Cuvée anisée sous le Mistral

Mathieu Jaegert

La rentrée se profile à l'horizon, à portée de stylo et d'encrier. Tous mes collègues sont de retour. Ils m'ont dans le viseur, prêts à me prendre la plume dans le cartable au colis mateur. Peu importe. Ils font le dos rond et je continue à leur casser du sel d'Aigues-Mortes sur leur torse bombé. Il faut reconnaître que j'affectionne tout particulièrement leur chercher des bêtes nîmoises. J'ai beau dépasser les bornes et franchir le Gardon, con, ils ne m'ont pas encore mis au pied du Pont du Gard. Peut-être parce qu'ils ne prennent pas mes cuvées anisées de bon ton au pied de la lettre. Ou peut-être parce qu'ils n'encapent pas grand-chose.

En tout cas, rien de méchant. De part et d'autre, les rivalités linguistiques sont acceptées dans la bonne humeur. Ces gentilles querelles langoustines ne cassent pas trois pattes au flamand de Camargue. Pas de quoi en faire tout un pélardon des Cévennes.

Après la découverte de quelques évitements sémantiques, de quelques syllabes accentuées ou inventées, et autre jargon coloré, laissez-moi vous décrire une particularité autrement plus subtile.

Les autochtones enlèvent souvent les formes pronominales d'usage, facilitant ainsi le transitif du verbe. Parfois, ils retirent aux expressions populaires un ou deux mots, permettant finalement de relever (tout) de suite leur saveur. Mais ils leur arrive aussi de procéder à des manipulations et ajustements invisibles à haute voix.

Ainsi l'article dont il s'agit ici a vécu. On peut même affirmer sans honte du jeu de mot "capillotracté" qui suit, qu'il est à l'article de la mort.

Mes collègues, contraints de reporter un rendez-vous du matin à l'après-midi, ne disent pas à leur interlocuteur :

"Je ne pourrai pas être présent ce matin, je viens cet après-midi", mais

"...je viens après-midi".

Ce procédé écartant l'article démonstratif vise éventuellement à instaurer le doute et le flou dans l'esprit des autres. Sans plus de précisions, ça leur laisse le loisir de ne pas arriver bonne heure (de bonne heure).

Ils ne sont donc pas dépourvus d'un certain trait d'humour même si grammaticalement, ils se départissent du trait d'union. La subtilité réside précisément ici. En réalité, en prononçant le vague "après-midi", ils transforment le nom commun "un après-midi" en deux mots distincts, "après" et "midi". Tiré par le peu de cheveux qu'il me reste, je dirais que le tiret se tire. Un divorce à l'anis et à la tapenade. Chacun des deux mots reprenant ses attributs, ses clics, ses clacs, son genre, sa fonction, et sa nature ! Sur le papier, cela donnerait :

"...Je viens après midi".

De quel jour, on ne saura que plus tard...

La technique est éprouvée et semble compliquée.

Heureusement d'ailleurs qu'ils n'écrivent pas toujours comme ils parlent ou comme ils prononcent !

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