E viva la vita.
junon
En ce moment, j'en ai assez.
Marre, et même plus encore...
Chaque matin, le réveil qui sonne me rappelle à l'ordre de cette vie dont je ne veux plus, chaque journée passée plombe mon quotidien de son poids d'amertume, de temps perdu, moi qui ai pris conscience qu'il en restait peut-être si peu.
Demain, le jour d'après, tout soudain, je le sais, ce sera peut-être la fin...
Vous aussi vous le savez.
Mais on ne le dit jamais qu'en baissant légèrement la voix, blasé, l'air averti de celui qui a du vécu, sentence de psychologue à la noix assénée au bord de l'ivresse, bavassage de comptoir, ou discussion de fin de soirée, lorsque tout le monde se retrouve un peu bourré autour de cette bouteille de vin trop vite éclusée.
Sauf que c'est vrai.
Terrifiant, mais vrai.
Un jour, pour de bon, votre vie peut basculer. En quelques minutes, passer d'un avant à un après glaçant, passer d'un cœur qui bat à une âme qui se débat, passer des projets à un "no future" terrifiant.
Je ne vous listerai pas dans le détail la forme que ces incidents de parcours peuvent revêtir. C'est inutile, et sans grand intérêt. Je suis certaine que votre imagination est tout à fait capable de les envisager, même si vous la muselez soigneusement la plupart du temps.
Ils sont nombreux, variés, autant que les minutes où ils se sont tapis, vous guettant de leurs crocs acérés suintants de terreur.
Sauf s'ils sont de la catégorie qui vous place brutalement et définitivement hors concours, de celle qui vous retire du monde des vivants avant même que d'avoir eu le temps de faire vos adieux, vous allez alors vous trouver devant une terrible obligation... continuer à vivre.
Je ne plaisante pas, croyez-moi !
Car passé les premiers moments de sidération, ou de négation, ou de révolte pure, il faudra faire avec, composer, parce que oui, terriblement, lorsque l'on vous retire tout espoir, la vie continue malgré tout, souvent encore pendant un temps, quelques minutes, ou quelques heures, ou quelques jours, ou quelques mois...
Si un jour vous en veniez à vivre une telle expérience (et sauf sénilité avancée vous interdisant d'être totalement conscient de ce qui vous arrive, c'est on ne peut plus vraisemblable...), vous seriez alors sans doute confrontés à une drôle de dualité. Comme si l'on avait scindé votre âme en deux parties, peut-être inégales, mais réclamant chacune leur dû (sachant que plus l'expérience sera vécue jeune, plus le schisme sera violent...)
D'un côté, votre petit moi triomphant de l'adversité, se réjouissant de s'en être sorti, imbu de lui-même et de son pouvoir, persuadé de sa force et de sa grandeur... car oui, moi, j'ai surmonté ça...
Je suis le plus grand, le plus beau, le plus fort.
Et de l'autre, votre petit moi pétrifié de trouille, frappé de stupeur, abasourdi, tétanisé... encore et pour toujours sous le joug de la grande griffe noire et gelée, soudain conscient de la brièveté de l'existence, de son absurde fragilité, de sa terrible vulnérabilité...
Sans doute la suite des évènements sera-t-elle fonction de votre tempérament, mais quoi que vous fassiez, qui que vous soyez, vous serez confronté à ces deux versants de l'après, et votre vie en sera définitivement changée... pour le temps qu'il vous restera à vivre.
Certains ne s'en relèveront pas, d'autres mettront les bouchées doubles, mais la peur restera à jamais votre compagne de chevet.
Mon remède à moi pour éviter la rechute et la glissade sur cette dangereuse pente de désespoir, c'est de me démener pour changer cette vie dont je ne veux plus, faire en sorte de ne pas regretter un seul jour qui passe, inonder de lumière chaque recoin de ma vie, me baigner de douceur, aimer à en crever, m'étourdir de douceur contre des corps offerts, boire la passion, la démesure, l'ivresse des corps emmêlés, m'endormir dans les rêves d'un autre, me réveiller dans son sourire, savourer le moindre rayon de soleil, une caresse sur ma joue, la tête de mon chat qui se love éperdue au creux de ma paume, croquer une pomme un peu sûre, butiner son jus qui éclabousse ma langue, son odeur qui envahit mon nez, la résistance de sa peau, et son craquant sous mes dents, réjouir mon cœur au bouquet de fleurs fraîches posé sur la table du salon, rêver à un demain plus beau encore, écouter le rire en cascade de ma fille, et prier pour que la vie lui sois douce, pleurer parfois, un peu, pour que les larmes fassent leur travail de guérison, poser mon doigt sur les plumes d'un oiseau, et sentir battre son cœur, me baigner dans des eaux transparentes et laisser mes peines s'y dissoudre, regarder la lune teinter les nuages d'argent, sentir les gouttes de pluie éclabousser mon visage de leurs éclats frais, respirer l'odeur de la terre, après, quand revient le soleil, rire, encore et encore, de tout, de rien, et surtout de ce qui n'est pas drôle, faire rire, encore, pour la joie des yeux plissés, et du partage innocent, croquer la vie comme une sauvage, bousculer les conventions, le poids des attentes, exulter, vibrer, aspirer le suc de la vie par chaque pore de ma peau, et dans ce tourbillon, m'oublier, enfin...
Concilier l'exigence avec suffisamment de satisfactions pour que la vie reste ... vivable.
Périlleux exercice quotidien de funambule ...
Merci Jean-Louis, mais oui, on les traverse ces épreuves, et au final, on en sort souvent grandi, même si certains soirs, cela pèse un peu plus...
· Il y a plus de 12 ans ·Frédéric, plus forte qu'elle, je ne sais pas, mais assez pour en profiter et la savourer chaque jour.. oui !!
junon
Sois plus forte que la vie.
· Il y a plus de 12 ans ·Toujours!
Frédéric Clément
Comme c'est bien dit, comme c'est touchant, comme c'est triste aussi, les épreuves que l'on traverse, notre capacité à encaisser. Un texte d'une immense sensibilité, Junon.
· Il y a plus de 12 ans ·Jean Louis Michel
Merci Pouetpouet (j'adore le pseudo...), Omicron, Nonohism, d'être passés par là.
· Il y a plus de 12 ans ·junon
Et là, je me demande pourquoi nous ne sommes pas amis façon WLW.
· Il y a plus de 12 ans ·Vite, réparer cette erreur avant qu’il ne soit trop tard :-)
Christophe Dessaux
A force de "funambuler", si on ne chute pas, on s'épuise quand même beaucoup. Un autre a dit: "La vie est une maladie, sexuellement transmissible qui ne s'achève que par la mort". Je partage pleinement tes petits remèdes quotidiens.
· Il y a plus de 12 ans ·pouetpouet06
Merci à vous Mys, Eaven, Ysa, Anne... Merci de votre lecture et de vos mots.
· Il y a plus de 12 ans ·Touchée...
junon
J'arrive avec beaucoup de retard mais je partage ton sentiment tout en sachant que vivre intensement veut parfois dire aussi pouvoir souffrir intensement...c'est ça aussi la vie...en funambule (j'adore ce mot!!!) Merci Junon.
· Il y a plus de 12 ans ·ysabelle
Impossible de commenter. Beaucoup aimé la poésie et la sensualité des remèdes pour le reste, je ne peux rien dire, c'est bien trop compliqué. Très beau texte et toujours très belle écriture d'une femme, bel être humain.
· Il y a plus de 12 ans ·eaven
pas pu venir avant!
· Il y a plus de 12 ans ·mais je suis contente de ne pas être passée à côté de ce texte qui me touche...
bises!
Karine Géhin
Aucun doute que ça ferait du bien... les câlins, c'est quand même un des meilleurs trucs que je connaisse !!
· Il y a plus de 12 ans ·Mais en tout cas, vos commentaires et la chaleur qui s'en dégage valent bien des épaules sur lesquelles se reposer...
Merci à tous. :-)
junon
juste une grande envie de prendre ton visage entre mes mains, de le poser sur mon épaule, et se taire après avoir dit: Putain de merde comme tu as raison!!!!!!!!!!
· Il y a plus de 12 ans ·divagations-solitaires
Ouch normal que c texte me parle et me touche ?? Oui trouver un équilibre entre les obligations quotidiennes et les petits Plaisirs de la vie qui vous rendent vivants!!!
· Il y a plus de 12 ans ·Sweety
Merci à tous les deux... :-)
· Il y a plus de 12 ans ·Et Jones, dans le même genre, une phrase que j'aime beaucoup, d'un Mr Bernard Le Bovier de Fontenelle (ça ne s'invente pas !!) :" Ne prenez pas la vie au sérieux, de toute façon, vous n'en sortirez pas vivant."
junon
J'ai un ami qui dit ceci : La vie, aucun d'entre nous, n'en sortira vivant !
· Il y a plus de 12 ans ·J'adore cette phrase et elle résume tout ce que tu viens de dire. Chouette texte qui fait un peu peur au début mais qui se termine sur une belle déclaration d'amour à la vie ;)
jones
Merci Mathieu... :-)
· Il y a plus de 12 ans ·junon
@Hermanoïde, je ne comprends pas très bien ta mise en garde:"attention à l'auto hypnose"... Si le leitmotiv est de profiter de chaque instants et d'avancer quoi qu'il en soit, je ne vois pas trop où est le danger.
· Il y a plus de 12 ans ·@Sophie, je savais que tu comprendrais... j'ai découvert en te lisant que nous avons une expérience en commun.
@tous les autres, merci de vos commentaires .. :-)
junon
Je pense à ce truc qu'on dit, un peu passe partout, quand ça ne va pas, quand il y a un deuil, un évènement sur lequel personne n'a prise... "et pourtant, la vie continue"
· Il y a plus de 12 ans ·Oui, mais elle ne peut pas continuer sans nous, donc il faut bien continuer avec.... J'aime beaucoup la description de ton remède, comme tu dis, les mots et les situations invitent à la poésie, à la vie, à la sensorialité... Merci
bleuterre
Je comprends très bien. Surtout la peur. Apprendre à la blackbouler pour se rendormir lors d'insomnies. Garder en tête que rien n'est écrit;
· Il y a plus de 12 ans ·divina-bonitas
Belle écriture, comme un élan vital.
· Il y a plus de 12 ans ·Attention à l'auto hypnose, tout de même.
Et patience, la vie est courte, mais elle est longue...
C'est vrai qu'il y a peu du Capitole à la roche Tarpéienne, mais ça marche dans l'autre sens aussi.
hermanoide
J'adore cette phrase: "Vous allez alors vous trouver devant une terrible obligation... continuer à vivre"
· Il y a plus de 12 ans ·Bryan V
Il faut lire les Intermittences de la mort de Saramago où il imagine un monde où la mort n'existerait plus
· Il y a plus de 12 ans ·sinon je crois que ce qui fait justement le sel de la vie c'est le côté irrémédiable de sa fin... Cela nous permet un peu le fameux Carpe Diem
reverrance