CHERE MAMAN

Chère Maman,

Je sais, je n’écris pas souvent, mais je voulais te tenir au courant de ce que nous avons fait.

Dès ton départ, nous avons offert à ceux qui en avaient le plus besoin, toutes tes affaires et tes meubles, sauf le manteau de fourrure que tu voulais que nous gardions.

Peu de temps après, Philippe s’est marié avec une femme plus jeune, qui lui fait la cuisine. Il est très amoureux et lui a donc offert le manteau, qu’elle porte pour te faire honneur.

J’ai eu des nouvelles de ton frère Alfred, qui, d’après ce que les médecins lui ont dit, est en parfaite santé. Ton frère Prosper aussi, mais il ne veut plus voyager.

Maintenant, c’est moi qui vieillis : j’ai l’impression que les années se bousculent ; à peine ai-je envoyé une carte de vœux qu’il faut en écrire une autre.

Je me suis fait opérer du cœur, c’est banal maintenant ! Ca m’a changé la vie. J’ai blanchi, mais je suis toujours bronzé.

Mes expériences m’ont enrichi : je sais à présent que tu es la seule femme qui ait vraiment compté pour moi. Et tu es la seule qui ait toujours voulu mon bien-être sans arrière- -pensées.

Je me pose la question de l’après-travail et aussi de l’après-retraite.

Je n’ai pas envie d’arrêter de travailler, car je m’ennuierais, mais les clients ne se bousculent pas. Alors que faire ?

J’ai rêvé, il y a quelques semaines, que je tombais du haut d’un phare, que je voyais l’eau en dessous qui se rapprochait à grande vitesse, que je me positionnais comme un plongeur, pour la fendre du mieux possible. Mais je réalisais, presque simultanément, que compte tenu de la hauteur de laquelle je tombais, la surface de l’eau serait aussi dure que du béton. J’ai su alors que j’allais mourir, et me suis réveillé serein. Ainsi, aux dernières nouvelles, la mort n’est rien.

Je voudrais que tu me le confirmes, pour que le moment venu je me laisse aller,en connaissance de cause.

Merci pour tout ce que tu as fait pour moi : tout le bien était bien et pour le mal, tu ne l’as pas fait exprès.

Je t’embrasse.

Ton fils.