Beaubourg
matt-anasazi
BEAUBOURG
A elle, où qu’elle soit !
Il errait dans les salles de Beaubourg. Il avait choisi de suivre les salles dans un ordre purement chronologique. Son calepin à la main, il parcourait le musée. Ses impressions, imprimées en lui, jaillissaient en commentaires, en références, en remarques. Parfois, il soliloquait pour saisir la construction d’une œuvre – « les mariés de la Tour Eiffel », de Chagall résista quelques minutes à son regard –. Des musiques jaillissaient en accord avec ses sentiments, avec l’œuvre elle-même.
Un instant, il sortit pour admirer Paris sur la terrasse Paul Ricard. Mais qu’est-ce qu’il espérait ? Un éblouissement ? Tomber en extase devant une œuvre ? Devant une ravissante amatrice d’art ? Il l’ignorait. Il ignorait même pourquoi il se trouvait ici. Quelle drôle d’idée d’être venu à Beaubourg ! Il n’y connaissait rien en art moderne, encore moins en art contemporain ! Cette après-midi, il l’avait improvisée : il se promenait dans le premier arrondissement de Paris et en passant devant Beaubourg, il s’était dit pourquoi pas ?
En descendant l’escalier le menant vers les installations modernes, il fut frappé par un dispositif. Un container cubique, l’intérieur entièrement carrelé. Au fond, une image agrandie d’un crâne humain. Tombeau égyptien moderne, pensa-t-il, repensant à la prière des morts égyptienne. D’installation en dispositif, de projet d’urbanisme en expérience sensorielle, il se laissa guider. Pour autant, la définition de l’art contemporain restait un mystère.
Quand il arriva dans une salle plongée dans la pénombre, il resta sans voix. Un ensemble de plateaux tournants couvert de motifs, sculptures, poupées, jouets, objets usuels éclairé par une lampe. Chaque ombre dansait, changeant d’angle de vue, de hauteur, de largeur. Les images se télescopaient, symboles contre symboles, images et représentations. Son calepin se couvrit de signes, ponctués d’exclamations admiratives.
Il sentit un mouvement à sa gauche. Une jeune femme blonde prenait des notes elle aussi à la vue du dispositif. Dans la semi-obscurité, il vit qu’elle portait des lunettes à la monture noire, une robe d’été rouge et que son écriture posée et précise remplissait un carnet épais. Quelques secondes durant, il lui jeta des coups d’œil et sentit son propre regard sur lui. Il se pencha vers elle et lui glissa :
« On dirait l’allégorie de la caverne. Moderne.
- Je ne comprends pas, dit-elle avec un léger accent allemand.
- It’s like Plato’s myth of the cave. In the modern way[1]. »
Elle sourit, acquiesça et renchérit. Elle analysait le dispositif, admirant sa simplicité de principe mais la profondeur de la symbolique. Elle avoua dans le murmure religieux de la salle qu’elle-même était artiste et souhaitait créer des installations. Dans ses yeux brillèrent une question. Non, il n’était pas artiste, il écrivait et laissait sa plume le guider. Sensations, émotions, réflexions…
Elle se présenta. Linka. Lui, Mathias.
Elle le salua. S’en alla. La reverrait-il ? Non, probablement. Il garderait d’elle un pur instant de partage et d’humanité.
Et une réponse : la vie est une rencontre d’âmes, comme l’art.
[1] Cela ressemble au mythe de la caverne de Platon. Fait d’une façon moderne.
Très réaliste, On souhaite de pareilles rencontres, humaines, tout simplement!
· Il y a plus de 11 ans ·astrov
Merci à toutes et à tous pour vos commentaires !
· Il y a plus de 11 ans ·@ Eleanor : tu as raison, une belle rencontre qui n'a pas aboutie : elle, allemande pas célibataire et moi, français en vacances ! Personne ne pouvait y croire ! "C'est la vie !" comme on dit en Angleterre !
matt-anasazi
Jolie description, Matt. Merci d'avoir rappelé à nos mémoires ce type d'instant fugace où quelque chose d'inhabituel se passe et pourrait changer une vie, comme un effet papillon. Et quand rien ne se passe, c'est que chacun quelque part y consent bien, non?
· Il y a plus de 11 ans ·eleanor-gabriel
Beaucoup de fraîcheur, de chaleur, de charme...
· Il y a plus de 11 ans ·Apolline
Toutes les rencontres même éphémères ne sont pas fortuites! Bravo pour ce moment d'intensité dans le partage artistique!
· Il y a plus de 11 ans ·Colette Bonnet Seigue
Tu navigues aussi bien dans l'espace que dans la réalité. Il est des rencontres fugaces qu'il ne faut pas retenir, c'est dans l'instant, c'est magique et ça le restera. Ce sont des moments privilégiés.
· Il y a plus de 11 ans ·CDC
yoda
L'osmose entre l'art et l'humain, joliment retranscrit
· Il y a plus de 11 ans ·marielesmots
Une rencontre fugace dans une galerie sans glaces, qui éclaire la semi-obscurité.
· Il y a plus de 11 ans ·Archange Flippé
Agréable à lire. Je crois que je serais tombé amoureux instantanément. Quelle frustration de ne pas pouvoir être transparent de sentiments... parfois...
· Il y a plus de 11 ans ·bis
Comme je l'ai écrit plus haut, je transcris presque à l'identique un moment de ma vie, ici. C'était une première !
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
joliment écrit ! mais c'était presque trop court! j'aime bien les rencontres qui se font un peu désirer ! ;-)
· Il y a plus de 11 ans ·cecileboiscourbeau
Merci, Christinej
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
quel beau moment de lecture, on se laisse empoter avec plaisir dans cette rencontre, bravo
· Il y a plus de 11 ans ·christinej
Merci, chère Rafi !!!
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
Eh bien comme dirait ... moi ! ^^ Ca te va drôlement bien ! :)
· Il y a plus de 11 ans ·rafistoleuse
Merci, Rafistoleuse, je me suis lancé dans l'observation du réel et dans l'inspiration dans l'instant. "Welcome to the real world", comme dirait Morpheus dans "Matrix".
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
C'est vrai qu'on a l'impression d'y être, en tout cas moi ça m'a donné envie aussi !
· Il y a plus de 11 ans ·On devrait toujours se balader avec un carnet :)
L'art est partout, et les "possibles" se tissent des liens là où l'on ne s'attend pas toujours.
rafistoleuse
Merci beaucoup, très heureux du parallèle avec ton Degas !
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
Ah j'adore:! C'est comme une réponse à mon Degas :)
· Il y a plus de 11 ans ·alcestelechat
Merci, j'ai enfin eu envie d'être inspiré par le réel...
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
On y est. Bravo, bien retranscrit...et j'aime cette idée de se promener avec un carnet. A Beaubourg ou ailleurs.
· Il y a plus de 11 ans ·Mathieu Jaegert
Merci, Octobell ! C'est vrai que j'ai eu des révélations à ce moment.
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
C'est écrit simplement, joliment, on s'y croit. J'ai envie de la visiter, ton installation ! Le réel t'inspire bien :)
· Il y a plus de 11 ans ·octobell