In my shoes

Illana Attali

8h, écartelé, un membre sur le sol froid de la salle de bain, l’autre sous le  lit, je me languis du contact de sa voute plantaire.

La voici qui se réveille et s’affaire enfin. J’attends qu’elle finisse son thé à la menthe, flanque ses cahiers et stylos dans son sac et parte à ma recherche. J’habille alors ses petits pieds vernis et hâlés en m’entrelaçant entre le pouce et son voisin.

Me voilà foulant le pavé Allenbyen, trimballant  ma carcasse caoutchouteuse sur ce sol barbouillé. Les gouttières guident inlassablement l’eau  grise et croupie des toits telaviviens sur le trottoir souillé.  Je croise les talons compensés de femmes peinturlurés aux ongles fushia et strassés, quelques dizaines de mes compères Havaianas de toutes formes et couleurs, les pieds nus et abimés de clochards étendus sur le sol.  Tiens, une toute petite paire de baskets Dora l’exploratrice vient faire contre-pied.

Je passe alors la frontière psychologique et hygiénique d’Allenby à Ben-Yehuda. Mademoiselle presse le pas. J’enjambe  laisses de chien, antivols et chats des rues sur le macadam. Shalom Aleheim. Je  m’immobilise (ou pas) au passage piéton, piétine, reprend de la vitesse. Frishman. Je racle le sol, m’élève, frotte, accroche. Lassale. Pendant près de 5 heures, j’aurai la paix, mademoiselle étudie à l’Ulpan Gordon. Je quitte ses pieds, trainasse sous la table, suis rapatrié sur sa chaise lorsqu’elle remonte une jambe, me balance et frappe nonchalamment contre sa voute.

12H50. Je quitte l’ulpan, dans un éboulement de paires de bottes, ballerines et escarpins de pimpantes nouvelles immigrantes. Elle file comme le vent pour alunir gracieusement sur la promenade telavivienne. Je m’amuse à détaler sur le sol beige-marronné  se déployant  en cercles dynamiques. Voici l’Hôtel Dan-arc-en-ciel  bariolé, des coureurs suants et bronzés, l’Opéra Tower, des filles en shorts montant leurs vélos roses à jolis petits paniers, Geula Plage.  C’est ici que je nous faisons une halte. Elle me décroche de ses pieds à ses mains pour sentir le sable tiède et délicat sur sa peau.  Pendant un long moment, je suis posé près de son drap de plage, légèrement enfoncé dans le sable, comme étreint.

14h30. Je réépouse ses pieds et remonte Geula à petit pas. Au bout de la rue, j’engage un virage à gauche. Elle m’entraine alors bien malgré moi dans le bestiaire soukien.  C’est mouillé, douteux, collant et encrassé. Mais que puis-je faire ? Elle aime le souk, elle aime le sud, elle aime le négligé et l’âme. Le un peu plus lisse et la soit-disant blancheur telavivit,  elle les laisse aux nordistes.

Nous redescendons Allenby, des sacs de toutes les couleurs accrochés à ses poignets. Sa démarche est plus hésitante, sa foulée plus lasse. A la maison,  elle me frictionne et savonne longuement. Comme un enfant. Puis j’attéris au pied de son lit, sous la table de sa cuisine ou un coin de sa douche. Peu importe, demain elle me retrouvera.

Je veille sur ses pas.

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