Je me souviens de toi

Frédéric Cogno

L'orage de juillet entend prêter main forte,

Comme des dés jetés, des grêlons en cohorte

M'avouent les mauvais sorts tombés ces derniers temps.

Il grêle ainsi, mon Dieu! Est-ce du gravier blanc

Qui recouvre déjà notre ami disparu,

Depuis peu exilé au bras de l'inconnu?...

 

Je me souviens de toi..., tous les printemps farceurs

A tes lèvres chantaient, m'invitaient doux noceurs,

A poursuivre instamment les rêves les plus fous,

A prendre du bonheur, un simple rendez-vous.

Tu aimais cette vie et ses joyeux détours,

Dans son insigne esprit, t'inspirer de l'amour

Que tu communiquais pudiquement sans bruit

Sur ton lieu de travail autour des moins nantis.

Tu couronnais l'instant qui s'effeuillait en pause

Si bien qu'auprès de toi, un écrin de soir rose

Faisait jaillir des feux sur la ligne horizon;

La nuit saignait son encre à nos vers en sillons

Qui n'en finissaient plus, ponctués de sourires

De réécrire au loin un monde d'avenir.

 

Je me souviens de toi..., tes longs cheveux au vent,

Pour l'audace et le spleen te changeaient par moment

En un preux chevalier au glaive sans courroux;

La fleur entre les dents, tu parlais du mois d'août,

Du sacre des lilas et de la nuit Saint-Georges...

Toi, préposé des fées, ta fable en sucre d'orge

Nous filtrait les clameurs et chaque âme en presqu'île

Au large  de tes yeux se détachait fertile,

Miroitant un lagon entre soleil et plage,

Cachant mille trésors sous tes paupières sages;

En tes cils ajourés, ô filets d'estuaires!

Tu gardais foudroyant, des reflets, des lumières,

Ton regard nous croisait, nous trouvions notre port,

Furtivement nommé comptoir des météores!

 

Je me souviens de toi..., et ton silence idylle,

Le songe à peine éclos voguant sur la mer d'huile;

Une brise, une muse, et une cigarette,

Quelque minute à toi pour choyer les violettes,

Une bouffée d'ailleurs et savamment requise

Pour t'échapper un peu sans vraiment lâcher prise,

Avec un mot gentil à même deux sépales,

Tu revenais toujours sans cesse pour l'escale,

Au chevet des amis pour un morceau de toi,

Autour des résidents accrochés à ton bras.

Pour le bonheur de tous, vraiment tu savais être,

Ôtant tous les masques puis gommant tous les spectres,

Tu étais disponible et à la bonne écoute,

Les anges recueillaient ton parfum goutte à goutte...

 

Je me souviens de toi..., tes carnets de voyages...

Dans le creux du récit, on cueillait à la page,

Quelques fraises sauvages et du sable poudreux,

Des fleurs séchées au vent, l'herbier des amoureux...

Tes courses feuilletées nous ramenaient l'odeur

Des pousses alanguies, des germes baroudeurs,

Des ports, des salaisons, des marchés de sel gemme,

D'un soir au restaurant où tu lui dis "je t'aime"...

Ô périples nacrés dans les bras de ta femme!

Qui le plus de vous deux voyait l'autre en son âme?

Couchant d'un même  pouls dans la clarté sereine,

Vous puisiez votre amour aux secrètes fontaines

D'où coulait une source au seuil de vos desseins,

D'où nageaient vos baisers, vos plus doux alevins! 

 

Je me souviens de toi..., au barré de guitare,

La musique invitait à rêver dans le noir.

Tu nourrissais l'envie dans cet art supèrieur

De voir les instruments couler dans leur sueur;

Tu t'épanchais parfois sur d'étranges concerts,

Le rock devenu loi, des scènes sans laser,

Dévoilaient ton esprit d'un rideau plus rebelle

Pour planter le décor à coup de décibel...

Ainsi donc déployé dans le fin fond des steppes,

L'étendard des Pink Floyd flirtait avec Led Zep,

Des tournées en furie au nom des bergers Peuls

Improvisaient un boeuf au riff de Deep Purple,

Reliaient à jamais le peuple à la musique,

Indissociablement, pour la vertu, l'éthique...

 

Je me souviens de toi..., où es-tu aujourd'hui?

Quel est ce trait d'union entre un corps et l'esprit?

Est-il vrai ce radeau dans la mer de nuages?

Croises-tu à présent tes fréres au plumage?

Tout ce flot de tourments me trouble la vision.

Viendront les réponses répudiant les questions.

Pourtant, ce que je sais, suffit, et je m'enchante

De sentir quelques fois, croyez-moi, je n'invente,

Le bleu tressaillement d'un silence caduque,

Une main m'effleurer les cheveux, puis la nuque,

D'écouter dans la note élaguée par les brises,

La dièse où tu renais dans l'obscure remise

Qui sent bon le foin frais par la porte entr'ouverte,

Le souffle des chevaux croquant les pommes vertes...

Quand les feux de leurs fers prennent le mors aux dents,

Quand les juments sellées s'empressent de hennir

Par la simple intrusion d'un fantôme haletant,

Ce n'est plus leur parfum..., mais tes bijoux de cuir....

Voilà ce que je sens et depuis ton absence

Une becquée d'étoiles est tombée sur Charance...

Ta maison, ton jardin, envahis par les taupes

Se hissent à présent au coeur de l'isotope.

Soupirs magnétiques, bourdonnements, murmures,

Florilèges ailés dans l'indigo azur,

Ping-pong, pleurs, dring, ding, deuil, écho, à-coup, éclat...,

Cris, frissons, craquements, ondes, lueurs et voix,

Ô éclairs cachotiers, impacts où tu t'endors,

A l'isthme de ton râle il pleut des gammes d'or!

On me répète encor de stopper ce poème,

Que la vie et la mort sont deux vieux théorèmes

Et  que je ferais mieux parole d'incrédule,

D'écrire autre chose, enfin, de moins ridicule...

La foi ne s'apprend pas dans vos nouvelles gnoses,

Je dis que la rosée croit au charme des roses,

Que des pleurs à nos yeux, joyaux au feu sacré,

Parlent d'un lieu précis où l'âme s'est logée....

Indicibles rayons! Couperoses du ciel!

Que de chemins striés pour la vie éternelle!...

Je me souviens de toi..., tu nous as pris de court,

Tu as pris le sentier, j'en suis sûr , le plus court...

 

 

 

 

 

 

 

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