lundi !

    · Il y a presque 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Là où l’écriture s'accomplit retenir son souffle pour lire au plus près.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Avatar orig

    Jiwelle

  • ................................. :)

    · Il y a presque 13 ans ·
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    zadig-de-st-mary

  • Tu me bouleverses. J'aime ton écriture, chaque mot au delà des mots

    · Il y a presque 13 ans ·
    Iphone 19novembre2011 013 orig

    Manou Damaye

  • Quoi te dire de plus Léo. Je ne sais pas moi. Une belle plume... UNE BELLE!

    · Il y a presque 13 ans ·
    Pb290406 150

    estevao

  • Tu fais comme tu le sens, et surtout comme tu le ressens. Si le fait d'évacuer au fur et à mesure te fais du bien, continue ainsi Léo ! Nous prenons ce que tu nous livres ... Merci

    · Il y a presque 13 ans ·
    Tourbillon 150

    minou-stex

  • Ne t'excuse pas ! c'est beau d'assister à une naissance, et parfois sa violence est presque insoutenable ! c'est vrai que c'est douloureux et un peu déplacé de dire que tu racontes avec génie ? je n'ai pas envie de comparer ce texte à d'autres que j'ai lu sur le même terrible sujet... tu as su trouver une intériorité qui t'appartient, tu as TON style ! j'aurais plein de choses à dire sur cette construction très personnelle et originale, passionnante même... mais je préfère attendre... la suite !.. Merci Léo !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

  • Merci pour vos lectures et commentaires. Certains m'ont même mis les larmes aux yeux. Je suis désolé de vous transmettre ce texte par "tronçon" mais il est écrit au fil de mon temps disponible. Et dès qu'une partie est écrite, j'ai besoin de l'évacuer de moi. Vraiment navré pour la gêne occasionnée mais j'ai du mal à faire autrement ! Merci pour votre compréhension...

    · Il y a presque 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Voilà une très belle écriture Léo, une écriture tranchante et acérée qui met à nu. Tu as une façon toute personnelle de donner à voir l'enfer intérieur et ces résolutions. J'aime bien comment tes mots font une nuée de mouches autour du personnage. C'est haletant et suffocant, on se retrouve enfermé avec lui, les passages sur le journaliste mal à l'aise et transpirant n'offrant que de rares respirations nauséeuses et pourtant je trouve qu'il y a de la lumière dans tout ça. So go on, j'attends la suite avec impatience ;)

    · Il y a presque 13 ans ·
    Dsc00245 orig

    jones

  • Ce texte sanglant de cruauté imprègne en moi des désirs de vengeance, des pulsions mortifères. Autant de preuves de ta force narrative et de l'impact émotif que tes mots engendrent.

    · Il y a presque 13 ans ·
    027 orig

    Chris Toffans

  • Je vais essayer d’être moins laconique qu’à la première partie. Ton texte me décontenance, me désarçonne et m’épouvante !
    Moi et mes principes affirmés de non violence, résolument militante de l’abolition de la peine de mort, j’ai des envies de meurtres, d’attentats, de carnages et d’étripages.
    Aux chiottes « la peine ne mort n’est pas justice » « et l’assassin assassiné » !
    Pour moi, ta plume est ici remarquable car elle engendre des sentiments déroutants, nébuleux limite illogiques. Sur l’histoire elle-même, tu mets en scène deux beaux salonards le père psychopathe, tortionnaire sadique et le voisin un psychopathe du silence, tu réussis à nous faire maudire les deux !
    Juste une nécessité pour moi après lecture, m’imaginer dans le placard avec le gosse et susurrer « tiens bon !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Flottins orig

    sophie-dulac

  • J'ajoute mes coeurs et coup de coeur à ceux de Gisèle ! Lecture captivante. C'est dense. Ca m'a rappelé la lecture du "Fils unique" de Jack Ketchum, et l'univers tout aussi noir et bouleversant d'"Une fille comme les autres", du même auteur, que je n'ai pas (encore) lu mais dont j'ai apprécié l'adaptation cinématographique.
    Je ne sais pas si c'est le texte que tu as écrit au cours de l'événement "24 heures d'écriture" (je n'ai pas tout bien suivi :-) !), mais si c'est le cas, je retrouve une constante qui m'amuse dans ce genre d'épreuve, à savoir que le candidat a parfois tendance à intérioriser son propre état de paralysie (comme le dormeur qui rêve qu'il ne peux plus bouger) en le traduisant dans son texte (aussi anxiogène que le tien ! symptôme de ton propre - bon, puisque productif ! - stress) par l'enfermement, la captivité, la séquestration de son personnage. Bon peut-être que je me plante du tout au tout...

    · Il y a presque 13 ans ·
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    saint-james

  • Terrible et si bien écrit. Léo, continue. Dénonce, enfonce le clou de la souffrance. Tu as raison et je te soutiendrai. Je ne sais pas (encore) le faire... mais ça vient. J'ai 25 ans de retard sur toi. Mais qu'importe le temps pourvu que la coupe soit bue !!!Bravo mon ami. Tu as mon coup de coeur et mes cinq coeurs d'un coup.

    · Il y a presque 13 ans ·
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    Gisèle Prevoteau

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