Amour

jeff-balek

C’était donc ça la mort.
Il se tenait là, debout, à côté de sa propre tombe. Il aurait presque pu ressentir le crachin de novembre qui mouillait la terre grasse et noire depuis des semaines.
C’était donc ça.
Debout, à côté de son cercueil que les croquemorts avaient bringuebalé au fond du trou.
Au pied du cercueil, le curé qui regardait sa montre, deux gosses qui s’emmerdaient, adultes maintenant, une soeur en larme. Personne d’autre.
Rapide oraison du curé, bafouillant les mots standards pour les morts qu’on ne connait pas.
Amen.
On se dépêcha de jeter une poignée de terre sur le bois du cercueil.
Moue de dégoût de la part de la fille regardant ses mains salies par la terre.
Soupir du fils, cherchant alentour un papier pour s’essuyer la main.
Ses gosses ne l’aimaient pas. C’était une évidence.
Non, ils ne l’aimaient pas.
Que devait-il en penser? Pas grand chose. Ce n’était pas vraiment son problème à vrai dire. Aimer, ne pas être aimer. Il avait appris que ce n’était pas de son ressort. Même s’il s’agissait de ses propres enfants. On ne force pas l’amour. A se demander même si on pouvait le susciter.
Il était ce qu’il était.
Point.
On l’aimait ou on ne l’aimait pas.
Point aussi.
Il les aimait pourtant ses gosses. De chouettes gamins. Aimer véritablement n’attend pas de retour, c’est ce qu’il se disait. Il les avait toujours aimés comme ça. Sans rien attendre d’eux. Il les avait aimés pour ce qu’ils étaient. Les avait regardés grandir et mûrir comme deux grands beaux arbres dont il était fier.
Oui, c’était chouette d’avoir été le père de ces deux gosses. Il se souvenait de leurs rires d’enfants, de leurs jeux. De leurs doutes et de leurs certitudes.
On se hâta de rentrer dans les voitures, curé en tête de peloton.
Iraient-ils manger ensemble?
Discuteraient-ils de lui?
Il en doutait.
Ses gosses étaient pressés. Chacun avait sa famille qui l’attendait quelque part.
Les portières claquèrent. Moteur, bruit de pneus sur le gravier.
Les pelletées de terre que les croquemorts jettent sur le bois du cercueil.
Et puis plus rien.
Rien que le crachin de novembre.
L’amour… mmm…
Il se dit qu’il était temps d’y aller

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